Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 11 octobre 2022 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le ministre, après une première audition en juillet dernier, nous entrons maintenant dans le vif du sujet, avec l'examen du projet de loi de finances pour 2023, jalon particulièrement important, tant pour l'exécutif que le Parlement.

Monsieur le ministre, vous êtes accompagné par les principaux responsables du ministère et des armées : je vous adresse à tous une cordiale bienvenue. Les chefs d'état-major qui vous entourent seront auditionnés dans les semaines à venir.

Ce budget est le premier depuis le début de la guerre en Ukraine, tournant majeur dont il faut tirer tous les enseignements en termes géopolitiques et militaires pour notre continent et pour notre pays.

La remontée en puissance des armées françaises a été entreprise dès 2015, pour répondre à une menace venue du sud qui reste pleinement d'actualité ; l'instabilité du continent africain l'atteste. Cependant, la réactivation de la menace venue de l'est, que nous avions probablement sous-estimée, pose des questions inédites, qui appellent des réponses nouvelles et des moyens supplémentaires.

Ce budget constitue par ailleurs une étape importante dans la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025. La marche de 3 milliards d'euros supplémentaires est franchie, pour un budget de près de 44 milliards d'euros. Nous vous en donnons volontiers acte, monsieur le ministre, compte tenu des multiples tensions sur le budget de l'État. J'en donne acte aussi au Président de la République, qui a souhaité préserver l'esprit et le contenu de cette LPM, qui avait été acceptée, au Sénat, par 326 voix sur 348.

Toutefois, que signifie une augmentation budgétaire de 7 % lorsque l'inflation est estimée à 6,5 % pour 2022, et à plus de 4 % en 2023 ? C'est le principal point d'achoppement de ce budget. La technique budgétaire fournit des réponses à court terme, puisque des reports de charges sur les années suivantes sont toujours possibles. Votre prédécesseur avait souhaité atténuer ces reports. Le risque est réel d'affronter, dans les années à venir, le retour de la « bosse » budgétaire, pénalisante pour la réalisation des investissements indispensables.

Enfin, ce budget est un budget de transition vers la prochaine LPM : nous espérons des précisions à ce sujet, sinon sur le fond, du moins sur le calendrier et la méthode. Le Sénat, qui est un pôle de stabilité dans la vie politique actuelle, souhaite être associé à ce travail. Nos travaux sur le PLF pour 2023 auront nécessairement un impact sur la prochaine LPM. Un travail de fond est nécessaire, car cette nouvelle loi de programmation sera fondamentale ; c'est l'avenir de la France comme puissance européenne et comme puissance mondiale qui se joue. Il y va de la sécurité des Français.

J'espère, monsieur le ministre, que vous nous parlerez « cartes sur table », pour nous exposer aussi bien vos objectifs que les difficultés rencontrées.

Debut de section - Permalien
Sébastien Lecornu, ministre des armées

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je souhaite avant tout rendre compte au Sénat d'une décision du Président de la République prise hier soir. Au regard de la violence des combats en Ukraine, le Président de la République a décidé de rehausser notre posture défensive, en déployant une compagnie renforcée de blindés de combat d'infanterie et un escadron de chars Leclerc en Roumanie, pour renforcer le flanc oriental de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). Nous devons rester solidaires avec nos alliés. Des Rafale seront aussi déployés en Lituanie, ainsi qu'une compagnie d'infanterie légère en Estonie, fin octobre ou début novembre.

Le Sénat souhaite être associé à l'élaboration de la prochaine LPM. Nous souhaitons la construire différemment de la précédente. Le suspense n'est pas grand, les crédits n'ont pas vocation à diminuer, chacun le sait. Certains livres blancs avaient vocation à masquer des réductions budgétaires. Notre revue stratégique, qui a pointé de nombreux dangers, s'est malheureusement révélée pertinente. Face à notre devoir de réactivité, nous souhaitons construire cette nouvelle LPM avant même son dépôt en Conseil des ministres, dans une plus grande « intimité » avec les deux chambres et parfois de manière séparée, pour préserver l'identité du regard des deux assemblées ; les premiers groupes de travail pourront se réunir très rapidement, avec tous les personnels du ministère, par exemple sur le thème des réserves, sur le plan Famille, sur nos alliances, sur les questions capacitaires, ou encore sur l'innovation.

