Avec cet article, nous entrons dans le dur de la réforme de la médecine du travail et de la contestation de toute une profession.
Un rôle méconnu, un fonctionnement complexe, un financement opaque, des moyens et des effectifs insuffisants : depuis plusieurs années, différents rapports ont mis en lumière les dysfonctionnements de la médecine du travail et, plus généralement, du système français de santé au travail.
Depuis deux ans, les partenaires sociaux avaient entamé une intense et difficile négociation en vue d’une refonte des services de santé au travail instaurés en 1946. C’est pourquoi ils n’ont pas compris que le Gouvernement coupe court à tout ce processus en faisant adopter à l’Assemblée nationale une dizaine d’amendements reprenant, pour l’essentiel, purement et simplement les positions patronales sur le sujet, même si vous avez fait un pas en matière de paritarisme, monsieur le ministre, comme vous l’aviez d’ailleurs annoncé lors de votre audition par la mission d’information sénatoriale sur le mal-être au travail.
Voilà pourquoi toute une profession s’est insurgée. Comme moi, vous êtes sans doute nombreux, mes chers collègues, à avoir reçu des courriels envoyés par des médecins du travail en colère.
Fort heureusement, le travail effectué par la commission des affaires sociales a modifié de façon positive certains aspects du texte initial. Mais ce n’est pas suffisant pour changer l’économie générale de la réforme. À l’évidence, nous ne pouvons pas accepter un texte qui préfigure la fin de la médecine du travail et la transforme en un service de santé publique dirigé par les employeurs, lesquels n’ont pas d’autre but que de s’exonérer de leurs responsabilités.
Aujourd’hui, la France est la lanterne rouge en Europe dans la plupart des indices de santé au travail. Les besoins sont donc immenses. Il n’est plus à démontrer qu’une réforme s’attaquant aux vrais empêchements à la prévention ferait faire un bond en avant, tant à la santé publique qu’à la cohésion sociale. Mais la réforme que vous proposez ici ne touche à aucun des déterminants de progrès précisément identifiés par les professionnels de terrain impliqués.
Alors qu’il est urgent de libérer les acteurs de santé pour qu’ils œuvrent en toute indépendance, la mission de santé au travail est retirée aux médecins pour être confiée aux gestionnaires employeurs. Ces derniers n’ont pourtant aucune compétence en la matière et sont porteurs d’un grave conflit d’intérêts, que l’on a déjà vu à l’œuvre dans les dysfonctionnements des services de santé au travail et dans des instances comme le Comité permanent amiante, aboutissant aux drames que l’on connaît.
A contrario, nous croyons que la confusion organisée dans ces jeux d’intérêts doit être cassée.
À nos yeux, la question de la gestion des risques, qui doit être assurée par les employeurs, ne doit pas être amalgamée avec l’exercice de la santé au travail, comme le prévoit le projet actuel. On ne peut absolument pas confier aux employeurs la responsabilité de définir la mission des médecins du travail. C’est un peu comme si l’on confiait le contrôle de la sécurité des médicaments aux laboratoires pharmaceutiques !