Intervention de Elisabeth Doineau

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 juin 2022 à 15h35
Audition du dr françois braun chargé d'une mission sur les soins urgents et non programmés

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

rapporteure générale. – Merci au Dr François Braun de nous avoir expliqué en quoi consistait cette mission flash. Le terme même interpelle. Si c’est flash, c’est pour l’été, or le rapport sera rendu début juillet. Si c’est du damage control, pourquoi pas, même si je n’aime pas les anglicismes.

Pour 75 % des Français, la santé est le sujet majeur. Cela les amène à voter d’une certaine manière. Depuis des années, dans beaucoup de territoires, la population n’a plus de réponse à ses besoins. Nous avons tous des services d’urgence par intermittence : il faut calculer le jour où tomber malade !

Rédiger une ordonnance, d’accord, mais nous sommes en soins palliatifs.

Il y a une perte de chances pour certains de nos concitoyens, et on ne fait pas d’économies. En tant que rapporteure du budget de la sécurité sociale, je m’interroge. On n’intervient qu’en situation aiguë alors qu’en agissant plus tôt, on pourrait moins dépenser.

Un certain nombre de propositions ont déjà été débattues dans cette enceinte : points d’accueil pour soins immédiats (PASI), maisons de santé pluridisciplinaires qui proposent des cabinets pour soins non programmés… Mais il faut assez de soignants, en amont comme en aval.

J’ai interrogé le Gouvernement sur les lits de réanimation, dont on manque.

Tout cela nous pose beaucoup de questions.

Oui, une réforme de la santé est essentielle, mais en apportant de vraies réponses et en prenant de vraies décisions. Les professionnels de santé devront peut-être aussi se montrer un peu moins corporatistes. Il n’est pas facile de faire de la délégation de tâches, mais il y a moins de soignants et il va falloir prendre des mesures dans ce domaine. Il importe également de s’interroger sur la permanence des soins. Loin de moi l’idée d’obliger tous les médecins à assurer ce type de prise en charge, car certains d’entre eux travaillent déjà soixante heures par semaine. Mais il faudra se poser la question de savoir pourquoi ce dispositif fonctionne dans certains départements, où il y a des volontaires, et pas dans d’autres.

En tout état de cause, nos attentes sont fortes et nous serons extrêmement attentifs aux propositions qui seront faites.

Mme Victoire Jasmin. – Le périmètre géographique devra aussi concerner les différents territoires d’outre-mer, soumis à des situations très difficiles et compliquées, notamment en raison du nombre de soignants suspendus. Nous manquons donc d’effectifs. Se pose également le problème du dépistage du cancer du sein pour les femmes. Des mesures doivent être prises, nous ne pouvons accepter d’avoir moins de moyens. De nombreuses personnes sont obligées de partir vers l’Hexagone. Nous avons aussi des problématiques liées aux accidents vasculaires cérébraux (AVC), qui sont devenus beaucoup plus fréquents. Or des cardiologues sont suspendus. Nous rencontrons un véritable problème de prise en charge tant au niveau de l’hôpital qu’au niveau ambulatoire. À cela s’ajoutent les pathologies mentales. J’ai rédigé, avec mon collègue Jean Sol, un rapport pour la commission des affaires sociales du Sénat sur la santé mentale pendant la période de pandémie. Il ressort de nos travaux que la prise en charge des personnes pose de sérieux problèmes. Sans compter que les professionnels de santé sont à flux tendu et tombent eux-mêmes également malades. Nombre d’entre eux sont arrêtés pour dépression. Les articles qui paraissent dans la presse sont inquiétants ; nous avons déjà eu beaucoup de morts. Une mission flash est lancée : il importe aujourd’hui de prendre toutes les mesures nécessaires. Pourquoi ne pas prendre en compte les différents travaux de notre commission ? Les rapports et les missions s’accumulent. Mais nous avons déjà avancé un certain nombre de propositions et de recommandations qui sont concrètes. Il serait bon de les prendre en compte pour agir au mieux dans les meilleurs délais. La situation est catastrophique, il importe d’éviter le pire !

Mme Florence Lassarade. – Vous voulez vous axer sur les territoires, je vais donc vous parler du mien. À mi-chemin entre le Lot-et-Garonne et le CHU de Bordeaux, l’hôpital de Langon, où j’ai travaillé pendant plus de trente ans, s’apprête à récupérer la maternité de Marmande pour les deux mois d’été, alors qu’un tiers des sages-femmes ont démissionné massivement il y a quelques temps. Il s’apprête également à ouvrir ses urgences à tous les Lot-et-Garonnais, excepté ceux qui habitent près d’Agen, alors que Bordeaux ferme ses urgences à partir de vingt-deux heures. Le système de filtrage des appels commencé il y a quelques jours est-il efficace ? Le 15 a-t-il assez de personnel pour répondre aux appels ?