La revue nationale stratégique a fait l'objet d'un travail interministériel, piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Avec la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, nous pourrons vous présenter les thèmes de cette revue nationale. Nous sommes à votre disposition.

Créer plus d'intimité avec le Parlement demande d'être créatif, mais aussi de rendre compte. Les crédits augmentent, mais cela pose la question de l'acceptation sociale d'une telle augmentation. Nous ne pouvons éluder ce débat. Au ministère des armées, l'ordonnateur principal compte autour de lui des ordonnateurs délégués, qui parfois engagent des blocs de dépenses de plusieurs milliards d'euros. Il nous faut donc rendre compte de manière très démocratique et fine de l'utilisation de ces crédits, selon une nouvelle méthodologie de contrôle, ce qui explique le format de cette audition.

Cette année, la parole est tenue pour la courbe des recettes : nous passons de 32,3 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en 2017 à 43,9 milliards d'euros en 2023, soit une augmentation de 36 %. L'augmentation est du même ordre en autorisations d'engagement (AE) : 40,8 milliards d'euros en 2017 et 52,8 milliards d'euros en 2023. Nous ne constatons pas de décalage entre CP et AE, la parole est donc bien tenue.

La première marche de 3 milliards d'euros nous permet de nous positionner dans le concert des nations, même si les comparaisons restent difficiles entre pays de l'Otan. Notre pays dispose de l'arme nucléaire, de territoires d'outre-mer où il doit exercer sa souveraineté et d'une armée d'emploi. Les crédits augmentent dans tous les domaines - heureusement, nous n'avons pas attendu l'Ukraine, ce qui nous distingue.

J'en viens aux grands blocs de dépenses depuis 2018. La modernisation des équipements représente la principale augmentation : elle consomme 41 % des ressources supplémentaires, principalement pour la dissuasion. En 2023, les CP pour les équipements majeurs s'établissent à 8,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 5,6 % par rapport à 2022. Les 14,2 milliards d'euros en AE nous permettent de passer commande de 400 véhicules blindés légers Serval, d'une capacité exploratoire pour les fonds marins, de 42 Rafale ou encore de 19 stations navales de communication satellitaire.

Le budget de la dissuasion s'élève à 5,6 milliards d'euros en CP pour 2023, soit une augmentation de 318 millions d'euros, notamment pour moderniser la simulation et rendre intègres et parfaitement sécurisées nos transmissions spécifiques.

Ce budget pour 2023 constitue un pivot vers la nouvelle LPM et tient compte du retour d'expérience du conflit en Ukraine. Le capacitaire avait beaucoup absorbé les crédits nouveaux depuis 2017. En 2023, la répartition sera un peu différente.

Je commence par les ressources humaines. Il n'y a pas d'armée sans soldats, sans leurs familles et sans réservistes : nous proposons 1 500 créations de postes en une année seulement, principalement pour le renseignement et la cybersécurité, contre 500 par an auparavant ; la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) suit son cours ; nous intégrons l'augmentation du point d'indice de la fonction publique, qui représente 357 millions d'euros supplémentaires en 2023 ; enfin 180 millions d'euros sont dévolus au plan Famille, sachant que nous voulons coproduire, avec le Sénat, le plan Famille 2, selon une nouvelle méthode, qui associe mieux les collectivités territoriales ; en la matière, l'expertise du Sénat sera précieuse.

