Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 2022, le taux d’inflation devrait atteindre au moins 5, 5 %, un niveau que la France n’avait pas enregistré depuis 1985. Nous avions collectivement fini par oublier les conséquences d’une forte inflation. Mais elles se rappellent brutalement aux Français, qui voient grimper en flèche le coût de la vie dans tous les territoires.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a justement pour objet d’apporter une partie de la réponse des pouvoirs publics à une très forte demande sociale, parallèlement au collectif budgétaire qui est examiné par la commission des finances. Nous connaissons les attentes légitimes de nos concitoyens à cet égard.
Or, loin d’y répondre, nombre d’articles du projet de loi transmis au Sénat la semaine dernière formaient un ensemble hétéroclite, ne présentant qu’un lien ténu avec l’enjeu de préservation du pouvoir d’achat des ménages.
Notre commission a souhaité modifier le texte en partant d’un principe simple : apporter une réponse immédiate et concrète aux difficultés de nos concitoyens face à l’inflation, tout en privilégiant à cette fin la valorisation du travail.
Ainsi, nous avons revu l’article 1er pour faire en sorte que la prime que vous proposez d’instaurer, messieurs les ministres, permette aux employeurs de soutenir de manière tangible leurs salariés sans se substituer à d’autres éléments de rémunération. Nous avons rebaptisé celle-ci « prime de pouvoir d’achat ». Nous l’avons bornée dans le temps, au 31 décembre 2023, sauf pour les entreprises de moins de cinquante salariés, et, tout en permettant aux employeurs de fractionner le versement dans l’année, nous avons limité à quatre le nombre de versements.
Cette même approche nous a conduits à introduire un article 1er bis, qui prévoit une réduction de cotisations sociales patronales sur la majoration de salaire au titre des heures supplémentaires. Car, pour que les salariés qui le souhaitent puissent récolter les fruits de leur travail, il faut que leur employeur soit en mesure de les payer.
Dans un esprit de responsabilité pour nos finances publiques, l’article laisse au Gouvernement le soin de fixer par décret le montant de la réduction.
L’allégement des cotisations sociales des indépendants, prévu à l’article 2, s’inscrit lui aussi dans une logique de soutien au pouvoir d’achat des travailleurs, pour un gain de l’ordre de 550 euros par an au niveau du SMIC.
La commission a tenu à mieux encadrer le dispositif, à en corriger les imperfections et à en garantir la pérennité, sans oublier le cas spécifique des micro-entrepreneurs, qu’a abordé M. le ministre.
Je regrette toutefois l’effet de seuil lié à la forte augmentation du taux de cotisation prévu par le Gouvernement, entre 17 000 euros et 25 000 euros de revenus. Ce n’est pas a priori de nature à inciter au travail.
Du reste, les travailleurs indépendants ne percevront les frais d’une telle mesure qu’à compter du début de l’année 2023. Cette échéance est bien lointaine au regard de l’urgence de la situation.
L’article 5 prévoit une revalorisation de 4 % des prestations sociales au 1er juillet. Je le rappelle, il ne s’agit que d’une avance sur la revalorisation prévue par la loi au 1er janvier ou au 1er avril 2023. Ainsi, un soutien non négligeable sera apporté notamment à nos aînés, dont le pouvoir d’achat s’est particulièrement érodé au cours des dernières années, du fait des différentes mesures de sous-indexation des pensions mises en œuvre par le Gouvernement. Bien que cette revalorisation ne suffise pas, tant s’en faut, à compenser la dégradation du niveau de vie des retraités depuis 2017, elle n’en est pas moins bienvenue.
J’aimerais évoquer les autres prestations concernées. Il est permis de s’interroger – je pense que nous aurons l’occasion de le faire – sur l’uniformité de la revalorisation proposée, compte tenu de l’objectif de valorisation du travail affiché par le texte.
La commission a par ailleurs adopté, à l’article 3, quelques ajustements bienvenus au régime de l’intéressement en entreprise. Ceux-ci visent à faciliter son développement, même si l’effet ne sera – vous l’avez concédé lors de notre entretien, monsieur le ministre – que très indirect sur le pouvoir d’achat des salariés.