L’hôpital de Langon a été visité par Mme Dubos et les représentants de l’ARS en grande pompe il y a huit mois. On nous avait promis qu’un bloc opératoire serait refait, car il pleut dans l’hôpital : deux blocs sur quatre sont fermés, faute de travaux. Là, ce n’est pas un problème de personnel, mais de salubrité des locaux ! Quand j’ai rappelé le directeur de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine pour savoir où nous en étions, il m’a répondu : « il faut d’abord faire un bilan, on ne peut pas construire une coquille vide » !

Un hôpital qui va doubler sa capacité d’accueil des malades pour cet été se voit refuser des murs et se fait traiter de « coquille vide » ! Les soignants et les présidents de CME ne peuvent plus entendre ça ! Des rapports sont remis à longueur d’année, y compris par les hôpitaux. À quoi sert l’ARS ?

Dernière réflexion, j’ai évoqué la démission massive du personnel en maternité. Il s’agissait pourtant de personnels en poste depuis trente ans. Je m’interroge donc aussi sur l’exigence du public. Là où les personnels travaillaient auparavant douze heures, ils en travaillent à présent quatorze : une heure de plus pour satisfaire les exigences de chacun et une heure de plus pour entrer des dossiers informatiques sur des logiciels complètement obsolètes…

M. Laurent Burgoa. – Rassurez-vous, monsieur Braun, après cinq jours de feria à Nîmes, je ne vais pas vous porter l’estocade finale d’entrée de jeu, mais j’aimerais vous interroger sur deux points.

Premièrement, vous nous avez dit dans vos propos préliminaires que vous disposiez d’à peu près 150 pistes de réflexion. Vous en avez développé une en envisageant de dispenser les médecins des tâches administratives. Comment cela va-t-il se passer dans le cadre de votre mission ? Vous nous avez dit que vos propositions seraient contrôlées d’un point de vue réglementaire par le ministère, mais quid du financement ? Où allez-vous trouver les marges budgétaires ? C’est un problème auquel nous sommes confrontés lors de l’examen de tous les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Vos propositions vont-elles entrer dans le « quoi qu’il en coûte » actuel ?

Deuxièmement, vous avez beaucoup insisté sur la territorialisation. Votre mission fera des propositions adaptées aux territoires. Comment allez-vous travailler, car les territoires sont divers et variés ? La France compte actuellement dix-huit régions. Allez-vous œuvrer avec l’ensemble des ARS ? Allez-vous associer également à vos réflexions l’ensemble des directeurs des hôpitaux ? Un mois me paraît un délai un peu court pour parvenir à faire des propositions territorialisées, sauf à être particulièrement doué…

M. René-Paul Savary. – Si cette mission est courte, c’est – semble-t-il – pour « enjamber » les élections législatives. Votre responsabilité est notamment de passer l’été. Face à cette crise, il va falloir prendre des décisions impopulaires. Avez-vous déjà envisagé des décisions difficiles comme des fermetures de service ou des réquisitions de personnel ? Si de telles mesures doivent être prises, nul besoin d’attendre le 1er juillet pour prévenir les personnels concernés. Il importe de faire au plus vite et de trouver des réponses à la hauteur de la situation. Qu’en est-il ?

M. Olivier Henno. – Nous sommes partagés face à votre crédibilité et à votre honorabilité. Nous examinons votre mission avec beaucoup de sérieux, mais l’expression de « mission flash » pose question. L’utilisation d’un tel terme risque d’ajouter désordre au désordre !

Vous parlez par ailleurs de damage control. J’ai bien peur que cela finisse par une régulation accentuée. Envisagez-vous de toucher au management, au mal-être au travail, à l’intérim, aux lourdeurs administratives ?

Enfin, je m’interroge sur la méthode. Comment est-il possible d’aller aussi vite lorsque l’on veut aborder la question de l’échelle des territoires ? N’y a-t-il pas là un risque d’extrême verticalité ? Quand on parle de damage control, c’est que la survie est en jeu. N’est-il pas dangereux de s’en remettre à une méthode flash ? Le risque n’est-il pas, en appliquant une méthode brutale, d’ajouter du désordre au désordre ?

Dr François Braun. – Une note d’optimisme se dégage de vos interventions. Finalement, nous partageons le même diagnostic et chacun a la volonté de faire bouger les lignes. C’est ce qu’attendent de nous nos concitoyens et les soignants.

Vous avez évoqué le rôle exemplaire, voire héroïque dans le quart nord-est, des soignants, je n’y reviendrai pas.