La question des munitions et du maintien en condition opérationnelle (MCO) est aussi très importante : sur proposition du chef d'état-major des armées, 5 milliards d'euros supplémentaires sont consacrés au MCO, dont 57 % pour la maintenance de nos capacités aéronautiques. Le budget pour les munitions s'élève à 2 milliards d'euros, soit 500 millions de plus qu'en 2022 ; cela représente une augmentation de 60 % par rapport à 2019. Nous commandons, entre autres, 200 missiles de moyenne portée, 100 missiles Samp/T, 100 missiles air-air Mica ou des bombes air-sol. Voilà du concret, avec un effort majeur de 1,7 milliard d'euros pour les équipements individuels.

En ce qui concerne les infrastructures, une inertie existe entre les milliards votés à Paris et la réalité sur le terrain. Nous en sommes conscients. L'effort est de 2 milliards d'euros en CP, c'est-à-dire en travaux réalisés pour l'année 2023, sachant qu'il faut bien distinguer les infrastructures purement militaires, destinées aux armements, des infrastructures civiles d'hébergement.

Je souligne deux points d'attention, le spatial et le cyber, notamment dans la perspective de la prochaine LPM ; ces deux domaines doivent répondre aux exigences d'innovation et aux problématiques de compétition.

En matière spatiale, nativement duale, nous prévoyons 702 millions d'euros en CP : 10 hubs Syracuse 4 sont programmés, 37 stations tactiques satellitaires ou encore la livraison d'un satellite Syracuse 4.

En matière cyber, les efforts en ressources humaines sont importants. Les enjeux portent aussi bien sur notre territoire que sur notre présence à l'étranger, où la guerre informationnelle nous rappelle aux réalités de la guerre hybride.

L'année 2023 est une année de tuilage pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD) et pour nos opérations extérieures, avec un nouvel agenda de présence en Afrique. Les missions de l'Otan montrent qu'il faudra faire preuve de qualités d'adaptation.

L'économie de guerre exige des équipements rapidement disponibles. Au moment où l'armée change, il faut embarquer la BITD avec nous, pour répondre aux exigences de réactivité comme de modernité. Comme les gaullistes ont su le faire dans les années 1950, il nous faut mener une réflexion stratégique d'ampleur, sur notre industrie de défense, sur notre coopération avec nos alliés, sur l'évolution de nos « forces morales », pour reprendre l'expression du Président de la République dans son discours de Brienne, ce qui implique d'envisager les évolutions du service national universel (SNU) et de la réserve et de repenser notre devoir de mémoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Monsieur le ministre, vous nous avez parlé de sincérité : je vous donne volontiers acte du fait que votre budget 2023 respecte la trajectoire de la LPM.

Je souhaite insister sur un certain nombre de points de vigilance : en matière d'inflation, le report de charges est une dette à l'intérieur de la dette, ne l'oublions pas ; les nouveaux équipements sont plus sophistiqués, le MCO coûte donc plus cher ; la mise en oeuvre du système de combat aérien du futur (Scaf) tarde, et nous devons régler ce problème avant d'envisager le remplacement du porte-avions Charles de Gaulle ; enfin, en matière de munitions, les délais de production sont parfois problématiques.

Nous sommes nombreux à avoir regretté de ne pas avoir été associés à la révision de la LPM en 2021. Je prends donc acte de votre volonté d'associer le Parlement à l'écriture de cette nouvelle loi de programmation.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Monsieur le ministre, face aux événements en Ukraine, les autres pays européens ont décidé d'investir massivement, notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni, ou encore la Pologne pour 40 milliards d'euros. Nous risquons de voir un nouveau centre de gravité européen émerger. La France doit-elle craindre un déclassement ?

Le Sénat a pour seul objectif de servir la France et ses armées. Le vote de la précédente LPM témoigne de notre loyauté.

D'autres pays étrangers investissent massivement : Israël, la Corée du Sud, ou encore d'autres pays européens. Il n'est pas acceptable que nous distribuions des fonds européens à des pays qui achètent du matériel non européen - voyez l'Allemagne, qui s'oriente vers le programme Poséidon, le F-35 ou encore une défense antimissile israélienne. Comment pouvons-nous considérer l'Allemagne comme un partenaire quand ses investissements militaires sont principalement américains ?

