Intervention de Jérôme Durain

Réunion du 12 juillet 2022 à 14h30
Diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne — Discussion générale

Photo de Jérôme DurainJérôme Durain :

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, nous apprenons à vivre avec les réseaux sociaux. Mais les réseaux sociaux évoluent sans cesse. Nous avons découvert voilà une dizaine d’années que les islamistes radicaux utilisaient internet. Nous découvrons depuis peu que d’autres terroristes, racistes, masculinistes, parfois homophobes, sont tout aussi à l’aise avec les réseaux sociaux.

J’en veux pour preuve le récent acte terroriste commis aux États-Unis, à Buffalo, par un suprémaciste blanc. L’auteur a diffusé ses actes en direct sur la chaîne Twitch. La vidéo concernée a été retirée en moins de deux minutes. Comme l’a rappelé France Culture : « C’est considérablement moins que les 17 minutes qu’il avait fallu à Facebook pour retirer une vidéo similaire diffusée par le suprémaciste blanc autoproclamé qui avait tué 51 personnes dans deux mosquées néo-zélandaises à Christchurch en 2019 ». Mais ces deux minutes ont suffi pour que certains copient les images concernées et les rediffusent à leur tour. Le temps réel constitue bel et bien un défi en ce qui concerne le contrôle de la propagation des contenus terroristes en ligne.

La proposition de loi que nous examinons en séance aujourd’hui porte sur de tels enjeux. On s’interrogera, comme de nombreux collègues sur toutes les travées, sur le véhicule législatif choisi.

L’adoption du règlement Terrorist Content Online (TCO) nécessite une adaptation de la législation nationale. Ne pas le faire placerait la France en contradiction avec ses obligations et engagements européens. C’est bien la raison pour laquelle un projet de loi s’imposait ! Le Parlement aurait tiré profit de l’étude d’impact et, surtout, de l’avis du Conseil d’État sur la compatibilité du règlement avec notre ordre constitutionnel. En ce début de quinquennat et de législature à l’Assemblée nationale, espérons que cette mauvaise habitude de recourir abusivement aux propositions de loi, qui avait prévalu lors du mandat précédent, disparaisse !

Des clarifications s’imposent quant à la compatibilité de la définition européenne des contenus à caractère terroriste, moins restrictive, avec celle qui prévaut aujourd’hui en droit français, laquelle assure une appréciation « manifeste ». De même, peut-on considérer que la détermination illicite des contenus terroristes ne relève pas de la seule appréciation de l’administration dès lors que le règlement européen prévoit le contrôle d’une personnalité qualifiée désignée au sein d’une autorité administrative indépendante (AAI), ainsi que le recours suspensif au juge administratif ?

L’objectif principal recherché par la présente proposition de loi, c’est-à-dire la lutte contre le terrorisme et sa propagande, n’est pas contestable. Son dispositif a vocation à s’insérer dans le cadre du régime de blocage administratif en vigueur dans notre droit interne.

Si l’hébergeur ou le fournisseur de contenus refuse de se conformer à l’injonction de retrait du contenu dans l’heure, une demande de blocage pourra être adressée par l’autorité administrative au fournisseur d’accès à internet à l’issue d’un délai de vingt-quatre heures, conformément à la législation en vigueur, c’est-à-dire l’article 6-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Enfin, soulignons, à l’instar des considérants préliminaires au règlement TCO, que les mesures réglementaires visant à lutter contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne doivent être complétées par des stratégies des États membres pour combattre le terrorisme. Ces stratégies comprennent le renforcement de l’éducation aux médias et de l’esprit critique, l’élaboration de discours alternatifs et de contre-discours, ainsi que d’autres initiatives visant à réduire l’impact des contenus à caractère terroriste en ligne et la vulnérabilité à l’égard de ces contenus. Elles peuvent aussi porter sur l’investissement dans le travail social, les initiatives de déradicalisation et le dialogue avec les communautés touchées, afin de parvenir à une prévention durable de la radicalisation dans la société.

Mon groupe et moi-même avons entendu les critiques sur les délais accordés aux fournisseurs d’accès, ainsi que les interrogations quant au pouvoir extravagant de certains algorithmes supposés régir les publications des réseaux sociaux. Oui, les réseaux sociaux sont parfois plus prompts à réagir en cas de non-respect du copyright qu’en cas de diffusion de contenus supposés inciter à la violence ! J’ai précédemment évoqué Twitch, mais j’ai du mal à distinguer les bons ou les mauvais élèves en la matière.

Vous avez peut-être entendu comme moi parler des conséquences de l’évolution de la position des juges suprêmes sur l’avortement aux États-Unis. Facebook et Instagram censurent immédiatement tout post qui tend à communiquer sur la délivrance de pilules abortives.

Ainsi, des utilisateurs ont vu leurs posts du type : « Si vous m’envoyez votre adresse, je vous enverrai des pilules abortives » supprimés sans attente. Ils ont été choqués de découvrir que s’ils écrivaient : « Si vous m’envoyez votre adresse, je vous enverrai des armes », leurs messages pouvaient rester en ligne sans difficulté. Mais la suppression des contenus de Christchurch en deux minutes devrait nous convaincre, et convaincre les plus sceptiques, que les réseaux sociaux prennent le terrorisme au sérieux.

Pour terminer, je tiens à saluer le rapporteur : bien qu’il ait dû travailler dans une extrême urgence, il a contribué à éclaircir les flous pouvant exister en ce qui concerne la compatibilité de ce nouveau dispositif avec ce qui existait déjà en France dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Je souligne également son souci d’aboutir à un dispositif plus stable que la loi Avia, tristement célèbre sur ces questions.

En conséquence, notre groupe votera en faveur de ce texte tel qu’amendé par notre rapporteur.

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