Vous parlez d’une énième mission et d’un énième rapport. J’ai donc du mal à faire passer le message : il n’y aura pas de rapport. Si vous en attendez un, vous allez être déçus !

Nous allons juste désigner quelques « traitements » pour mettre en place le damage control à très court terme. Pour chaque traitement, il y aura une petite notice explicative : pourquoi on propose ça, quels sont les effets attendus ? Et surtout, pour chaque traitement – je serai rigoureux sur ce point –, nous aurons un indicateur et nous évaluerons l’action sur les deux mois. Il s’agira bien d’actions à court terme, qui doivent être évaluées pour mesurer leur effet et savoir si elles doivent être prolongées ensuite.

Que faut-il faire d’autre ? Je l’ignore ! Cela fait plus de vingt ans que l’on dégrade notre système de santé. Je pense notamment à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST). Il est évident que ce n’est pas en trois semaines ni en deux mois que l’on va trouver toutes les solutions ! Quoi qu’il en soit, l’idée est quand même d’initier un mouvement pour changer un peu notre système de soins.

Il existe beaucoup de confusion autour de l’expression de permanence des soins. La permanence des soins, c’est la garde. Or la garde est assurée sur 96 % du territoire national par les médecins généralistes, comme le souligne le très récent rapport du Conseil de l’Ordre. Certes, elle n’est plus assurée après minuit, mais je puis vous assurer qu’après cette heure il s’agit soit de donner des conseils, soit d’aller à l’hôpital ! Ce m’intéresse surtout, c’est les 4 % du territoire où cette garde n’est pas assurée.

Il faut aussi parler de la permanence des soins dans les établissements de santé. Est-il normal aujourd’hui que dans certaines zones géographiques – je pense à Metz-Thionville – la permanence des soins en chirurgie vasculaire – c’est-à-dire les gardes de nuit et de week-end pour les urgences – ne repose que sur les deux praticiens du public alors qu’il y a deux autres chirurgiens en clinique et qu’il y en a au moins autant dans l’établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic) d’à côté ? C’est un point sur lequel il est possible d’agir très vite pour regrouper à l’échelle d’un territoire la question de la garde. Idem pour la prise en charge des patients. Il n’est pas normal qu’un patient suivi dans une clinique pour un cancer et pris en charge par les urgences de l’hôpital public pour une complication ne puisse pas réintégrer ensuite les services de ladite clinique. On nous dit « il n’y a pas de place, débrouillez-vous ». Ce n’est pas admissible ! Pendant la Covid, nous avons trouvé des solutions et nous avons réglé ce problème dans le Grand Est via une attribution des lits à l’échelle du territoire, aussi bien pour le public que pour le privé. C’est une solution qui peut aussi très rapidement être mise en place en situation de crise.

Par rapport à l’ensemble des réponses, nous ne voulons pas transiger sur les urgences vitales. Nous ne devons pas mettre en péril la vie et la santé fonctionnelle de nos concitoyens en n’assurant pas la réponse aux urgences vitales. Un axe fort doit être mis en place. Le maintien des services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) est essentiel. Je le dis devant vous, des réponses sont possibles au travers de discussions sur le niveau intermédiaire SMUR, entre les secouristes et les médecins hyperspécialisés du SAMU, en incluant probablement les infirmiers et les futurs infirmiers en pratique avancée (IPA).

Il ressort également qu’à peu près la moitié des hélicoptères de SAMU sur le territoire national ne tournent qu’en H12. Ne serait-il pas pertinent, en fonction des territoires, de les faire tourner en H24 ? Cela permettrait d’intervenir plus loin et de toucher les territoires où les SMUR sont en difficulté. Bref, les solutions sont nombreuses.

Est-ce que la régulation médicale fonctionne ? Est-il possible de réguler l’entrée dans les services d’urgence ? Le département de la Manche nous a montré que c’était réalisable entre Saint-Lô et Cherbourg, mais à une condition : dans une logique de main dans la main entre les spécialistes de l’hôpital et la médecine générale.

Les urgences de Bordeaux ne ferment pas passée une certaine heure. Elles mettent simplement en place un accueil sur régulation médicale. Les patients qui se présentent sont évalués. S’il s’agit d’une urgence immédiate, ils sont pris en charge. Sinon ils sont réorientés ailleurs. N’est-il pas légitime qu’une personne qui se présente aux urgences à vingt-trois heures trente, après le film ou le match de foot, parce qu’elle a mal au genou depuis trois semaines soit redirigée vers son médecin traitant ? Revenons à davantage de bon sens. Les services d’urgence sont devenus aussi par notre faute, à nous, urgentistes, il faut le reconnaître, un produit de consommation. À l’époque où nous étions pléthore de médecins d’urgentistes, on a dit : venez, il y a la lumière, on va s’occuper de tout, particulièrement après 2003, quand nos collègues généralistes ont fait grève pour obtenir la suppression de l’obligation de garde.