Vos interventions sur ce budget, monsieur le ministre, évoquent des « blocs » - dissuasion nucléaire, ressources humaines, missiles - mais conserverons-nous un modèle d'armée complet ? Quid du système principal de combat terrestre, dit MGCS, quid du Panther KF51, quid de l'acquisition massive de chars coréens par les Polonais, qui rendraient caduque ledit MGCS ? Outre les listes d'équipement, quelle est votre vision à long terme, notamment vis-à-vis du Scaf et de projets comme le planeur hypersonique ou l'avion spatial ?

Les 2 milliards d'euros pour les munitions vont-ils bénéficier à la France ? L'économie de guerre ne semble pas beaucoup bénéficier à nos industries. À quand les effets ?

Trois options sont sur la table : une LPM au fil de l'eau avec un étiage budgétaire de Bercy, l'option défendue par l'état-major des armées et votre vision... Mais quelle est-elle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Monsieur le ministre, pour cette LPM nous manquons de vision, nous manquons de cadrage. Nous ne sommes pas certains de faire les bons choix dès cette année ; or une LPM est l'opposé même du court terme.

L'article 4 dispose que les surcoûts nets des opérations extérieures et des missions intérieures doivent être financés par un mécanisme interministériel. Au regard de la réorganisation de la mission Barkhane et de la mission Aigle, quel est le surcoût net, et quel serait le montant ponctionné sur le programme 146 ? L'article 5 prévoit des compensations à l'augmentation du prix des carburants. Où sont les crédits ? S'ajoutent les 350 millions d'euros pour la revalorisation du point d'indice. Comment sont-ils financés ? Le Président de la République a annoncé la création d'un fonds spécial de 100 millions d'euros supplémentaires pour l'Ukraine, mais avec quels financements ? Nous aimerions mieux connaître les arbitrages au sein des 3 milliards d'euros d'augmentation.

Le format Rafale à l'horizon 2025 souffre d'un décalage d'un an entre la commande et la livraison des appareils. Le nombre d'appareils disponibles a une incidence sur le nombre d'heures de vol des pilotes, qui est passé de 180 à 150 heures par an. Envisagez-vous d'acquérir des appareils étrangers pour combler cette sous-capacité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Il est difficile de faire fi de l'actualité immédiate, mais ne négligeons pas la prospective, l'innovation et le renseignement.

Je voudrais soulever deux points d'attention relatifs aux études amont et au financement de la BITD.

Les crédits consacrés aux études amont augmenteront de 1,5 % en CP, pour atteindre le milliard d'euros prévu par la LPM en cours. En revanche, les AE connaîtront une légère baisse de l'ordre de 0,2 %. Pourriez-vous nous préciser les raisons de cette diminution, qui impactera négativement le domaine de l'information et du renseignement classique, hors espace ? Dans l'aéronautique, lors de votre déplacement à Berlin en septembre dernier, vous avez dit : « [Le Scaf] est attendu autant par Berlin que par Paris et ce projet se fera, on ne peut pas être plus direct ». Où en sont les discussions, au niveau politique, entre la France et l'Allemagne et, au niveau industriel, entre Airbus et Dassault ? Quel est le calendrier ?

S'agissant du financement de la BITD, le 13 juillet dernier, le Président de la République a rappelé sa vigilance face aux conséquences des projets de taxonomie européenne sur l'investissement dans les innovations de défense. Certaines dispositions de la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité pourraient s'avérer problématiques si elles devaient être appliquées à l'industrie de défense. L'intégration de l'aval de la chaîne de valeur pourrait poser problème s'agissant de matériels de guerre et de leur exportation, tout comme la vérification du respect de certaines obligations par une autorité indépendante, ce qui soulève des questions en matière de sécurité et de confidentialité. Comment éviter des contraintes trop lourdes, voire des sanctions à l'encontre des entreprises de la BITD ?

J'en viens au projet de vente de la pépite électronique Exxelia à un potentiel acquéreur étranger. Comment vos services suivent-ils cette vente ?

Enfin, après l'abandon du projet « Provinces de France » de votre prédécesseur et à la lumière de la guerre en Ukraine, la relance d'une filière de munitions de petit calibre est-elle d'actualité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Monsieur le ministre, la guerre en Ukraine se durcit. Ainsi, nous revenons à la question fondamentale du rôle de la France au sein de l'Otan et de son rang, au regard des moyens dont elle dispose.

Le programme 144 s'intitule « Environnement et prospective de la politique de défense ». Il est au coeur de la réflexion qui doit collectivement nous conduire à identifier les enseignements du conflit en Ukraine, pour les traduire en priorités pour l'innovation de défense. Notre industrie de défense connaît des angles morts : drones armés, munitions rôdeuses et défense aérienne du territoire. Il faut agir face à la guerre en Ukraine, mais aussi anticiper les menaces futures.

Est-il crédible qu'en seulement deux mois, et dans l'urgence, une nouvelle LPM soit déjà budgétée dans une fourchette comprise entre 435 milliards d'euros pour 7 ans, demande des états-majors, et 375 milliards d'euros, selon Bercy ? N'est-il pas surprenant de discuter d'une échelle de coûts préalablement à l'évaluation des besoins ? La proposition de Bercy me semble ubuesque. La situation est préoccupante, nos démocraties pourraient être mises en danger et nos libertés fondamentales remises en cause. Dans ce contexte, j'ai plus confiance dans la rigueur militaire de nos chefs d'état-major que dans la rigueur budgétaire de Bercy.

J'en viens à nos moyens de renseignement. La loi de programmation 2019-2025 prévoyait 1 500 nouveaux emplois pour renforcer les domaines de la cyberdéfense et du renseignement. De fait, les crédits de fonctionnement et d'équipement pour 2023 continuent de progresser. En revanche, les moyens humains du renseignement extérieur vont stagner, à hauteur d'un peu plus de 5 700 équivalents temps plein travaillé (ETPT), alors que la Chine emploie 100 000 cybercombattants et que la Russie ou la Corée du Nord se livrent au piratage et au rançonnage informatique, à la désinformation de masse, notamment en Afrique. Sommes-nous au bon niveau par rapport à nos agresseurs, mais aussi par rapport à nos alliés britanniques et allemands, dans ce domaine essentiel du renseignement extérieur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Vous avez annoncé que presque 5 milliards d'euros iraient, dans ce budget, au maintien en condition opérationnelle du matériel, soit 500 millions d'euros supplémentaires. Or notre commission avait identifié, avant votre entrée en fonctions, un déficit de 1,2 milliard d'euros sur les premières annuités de la période de programmation. C'était aussi avant la vente de Rafales, qui a décalé l'arrivée de nouveaux équipements et renchéri l'entretien d'aéronefs vieillissant. Dès lors, ces 500 millions seront-ils suffisants et répondent-ils au besoin de nos armées ? Comment préparer la haute intensité dans de telles conditions ?

Quant aux Opex, le Président de la République a annoncé en début d'année notre retrait de l'opération Barkhane au Mali. C'est chose faite depuis le 15 août. Barkhane nous coûtait environ 700 millions d'euros par an. Qu'en sera-t-il dans notre nouveau format d'engagement au Niger et au Tchad ? Comment cela se combinera-t-il avec la mission de réassurance de l'Otan que vous avez évoquée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Vous connaissez mon inquiétude récurrente quant à l'évolution des effectifs du service de santé des armées (SSA), qui accusait un déficit pour les médecins de premier recours de 136 postes en 2021.

