Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juillet 2022 à 10h00
« stages en juridictions » effectués dans les tribunaux judiciaires au cours des mois de mars à mai 2022 — Communication

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, président :

Mes chers collègues, nous sommes douze à avoir participé à un « stage d'immersion » en juridiction entre septembre 2021 et juin 2022. Nous avons sollicité à cet effet six tribunaux judiciaires du groupe 1, c'est-à-dire des tribunaux avec un contentieux important et diversifié : Paris, Lyon, Rouen, Lille, Marseille et Bordeaux. L'initiative du Sénat a été fortement appréciée par les chefs de juridiction ainsi que les directeurs de greffe, qui nous ont accueillis avec enthousiasme et sympathie. Le format d'une immersion sur deux jours, propre au Sénat, a été salué par nos interlocuteurs.

La rencontre, sur le terrain, entre sénateurs, magistrats et fonctionnaires de justice apparaissait d'autant plus nécessaire compte tenu du contexte actuel, marqué par une expression publique inédite des magistrats témoignant des difficultés de l'administration de la justice dans notre pays. L'idée d'une immersion en juridiction est née au moment de l'Agora de la justice que nous avons organisée au Sénat le 27 septembre 2021 et qui a mis en lumière la nécessité de restaurer un climat de confiance entre la justice et le reste de la société.

Ces stages avaient pour objectif de prendre connaissance des conditions de fonctionnement de la permanence du parquet, et d'assister à des audiences au pénal et de comprendre les conditions de fonctionnement de la justice aux affaires familiales, et le cas échéant d'assister à des audiences de cabinet, au civil. Plus généralement, il s'agissait de percevoir le fonctionnement concret de la juridiction et notamment de l'activité des services de greffe, trop souvent oubliée et pourtant essentielle à la bonne marche de l'institution.

Je crois que la situation de sous-effectif, tant en magistrats qu'en greffiers, est commune à toutes les juridictions. Les difficultés liées à l'informatique aussi, et nous les connaissons ici très bien ! Le décalage entre les annonces du ministère de la justice et la réalité sur le terrain est d'ailleurs patent.

Vous allez chacun pouvoir témoigner de vos constats et de vos réflexions sur le fonctionnement de ces juridictions, mais je souhaitais au préalable évoquer trois des séquences les plus notables de mon immersion au tribunal judiciaire de Lyon et au tribunal de proximité de Villeurbanne, en mars dernier.

Notre entretien avec le service de l'instruction a été fort intéressant sur les effets concrets des dispositions législatives que nous votons : elles peuvent parfois constituer des freins à une justice diligente. Les juges d'instruction nous ont expliqué comment le contentieux de la détention provisoire pouvait emboliser les cabinets d'instruction, notamment au moment de la grève des avocats, en 2021, par la multiplication des demandes de remise en liberté ou d'actes supplémentaires, juste avant les délais de clôture, ce qui entraîne un rallongement des procédures. Les juges d'instruction nous ont fait des propositions intéressantes pour cantonner les demandes de mise en liberté en allongeant, par exemple, le délai de traitement accordé aux juges d'instruction et de la liberté et de la détention.

Cet exemple met en exergue la problématique centrale que nous avons à nous poser à chaque réforme de la justice et plus spécifiquement de la procédure pénale : comment concilier la protection des libertés, à laquelle le Sénat est traditionnellement très attaché, avec l'objectif de bonne administration de la justice. Il nous faut trouver le bon équilibre et ces échanges très concrets et directs avec les juridictions peuvent nous y aider.

Autre échange intéressant, celui que nous avons eu avec le service du juge des libertés et de la détention. Ce juge qui avait à l'origine une vocation claire sur le plan pénal, celle d'autoriser les mesures privatives de liberté, a connu un accroissement très important du contentieux qui lui est confié sans bénéficier, pour autant, de moyens supplémentaires pour remplir son office. Il faut reconnaître qu'il est devenu la référence dès lors qu'il est question de restriction ou privation de liberté. Le dernier contentieux en date, celui de la contention et de l'isolement lors d'une hospitalisation sans consentement, que le législateur lui a confié suite à deux censures du Conseil constitutionnel, leur pose question : ils ne voient pas la plus value qu'ils peuvent apporter compte tenu des conditions dans lesquelles ils rendent les décisions. Ces interrogations pragmatiques sur la pertinence de cette intervention doivent pouvoir être prises en compte.

Dernier point, le rôle social de la justice. Si cela peut sembler une évidence, cela était tout à fait frappant au tribunal de proximité de Villeurbanne, lors des audiences des juges des tutelles ou du tribunal sur le surendettement auxquelles j'ai pu assister. J'ai pu mesurer à quel point la masse de ce contentieux du quotidien pesait sur le greffe du tribunal, très organisé, et sur les magistrats, très mobilisés.

Je cède désormais la parole à ceux d'entre vous qui ont participé à ces stages.

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