Globalement, si l’on en croit les remontées de terrain, les professionnels de l’urgence et de la médecine générale vont plutôt dans notre sens et demandent que l’on mette sur la table un certain nombre de solutions.

Quant au budget, ce n’est pas dans mes prérogatives. Nous allons proposer des traitements dont le coût sera chiffré. Des décisions seront prises, mais pas par moi. Quoi qu’il en soit, nous hiérarchiserons très clairement nos propositions. Nous proposerons notamment de valoriser financièrement certains actes effectués par nos collègues généralistes à la demande de la régulation médicale. Je parle essentiellement des actes en journée, notamment les jours fériés, pendant les ponts et le samedi matin.

Aller à l’échelle des territoires, qu’est-ce que cela signifie pour moi ? J’étais à Nîmes la semaine dernière, les SAMU sont de véritables tours de contrôle de ce qui se passe dans leur département. Par notre réseau de SAMU, nous avons des remontées d’informations parfois passionnées, qu’il faut filtrer un peu, mais en tout cas extrêmement précises, ce qui permet d’évaluer ce qui ne va pas : à tel endroit, il s’agira de la permanence des soins ou de la continuité des soins en journée, à d’autres endroits, il s’agira de l’absence de garde en médecine générale la nuit. Voilà ce que cela signifie quand je parle d’examiner la situation au niveau des territoires.

Cette cartographie précise des territoires, département par département, a quasiment été faite. Il faudra probablement aller à l’échelle des CPTS, qui est certainement, même s’il n’y en a pas partout, l’échelle la meilleure en termes de fonctionnement. À mon sens, l’une des solutions serait d’intégrer les CPTS à l’hôpital et aux cliniques, comme c’est le cas à Metz.

Y aura-t-il des décisions difficiles à prendre, des réquisitions ou des fermetures ? Malheureusement, les fermetures existent déjà. Notre rôle, à nous, en tant que professionnels, c’est de savoir comment faire, dans le cadre de fermetures qui ne sont pas décidées par les professionnels eux-mêmes, pour continuer à assurer la prise en charge des patients, surtout les urgences vitales. C’est certes dramatique si quelqu’un doit faire 40 kilomètres pour un traumatisme de la cheville, mais on doit pouvoir se déplacer jusqu’au patient s’il s’agit d’un infarctus du myocarde. Tel est le véritable enjeu.

Parmi les décisions difficiles, se posera certainement la question de l’obligation de la garde. En tout état de cause, je ne suis pas naïf, cela ne se fera pas au 1er juillet. En revanche, c’est un sujet qui doit rester sur la table pour le moyen terme et le long terme. Je le redis : la garde est assurée dans l’immense majorité des cas. C’est plus la prise en charge de patients adressés par la régulation médicale en journée qui serait quelque chose d’intéressant à mettre en œuvre.

M. Alain Milon. – Je suis désolée d’intervenir, mais je ne suis absolument pas d’accord avec vous ni avec d’autres, d’ailleurs, lorsque vous dites que tous les problèmes de l’hôpital viennent de la loi HPST. C’est absolument faux !

Les problèmes viennent de la non-compensation des 35 heures par du personnel supplémentaire. Ils viennent aussi un peu probablement de la tarification à l’activité (T2A) et de la loi de 2002 de M. Mattei sur la suppression de l’obligation de permanence des soins. HPST est une loi d’organisation et de gouvernance. HPST a créé les ARS, les pôles, les directeurs d’hôpitaux, les maisons de santé pluridisciplinaires, mais elle n’a pas joué de rôle financier. J’aimerais vraiment que l’on arrête de dire ça, car vous n’êtes pas le seul à le dire – j’ai entendu récemment M. Bardella affirmer la même chose. C’est un discours un peu facile de critiquer un gouvernement qui a fait énormément pour les hôpitaux.

Dr François Braun. – Je suis tout à fait d’accord avec vous, j’ai trop généralisé en parlant de la loi HPST. Votre remarque me donne néanmoins l’occasion de revenir sur les pôles. Quand on discute avec les professionnels dans les hôpitaux, on s’aperçoit que les pôles sont une catastrophe. Excusez-moi de le dire, ils ont créé des baronnies qui ne se parlent plus entre elles. Il faut en revenir à la notion de services. Rien n’empêche que les services se fédèrent et coopèrent entre eux. Mais les pôles sont un des éléments responsables de la perte de sens à l’intérieur de l’hôpital, même si ce n’est pas le seul.

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