Cette année, pour la première fois depuis sept ans, seul l'effectif moyen réalisé nous a été communiqué et non le plafond ministériel des emplois autorisés, ce qui nous empêche de calculer le déficit en médecins. Je compte sur vous pour communiquer ce plafond, ainsi que le taux de projection des équipes médicales, qui atteignait 125 % en 2021, et celui des équipes chirurgicales, qui dépassait 200 %.

Les personnels du Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) et de l'Institut de recherche biomédicale des armées ont été injustement exclus du bénéfice du Ségur de la santé, notamment du complément de traitement indiciaire, en raison d'une rédaction trop restrictive des décrets d'application. Il est impératif de remédier à cette situation dans les meilleurs délais.

Quelles mesures d'urgence est-il prévu de prendre dans la prochaine LPM pour le SSA, mais aussi pour le commissariat central et tous les services de soutien de nos armées, notamment le service de l'énergie opérationnelle ?

Comment celui-ci a-t-il fonctionné en 2021, avec un coût du baril supérieur de 77 % aux hypothèses de la loi de finances et un décrochage sévère de la parité dollar-euro ? Si la hausse des prix du carburant opérationnel est durable, l'article 5 de la LPM prévoit que « des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l'activité opérationnelle des forces ». Comment cette disposition est-elle appliquée dans le cadre du PLF pour 2023 et quel est le montant des crédits supplémentaires ouverts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Dans son discours aux armées prononcé en juillet dernier, le Président de la République a annoncé un objectif de doublement de la réserve opérationnelle de premier niveau, objectif dont vous avez récemment souligné publiquement l'importance ; estimant que nos réservistes ne sont « pas toujours suffisamment bien utilisés », vous avez appelé de vos voeux une réflexion profonde sur l'organisation de la réserve.

Alors que la Cour des comptes a récemment recommandé le transfert aux forces de sécurité intérieure de l'opération Sentinelle, dont les militaires sont pour beaucoup issus de la réserve opérationnelle de l'armée de terre, quels sont à l'heure actuelle vos axes de réflexion sur l'évolution de la doctrine d'emploi des réservistes militaires ? Estimez-vous que les réservistes doivent-être dédiés à des tâches spécifiques, notamment sur le territoire national, ou pensez-vous qu'ils devraient pouvoir être intégrés à l'ensemble des missions assurées par nos forces armées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Arlette Carlotti

L'exercice budgétaire 2023 correspondra au troisième et dernier volet de mise en oeuvre de la NPRM déployée à partir de 2021.

Si cette réforme a permis d'améliorer la lisibilité des primes et indemnités perçues par les militaires, en réduisant leur nombre de plus de 170 à 8, elle n'a pas conduit à une revalorisation globale de la rémunération de nos soldats, marins et aviateurs.

Malgré des sujétions plus lourdes que dans la société civile, le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) documente depuis plusieurs années un décrochage entre le niveau de vie des militaires et celui des fonctionnaires civils et des employés du secteur privé. Alors que l'inflation atteint aujourd'hui 6 % en glissement annuel, il devient essentiel de préserver le pouvoir d'achat des militaires.

Pensez-vous que leur niveau actuel de rémunération suffit pour assurer l'attractivité de nos armées ? Quelles sont vos pistes de réflexion dans ce domaine pour la prochaine LPM ?

Dans le cadre de la préparation de celle-ci, comptez-vous faire évoluer le plan Famille, et en quel sens ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Lecornu, ministre des armées

L'inflation est un défi qui s'impose à nous. Il ne faut pas se raconter d'histoires : sur la marche de 3 milliards d'euros dont nous disposons, on estime que l'inflation, à son rythme actuel, mange 1 milliard. Ce problème ne concerne évidemment pas que le ministère des armées. Quelles solutions sont sur la table ? Heureusement, nos crédits augmentent, mais cela ne suffit pas.