Dans le prolongement des mesures de simplification proposées, nous avons prévu également de raccourcir les délais d’agrément des accords de branche sur l’intéressement et la participation. Ceux-ci doivent être rapidement applicables, afin que les petites entreprises les utilisent pour développer l’intéressement.
Nous avons introduit dans le texte une mesure de déblocage exceptionnel de l’épargne salariale, qui apportera un soutien immédiat aux salariés dont les revenus sont insuffisants face à la hausse des prix. Ils pourront demander jusqu’au 31 décembre 2022 le déblocage des sommes placées sur un plan d’épargne entreprise, dans la limite de 10 000 euros pour l’achat de biens ou la fourniture de services.
Le projet de loi apporte en revanche une réponse peu convaincante à la problématique des bas salaires. Au 1er août prochain, le SMIC connaîtra sa quatrième revalorisation en un an, sous l’effet de l’inflation.
Dans ce contexte – j’insiste sur ce terme –, de nombreuses branches professionnelles présentent des grilles de minima salariaux dont les plus bas échelons sont dépassés par le SMIC. Afin d’éviter un tassement des rémunérations au niveau du SMIC, l’article 4 entend inciter les partenaires sociaux à se saisir de la question par le biais du processus de restructuration des branches professionnelles. Il introduit une confusion entre un chantier structurel, qui doit engager toutes les parties prenantes, et les réponses conjoncturelles qu’appelle la protection du pouvoir d’achat des Français.
La commission a considéré que les partenaires sociaux d’une branche éprouvant des difficultés structurelles à négocier sur les salaires ne seront probablement pas sensibles à la menace d’une hypothétique fusion.
De surcroît, un tel mécanisme, qui concernerait seulement des situations marginales – je serais tentée de dire « extrêmement marginales » –, jette l’opprobre sur les branches, qui, dans l’ensemble, assument leurs responsabilités dans la situation particulière actuelle.
La commission a donc supprimé cet article. Elle a en revanche proposé, dans un nouvel article 4 bis, une accélération des délais pour l’entrée en vigueur et l’extension des accords portant exclusivement sur les salaires lorsque plusieurs revalorisations du SMIC interviennent dans l’année.
Ce projet de loi sert par ailleurs de véhicule à plusieurs dispositions visant à remédier à certaines situations inéquitables. L’article 5 bis, inséré en séance publique à l’Assemblée nationale, vient clore le long débat sur la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dans lequel le Sénat a été précurseur, en particulier grâce à l’action de notre collègue Philippe Mouiller et à celle d’autres sénateurs.
Le revirement du Gouvernement, dont nous nous félicitons, rend possible la mise en œuvre de cette réforme au plus tard le 1er octobre 2023. Cette date semble un peu lointaine, mais elle peut se justifier par la complexité technique de l’opération ; nous aurons l’occasion d’y revenir.
Un mécanisme transitoire protège les perdants de la réforme, en leur permettant de bénéficier de l’AAH sous sa forme actuelle, jusqu’à l’expiration de leurs droits à l’allocation si cette modalité leur est plus favorable. Nous attendons encore des garanties du Gouvernement. Nous proposerons un certain nombre d’amendements sur les modalités d’application du mécanisme.
En outre, nous avons souhaité donner une base légale à l’instruction ministérielle permettant aux retraités exerçant un mandat électoral local de constituer des droits à pension de retraite en contrepartie des cotisations qu’ils versent. Les élus concernés pourront ainsi bénéficier en toute légalité des prestations sans devoir liquider leurs droits auprès de l’institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec).
Enfin, la commission a approuvé l’article 15, qui permet l’embauche de salariés pour la réouverture temporaire de centrales à charbon. Le cadre dérogatoire au droit du travail ainsi prévu permet de répondre à une situation inédite pour notre souveraineté énergétique tout en assurant une protection satisfaisante des salariés et de l’employeur concernés. Toutefois, humainement, cette réouverture doit nous interroger sur ce que ces décisions contradictoires du Gouvernement ont fait vivre à ces territoires, ainsi qu’aux hommes et aux femmes concernés.
Messieurs les ministres, vous l’aurez compris, notre commission s’est saisie de ce texte de manière à la fois critique et constructive.
J’espère que nos débats permettront de l’enrichir et que la suite de la navette nous permettra surtout de nous montrer à la hauteur des attentes de nos concitoyens.