Intervention de Esther Benbassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juillet 2022 à 10h00
« stages en juridictions » effectués dans les tribunaux judiciaires au cours des mois de mars à mai 2022 — Communication

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Je vais à présent vous rendre compte du stage que Jérôme Durain et moi-même avons eu l'opportunité d'effectuer au sein du tribunal judiciaire de Paris les 7 et 8 mars 2022.

Je tiens en tout premier lieu à saisir l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous pour remercier l'ensemble des équipes du tribunal judiciaire, à commencer par son président Stéphane Noël et la procureure de la République, Laure Beccuau, pour la qualité de l'accueil qui nous a été réservé. Si ce stage en immersion s'est avéré si riche, nous le devons en grande partie à la disponibilité des équipes du tribunal, qui ont su présenter avec une grande ouverture leur activité quotidienne et ses difficultés. Ces échanges à bâtons rompus avec les acteurs très divers qui font vivre la juridiction au quotidien ont été un réel privilège.

Comme vous le savez chers collègues, le tribunal judiciaire de Paris fait, parmi les juridictions du pays, figure d'exception. Hors-normes par le nombre et la diversité des affaires qu'elle doit traiter, la juridiction se distingue tant par les défis auxquels elle est confrontée que par l'organisation qu'elle a retenue, largement pensée pour répondre à ceux-ci.

En premier lieu, la compétence du tribunal judiciaire s'avère particulièrement étendue. Comme nous l'a rappelé le président Noël, au-delà de ses compétences de droit commun, le tribunal judiciaire de Paris dispose, d'une part, de compétences inter-régionales en matière de criminalité organisée et d'infractions économiques et financières complexes, d'affaires de santé publique, ou d'accidents collectifs et, d'autre part, de compétences nationales en des matières telles que les crimes contre l'humanité et crimes de guerre, les crimes et délits commis hors du territoire par les membres des forces armées françaises, les affaires de corruption ou de fraude fiscale ou, enfin, de terrorisme. Cette spécificité se traduit par la présence exceptionnelle de quatre parquets au sein du tribunal judiciaire de Paris : le parquet de Paris, sous l'autorité de la procureure de la République ; le parquet national anti-terrorisme (PNAT), le parquet national financier (PNF), ainsi que le parquet européen.

En second lieu, au-delà de leur diversité, les affaires traitées par le tribunal judiciaire se caractérisent par leur nombre : il constitue ainsi le premier des 164 tribunaux français en nombre annuel d'affaires traitées. Nous avons à cet égard pu constater l'ampleur du service d'accueil unique des justiciables (SAUJ), qui mobilise un nombre important d'agents de greffe.

L'organisation de la juridiction a naturellement été pensée pour répondre au défi que représente cette spécificité. La juridiction mobilise ainsi un nombre important de personnels, dont 516 magistrats au total, et des moyens conséquents dont le symbole demeure le bâtiment abritant le tribunal, largement critiqué par ses principaux usagers pour son défaut de fonctionnalité et ses diverses malfaçons. La juridiction s'organise au surplus selon des modalités spécifiques, permises ou rendues nécessaires par la volumétrie des affaires qu'elle traite : à titre d'exemple, la permanence « P12 » du parquet de Paris pratique le rappel à la loi par déferrement, présenté comme innovant à l'échelle des autres juridictions françaises.

Je voudrais témoigner du fait que, dans un tribunal, on est confronté à toute la misère du monde. Assistant à une audience de comparutions immédiates, j'ai été marquée par ce prévenu qui était jugé une fois de plus pour avoir frappé ses parents, chez qui il habite. Lorsque le juge lui a demandé pourquoi il restait vivre chez ses parents, il a affirmé qu'il ne pouvait faire autrement. C'était manifestement un individu qui aurait mérité de bénéficier de soins psychiatriques de longue durée.

Jugée privilégiée à certains égards, l'organisation du tribunal judiciaire de Paris n'en est pas moins confrontée à certaines difficultés propres : un turn-over important, notamment au sein du greffe qui connaît un taux de vacance de postes de l'ordre de 10 %, en raison du coût de la vie en région parisienne et du défaut d'accompagnement de la chancellerie ; l'inapplicabilité à la juridiction parisienne de certaines expérimentations : à titre d'illustration, l'expérimentation d'une nouvelle gestion des scellés, concluante dans des juridictions de petite taille, n'a pas fait ses preuves au tribunal judiciaire de Paris, comme nous l'a indiqué la directrice du greffe.

Pour autant, la visite de la délégation a également été l'occasion de renouveler certains constats généralement faits au sein de l'ensemble des juridictions françaises.

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