La question des carburants est cruciale. Je veux à ce propos préciser le fonctionnement de l'article 5 de la LPM sur les besoins en carburant des armées. Cela se fait en gestion et ne peut être prévu. Chaque année, on consomme d'abord les AE et les CP ouverts, peu importe le prix du carburant et l'activité opérationnelle. Si l'ensemble des crédits sont consommés, on déclenche l'article 5 : le Gouvernement demande alors au Parlement des crédits supplémentaires en loi de finances rectificative. Cette année, 50 millions d'euros supplémentaires nous ont ainsi été octroyés. Je souhaite qu'une telle disposition figure toujours dans la prochaine LPM.

Quant aux reports de charges, c'est un peu « La Cigale et la Fourmi ». On peut se permettre de proposer 1 milliard d'euros de reports de charges parce que Florence Parly n'en avait pas abusé auparavant, mais avait fait l'effort de les réduire. Une fois la bise venue, on peut les réaugmenter grâce à ces efforts. Je défends notre proposition, car elle permet de garder l'effet de nos 3 milliards d'euros, en dépit de l'inflation. Il faudra, en fonction du rythme de celle-ci, vous rendre compte de notre situation au cours de l'année 2023.

Concernant le Scaf et la construction de la prochaine LPM, j'ai entendu les remontrances que m'a faites le Sénat au début de l'été. J'ai exposé ma méthode de co-construction avec le Parlement de ce texte. Monsieur Perrin, je n'ai pas peur du Sénat ; c'est bien pourquoi j'y étais candidat, et candidat heureux, l'an dernier ! J'aime la démocratie représentative et le Parlement. Ce sujet est grave et sérieux ; de nombreuses contraintes s'imposent à nous. Il est sain de partager réflexions et décisions, surtout quand elles ont des effets sur plusieurs décennies.

Les comparaisons avec d'autres pays sont délicates, entre notre modèle de dissuasion nucléaire et l'étendue de notre outre-mer. Contrairement à certains, nous n'avons pas encore annoncé d'augmentations de crédits d'ici à 2030, puisque la LPM en cours demeure applicable. Là aussi, c'est à la fin du bal qu'on paie les musiciens ! Cela dit, on peut débattre du lien entre niveau de la dépense et efficacité du modèle d'armée. Ce n'est pas toujours lié, même si la dépense aide en matière technologique : le courage des combattants et la doctrine d'emploi des forces importent tout autant. Certains pays ont des casernes bien équipées dont les militaires ne sortent jamais... Je défends notre modèle d'armée ; il est attractif pour nos jeunes, car c'est une armée d'emploi ; nos généraux en parleront mieux que moi.

Concernant ce modèle d'armée complet, on doit en loi de finances découper notre vision en missions et en programmes ; pour une vision globale, il faudra attendre la nouvelle LPM. Celle que vous avez votée comporte des annexes détaillant nos cibles capacitaires. En loi de finances, on tente d'atteindre ces objectifs. Lors de la prochaine LPM, on déterminera quelle armée nous voulons en 2030. Il faudra arrêter ce que l'on veut faire seul à tout prix et ce pour quoi il vaut mieux travailler au sein de nos alliances. Nous tenons à notre modèle complet : nos voisins britanniques ont décidé de suspendre certaines fonctionnalités de leur armée, faisant le pari qu'ils pourraient les réactiver en cas de besoin, mais ils peinent aujourd'hui à les régénérer. Notre vision stratégique, issue des propositions de notre chef d'état-major des armées, maintient et durcit la cohérence de notre modèle, face à la double menace du terrorisme militarisé en Afrique et de l'agression russe en Ukraine, à laquelle s'ajoutent des menaces hybrides et celles qui pèsent sur notre outre-mer.

Les munitions sont pour la France, à l'exception de ce que le Président de la République pourrait donner à nos amis ukrainiens, comme nous l'avons déjà fait. Elles sont fabriquées en France. Quant au bon fonctionnement de l'économie de guerre, cela dépend des entreprises : certaines d'entre elles ont bien compris le message. Ainsi, il fallait au moins 24 mois à Nexter pour fabriquer un canon Caesar ; il pourrait désormais être fabriqué en 12 mois seulement. Notre industrie est capable d'une telle résilience ! Il faut un travail en profondeur pour donner de la visibilité et revenir sur certaines dépendances. Il nous faudra accompagner notre industrie de défense et être fermes en tant qu'État client.

