Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juillet 2022 à 10h00
« stages en juridictions » effectués dans les tribunaux judiciaires au cours des mois de mars à mai 2022 — Communication

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

J'ai participé au stage en immersion au tribunal judiciaire de Rouen. Je connaissais déjà le fonctionnement de l'institution judiciaire, ayant présidé en 2016 la mission pluraliste de la commission des lois sur le redressement de la justice. Je remarque d'ailleurs que certaines des conclusions prometteuses des états généraux de la justice s'inspirent du rapport d'information « Cinq ans pour sauver la justice ! » que nous avions adopté à l'issue de ce travail de contrôle approfondi.

Pour autant, cette expérience a été extrêmement enrichissante car j'ai pu regarder par le trou de la serrure le fonctionnement de la justice. À la permanence du parquet, j'ai assisté à un échange téléphonique entre une magistrate et un officier police judiciaire. Elle a cadré les échanges pour faire en sorte que la procédure ne soit pas viciée. Le policier, pourtant très respectueux de la justice, s'en est agacé. Si ce cadrage n'avait pas eu lieu, il n'aurait pas pu y avoir de poursuites. Une heure plus tard, l'officier de police judiciaire a présenté le résultat de son enquête. La magistrate a voulu mettre sous écrous un individu qui, un an auparavant, avait fait l'objet d'une plainte de sa conjointe. L'enquête n'avait pas été faite. Il a fallu un an pour boucler l'affaire. J'étais alors convaincu du bien fondé de la décision prise par la magistrate du parquet.

L'après-midi, dans le bureau de la juge des libertés et de la détention, je pensais que la décision serait confirmée mais la magistrate du siège, après s'être plongée dans le dossier, a choisi de laisser l'individu en liberté. Elle m'en a donné les raisons et j'ai fini par me rallier à sa position.

Je tire plusieurs enseignements de cet épisode. D'abord, la justice n'est pas si mal faite car elle repose sur des magistrats remarquables. Mais elle est parfois soumise à des dysfonctionnements ; en l'occurrence, l'enquête aurait en effet dû être bouclée il y a un an. La justice est humaine car l'individu n'avait pas fait l'objet de nouveaux signalements depuis ces faits et il était devenu le père d'un bébé dont il aurait été privé s'il avait été placé en détention. La juge des libertés et de la détention a pris le recul nécessaire pour ne pas céder au réflexe répressif.

La justice s'immisce dans l'intimité des gens dans les affaires de divorce et de garde des enfants. Les couloirs du tribunal judiciaire ressemblent parfois à la cour des miracles. J'ai vu toute la misère du monde s'exprimer, notamment en comparution immédiate. Toute cette matière humaine terriblement exposée est prise en charge par la justice qui est submergée par les difficultés de la société. Les avocats, pas toujours au niveau, ne maîtrisent pas toujours les dossiers et les magistrats sont parfois agacés et submergés de travail. Mais la justice trouve en elle-même le recul nécessaire pour appliquer le droit avec rigueur tout en pétrissant cette pâte humaine. Les greffiers et les magistrats sont des gens confrontés à de grandes difficultés et à la saturation du prétoire. Il exercent des métiers de vocation. Tout comme aux urgences hospitalières, la justice fait ce qu'elle peut pour faire face et répondre aux pathologies de la société.

Mes chers collègues, je ne saurais que vous inciter à participer aux futurs stages en immersion qui permettent de toucher du doigt cette réalité très difficile. Il y a urgence à traiter les difficultés de la justice pour notre société.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion