L'inflation est un défi qui s'impose à nous. Il ne faut pas se raconter d'histoires : sur la marche de 3 milliards d'euros dont nous disposons, on estime que l'inflation, à son rythme actuel, mange 1 milliard. Ce problème ne concerne évidemment pas que le ministère des armées. Quelles solutions sont sur la table ? Heureusement, nos crédits augmentent, mais cela ne suffit pas.
La question des carburants est cruciale. Je veux à ce propos préciser le fonctionnement de l'article 5 de la LPM sur les besoins en carburant des armées. Cela se fait en gestion et ne peut être prévu. Chaque année, on consomme d'abord les AE et les CP ouverts, peu importe le prix du carburant et l'activité opérationnelle. Si l'ensemble des crédits sont consommés, on déclenche l'article 5 : le Gouvernement demande alors au Parlement des crédits supplémentaires en loi de finances rectificative. Cette année, 50 millions d'euros supplémentaires nous ont ainsi été octroyés. Je souhaite qu'une telle disposition figure toujours dans la prochaine LPM.
Quant aux reports de charges, c'est un peu « La Cigale et la Fourmi ». On peut se permettre de proposer 1 milliard d'euros de reports de charges parce que Florence Parly n'en avait pas abusé auparavant, mais avait fait l'effort de les réduire. Une fois la bise venue, on peut les réaugmenter grâce à ces efforts. Je défends notre proposition, car elle permet de garder l'effet de nos 3 milliards d'euros, en dépit de l'inflation. Il faudra, en fonction du rythme de celle-ci, vous rendre compte de notre situation au cours de l'année 2023.
Concernant le Scaf et la construction de la prochaine LPM, j'ai entendu les remontrances que m'a faites le Sénat au début de l'été. J'ai exposé ma méthode de co-construction avec le Parlement de ce texte. Monsieur Perrin, je n'ai pas peur du Sénat ; c'est bien pourquoi j'y étais candidat, et candidat heureux, l'an dernier ! J'aime la démocratie représentative et le Parlement. Ce sujet est grave et sérieux ; de nombreuses contraintes s'imposent à nous. Il est sain de partager réflexions et décisions, surtout quand elles ont des effets sur plusieurs décennies.
Les comparaisons avec d'autres pays sont délicates, entre notre modèle de dissuasion nucléaire et l'étendue de notre outre-mer. Contrairement à certains, nous n'avons pas encore annoncé d'augmentations de crédits d'ici à 2030, puisque la LPM en cours demeure applicable. Là aussi, c'est à la fin du bal qu'on paie les musiciens ! Cela dit, on peut débattre du lien entre niveau de la dépense et efficacité du modèle d'armée. Ce n'est pas toujours lié, même si la dépense aide en matière technologique : le courage des combattants et la doctrine d'emploi des forces importent tout autant. Certains pays ont des casernes bien équipées dont les militaires ne sortent jamais... Je défends notre modèle d'armée ; il est attractif pour nos jeunes, car c'est une armée d'emploi ; nos généraux en parleront mieux que moi.
Concernant ce modèle d'armée complet, on doit en loi de finances découper notre vision en missions et en programmes ; pour une vision globale, il faudra attendre la nouvelle LPM. Celle que vous avez votée comporte des annexes détaillant nos cibles capacitaires. En loi de finances, on tente d'atteindre ces objectifs. Lors de la prochaine LPM, on déterminera quelle armée nous voulons en 2030. Il faudra arrêter ce que l'on veut faire seul à tout prix et ce pour quoi il vaut mieux travailler au sein de nos alliances. Nous tenons à notre modèle complet : nos voisins britanniques ont décidé de suspendre certaines fonctionnalités de leur armée, faisant le pari qu'ils pourraient les réactiver en cas de besoin, mais ils peinent aujourd'hui à les régénérer. Notre vision stratégique, issue des propositions de notre chef d'état-major des armées, maintient et durcit la cohérence de notre modèle, face à la double menace du terrorisme militarisé en Afrique et de l'agression russe en Ukraine, à laquelle s'ajoutent des menaces hybrides et celles qui pèsent sur notre outre-mer.
Les munitions sont pour la France, à l'exception de ce que le Président de la République pourrait donner à nos amis ukrainiens, comme nous l'avons déjà fait. Elles sont fabriquées en France. Quant au bon fonctionnement de l'économie de guerre, cela dépend des entreprises : certaines d'entre elles ont bien compris le message. Ainsi, il fallait au moins 24 mois à Nexter pour fabriquer un canon Caesar ; il pourrait désormais être fabriqué en 12 mois seulement. Notre industrie est capable d'une telle résilience ! Il faut un travail en profondeur pour donner de la visibilité et revenir sur certaines dépendances. Il nous faudra accompagner notre industrie de défense et être fermes en tant qu'État client.
Madame Conway-Mouret, la question du coût des Opex est clé. Désormais, une provision de 1,2 milliard d'euros est garantie chaque année. Si leur coût dépasse ce montant, il faut trouver une solution, d'abord par la solidarité interministérielle. C'est la loi et c'est un bon principe. Comme pour les carburants, on ne doit pas freiner notre capacité à défendre ainsi notre pays. Enfin, des lois de finances rectificatives peuvent nous donner, pendant l'exercice budgétaire, la capacité de modifier les choses.
Sur les coûts précis en 2022, je ne peux pas encore répondre à votre question. Ces crédits seront importants, pour deux raisons : le redéploiement du Mali au Niger a été une grande réussite logistique, mais a nécessité des moyens, tout comme notre présence au Niger ; les missions de réassurance sur le flanc est de l'Otan, de la Roumanie aux pays baltes, missions rendues nécessaires par l'invasion russe de l'Ukraine, que l'on ne pouvait prévoir lors du vote des crédits l'an dernier, requièrent aussi des moyens importants, entre 600 et 700 millions d'euros aujourd'hui. Tout cela coûte cher, il faut l'assumer devant nos concitoyens.
Quant au fonds spécial pour l'Ukraine, nous vous le proposerons, soit par voie d'amendement au projet de loi de finances, ou en projet de loi de finances rectificative. Le calendrier de la guerre ne correspond pas à notre calendrier budgétaire... Je signerai ce jeudi la convention portant création de ce fonds, doté de 100 millions d'euros, avec le ministre ukrainien de la défense ; les deux premières commandes, de 5 millions d'euros chacune, sont déjà engagées.
Les Rafale d'occasion cédés à la Grèce ont déjà été commandés, ils seront livrés avant la fin de cette LPM. Quant à ceux que nous cédons à la Croatie, au nombre de douze, ils seront commandés en 2023 et également livrés avant la prochaine LPM. Je le redis : je ne souhaite plus que l'armée de l'air et de l'espace constitue le tampon de nos différents exports : il faut garantir l'intégrité de nos moyens !
Monsieur Allizard, rassurez-vous : si les autorisations d'engagement pour le renseignement diminuent légèrement, cela correspond seulement aux dépenses engagées pour le nouveau siège de la DGSE, pour lequel les AE avaient déjà été ouvertes en 2022. Cette diminution n'a donc pas d'effet sur la politique de renseignement en tant que telle.
Quant au Scaf, j'ai bien déclaré que notre attente est « que cela se fera ». Oui, il y aura un avion du futur, un successeur au Rafale, qui aura vocation à participer à la dissuasion nucléaire et à nos politiques d'export. Oui, il y a une vision française, fondée sur des coopérations synallagmatiques : les deux parties doivent y trouver leur compte. J'ai rappelé à l'Allemagne et à l'Espagne que le Scaf doit se faire, car nous avons besoin d'un tel avion, mais aussi d'un système de cloud collaboratif, ainsi que de drones autour de cet avion. Nous devons tous exprimer ce besoin dans nos prises de position publiques.