Comme Esther Benbassa, je souhaite remercier chaleureusement les chefs de juridiction et les personnels qui nous ont accueillis pendant ces deux jours d'immersion au tribunal judiciaire de Paris. Je crois que nous devons continuer à nous imprégner de l'expérience et des remarques de ces professionnels.
La juridiction parisienne n'échappe malheureusement pas à certaines difficultés plus habituellement rencontrées au sein des tribunaux judiciaires de notre pays. De ce qu'il nous a été donné de voir, elles s'articulent principalement autour de deux questions : l'inflation normative, d'une part, et la lancinante question des moyens accordés à la justice, d'autre part, notamment pour se doter d'outils informatiques performants.
En premier lieu, l'ensemble des acteurs rencontrés ont appelé à une modération normative, y compris de la part du législateur. Si les magistrats ont salué l'oeuvre constructive à laquelle peut procéder le législateur, s'agissant par exemple de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou, en matière de tutelles, de l'habilitation familiale, certaines innovations législatives ont été mises en question par les magistrats rencontrés. Il en est ainsi allé de la suppression au 1er janvier 2023 du rappel à la loi, prévue par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire. La disparition de cette mesure, qui constituait un outil couramment mobilisé par les magistrats au sein de la palette de la procédure pénale, au profit de l'avertissement pénal probatoire, semble conçue comme génératrice d'incertitude pour les magistrats du parquet rencontrés. Plus généralement, la complexité des procédures, dont les temporalités diffèrent souvent, tendent à compliquer le travail des magistrats.
En second lieu, sans nécessairement remettre en cause sur le fond des modifications législatives, les personnels rencontrés ont émis des réserves et critiques sur les modalités concrètes de leur conduite. À titre d'exemple, la pratique de réformes sans étude d'impact préalable, notamment par le biais de propositions de loi, a été perçue comme particulièrement problématique. Par ailleurs, la capacité des juridictions à contribuer efficacement à d'éventuelles études d'impact, antérieures ou postérieures à l'adoption d'une mesure, est gravement obérée par l'absence d'outils statistiques fiables et partagés entre les juridictions.
Par ailleurs, sans surprise, la visite de notre délégation a été l'occasion pour ses personnels de déplorer, à tous les échelons, le manque de moyens dont pâtit la juridiction parisienne, qui demeure confrontée à plusieurs anomalies. En matière de ressources humaines, la juridiction pourrait gagner en attractivité. Le ratio entre magistrats du parquet et du siège, d'environ un pour deux, témoigne d'un nombre insuffisant de magistrats du siège, un ratio normal pour une juridiction de cette taille devant se situer aux alentours d'un pour trois magistrats. S'agissant des services du greffe, l'attractivité de la juridiction gagnerait également à être renforcée notamment par un accompagnement social de la part de la chancellerie ; il peut ainsi paraître anormal que la construction de logements pour le personnel n'ait pas été prévue dans le cadre du partenariat public-privé ayant permis la construction du tribunal...
Par ailleurs, les services rencontrés par la délégation font état d'une très grave dégradation des conditions de travail des personnels en raison de systèmes d'information structurellement défaillants. En matière civile, les logiciels de suivi de la procédure ne sont pas harmonisés à l'échelle nationale et le ministère ne fournit pas nécessairement de consigne pour la migration de données d'un logiciel à l'autre. Certains logiciels ont été développés il y a plus de 30 ans et ne sont plus mis à jour ; ainsi en va-t-il de TUTI, le logiciel utilisé par le service des tutelles, dont la base de données est aujourd'hui saturée. Dans ces conditions, la mise en service annoncée mais sans cesse repoussée du logiciel Portalis est accueillie avec une vive circonspection par les personnels concernés. Au surplus, les nombreux dysfonctionnements informatiques empêchent de progresser sur la question de la dématérialisation des dossiers. Le service des tutelles, par exemple, est d'ores et déjà contraint de réquisitionner des bureaux pour stocker des dossiers.
Souvent décrit comme une juridiction privilégiée, le tribunal judiciaire de Paris n'en demeure pas moins confronté à des défis de taille, tenant à sa spécificité mais également à la situation propre à l'ensemble des juridictions françaises. Il nous revient désormais, forts du tableau que nous aurons brossé dans le cadre de nos divers stages, de prêter un regard particulièrement attentif au fonctionnement des juridictions de notre pays, au service des justiciables.