Intervention de Hussein Bourgi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juillet 2022 à 10h00
« stages en juridictions » effectués dans les tribunaux judiciaires au cours des mois de mars à mai 2022 — Communication

Photo de Hussein BourgiHussein Bourgi :

J'ai effectué mon stage en immersion les 4 et 5 avril au tribunal judiciaire de Lille. Les chefs de juridiction et les personnels ont fait part de leur gratitude à l'égard de notre commission des lois pour cette initiative. Ils ont particulièrement apprécié qu'un sénateur d'un autre département que celui du Nord s'intéresse à leur juridiction.

Cette juridiction a une activité pénale très lourde, notamment car elle a dans son ressort le port du Havre qui est un très important point d'entrée de stupéfiants en provenance de l'Amérique latine, et le Calaisis avec toutes ses problématiques de traite d'êtres humains liées au passage des migrants en Grande-Bretagne. Elle est également en pointe sur la cybercriminalité car l'hébergeur OVH est implanté à Roubaix.

Du point de vue de la délinquance du quotidien, c'est un « bassin de délinquance dynamique », selon l'expression de la procureure de la République, avec un nombre très important d'infractions liées aux stupéfiants. C'est un phénomène que l'on retrouve dans toutes les régions frontalières. Le parquet travaille au quotidien, dans le cadre des groupes locaux de prévention de la délinquance pour apporter des réponses localisées en coopération avec les bailleurs sociaux et éviter que des quartiers soient aux mains des trafiquants. Avec la difficulté toutefois que les réseaux se reconstituent très rapidement... Nous connaissons aussi ce phénomène à Marseille. Sauf changement dans la composition de leur famille, les locataires se voient refuser pas leurs bailleurs sociaux un logement dans un quartier plus tranquille. Il faut à tout prix éviter ces zones de non-droit.

Sur le plan civil, l'activité est également soutenue, le ressort comportant les sièges sociaux de très grandes entreprises telles La Redoute, le groupe Mulliez, Bonduelle, ce qui amène des contentieux en droit social, droit de la consommation ou même droit de la construction.

Une autre caractéristique du ressort est que le département du Nord est le plus peuplé de France, avec une population très jeune, souvent dans des situations de grande précarité, en échec scolaire ou au chômage, ce qui entraîne de nombreuses interventions des juges des enfants. Certains mineurs ont déjà à leur actif de nombreuses infractions commises en état alcoolique ou sous l'emprise de stupéfiants.

Comme tous les tribunaux de France, Lille est très mobilisé pour lutter contre les violences intrafamiliales. Le tribunal a cependant pour originalité d'accueillir en son sein des associations d'aide aux victimes, ce qui favorise leur prise en charge.

Un effort important a été fait pour fluidifier la chaîne de traitement de ces dossiers dès le signalement : les situations de violence intrafamiliales sont mieux détectées et évaluées dès la plainte. Les médecins du CHU de Lille sont incités à utiliser les possibilités que leur offre le code pénal pour révéler les faits et le conseil de l'ordre semble prêt à faire également évoluer les pratiques des médecins libéraux.

J'ai pu assister en comparution immédiate au jugement d'une affaire particulièrement édifiante en la matière où toute la famille était depuis une dizaine d'années sous l'emprise du père et minimisait l'importance des violences subies, par la mère principalement, mais également par la belle-mère et la fille. Aucune des victimes n'étaient d'ailleurs présentes ni représentées, à l'exception de la fille mineure représentée par un mandataire ad hoc. Cette affaire était l'illustration du déni et de la banalisation des faits de violences intrafamiliales que l'on peut constater chez les voisins et chez certaines victimes elles-mêmes.

J'ai assisté à une audience du tribunal pour enfants. Des jeunes étaient jugés pour des faits de vol en réunion avec effraction remontant à 2014 et étaient tous majeurs depuis de nombreuses années. Vous imaginez que les questions du président pour reconstituer les évènements ne recevaient que des réponses assez évasives. Par ailleurs, on peut douter du sens d'une sanction huit ans après l'infraction.

En matière de contentieux sur le droit des étrangers, j'ai pu constater que la préfecture de Lille est systématiquement représentée à l'audience, ce qui permet à l'étranger d'entendre les raisons pour lesquelles son maintien sur le territoire n'est pas souhaité.

S'agissant, pour terminer, du fonctionnement de la juridiction, nos interlocuteurs ont souligné l'importance des contractuels dont l'aide a été précieuse pour réduire tant les délais d'instruction que le nombre de dossiers en stock. Les chefs de juridiction et le directeur de greffe souhaitent que cette aide apportée à la juridiction soit pérennisée en donnant à ces contractuels un statut de droit commun. Enfin, un nouveau tribunal doit être construit, qui doit remplacer l'actuel, qui date de la fin des années 1970. Or il s'avère que la juridiction elle-même n'a pas été véritablement consultée sur ses besoins en amont du projet, qui se caractérisera par une baisse de superficie au profit de la juridiction. L'absence d'un véritable dialogue entre l'administration centrale (l'APIJ notamment) et les acteurs de terrain qui font fonctionner la juridiction au quotidien est pour le moins critiquable. Quel sera l'intérêt de cette opération s'il faut à terme louer des locaux complémentaires ?

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