Madame Conway-Mouret, la question du coût des Opex est clé. Désormais, une provision de 1,2 milliard d'euros est garantie chaque année. Si leur coût dépasse ce montant, il faut trouver une solution, d'abord par la solidarité interministérielle. C'est la loi et c'est un bon principe. Comme pour les carburants, on ne doit pas freiner notre capacité à défendre ainsi notre pays. Enfin, des lois de finances rectificatives peuvent nous donner, pendant l'exercice budgétaire, la capacité de modifier les choses.

Sur les coûts précis en 2022, je ne peux pas encore répondre à votre question. Ces crédits seront importants, pour deux raisons : le redéploiement du Mali au Niger a été une grande réussite logistique, mais a nécessité des moyens, tout comme notre présence au Niger ; les missions de réassurance sur le flanc est de l'Otan, de la Roumanie aux pays baltes, missions rendues nécessaires par l'invasion russe de l'Ukraine, que l'on ne pouvait prévoir lors du vote des crédits l'an dernier, requièrent aussi des moyens importants, entre 600 et 700 millions d'euros aujourd'hui. Tout cela coûte cher, il faut l'assumer devant nos concitoyens.

Quant au fonds spécial pour l'Ukraine, nous vous le proposerons, soit par voie d'amendement au projet de loi de finances, ou en projet de loi de finances rectificative. Le calendrier de la guerre ne correspond pas à notre calendrier budgétaire... Je signerai ce jeudi la convention portant création de ce fonds, doté de 100 millions d'euros, avec le ministre ukrainien de la défense ; les deux premières commandes, de 5 millions d'euros chacune, sont déjà engagées.

Les Rafale d'occasion cédés à la Grèce ont déjà été commandés, ils seront livrés avant la fin de cette LPM. Quant à ceux que nous cédons à la Croatie, au nombre de douze, ils seront commandés en 2023 et également livrés avant la prochaine LPM. Je le redis : je ne souhaite plus que l'armée de l'air et de l'espace constitue le tampon de nos différents exports : il faut garantir l'intégrité de nos moyens !

Monsieur Allizard, rassurez-vous : si les autorisations d'engagement pour le renseignement diminuent légèrement, cela correspond seulement aux dépenses engagées pour le nouveau siège de la DGSE, pour lequel les AE avaient déjà été ouvertes en 2022. Cette diminution n'a donc pas d'effet sur la politique de renseignement en tant que telle.

Quant au Scaf, j'ai bien déclaré que notre attente est « que cela se fera ». Oui, il y aura un avion du futur, un successeur au Rafale, qui aura vocation à participer à la dissuasion nucléaire et à nos politiques d'export. Oui, il y a une vision française, fondée sur des coopérations synallagmatiques : les deux parties doivent y trouver leur compte. J'ai rappelé à l'Allemagne et à l'Espagne que le Scaf doit se faire, car nous avons besoin d'un tel avion, mais aussi d'un système de cloud collaboratif, ainsi que de drones autour de cet avion. Nous devons tous exprimer ce besoin dans nos prises de position publiques.

Debut de section - Permalien
Sébastien Lecornu, ministre des armées

La France n'a pas à rougir de son savoir-faire. Je crois à l'utilité de cet avion pour la dissuasion nucléaire comme pour nos exports. De tels programmes sont toujours longs et compliqués, mais je ne partage pas l'avis de certaines formations politiques peu représentées au Sénat qui dénoncent ce programme a priori. En revanche, nous devons nous engager franchement dans une telle coopération et dire clairement ce qu'on veut. Cela vaut aussi pour le char.

Concernant les PME et la relocalisation, pour une filière de munitions de petit calibre, c'est le covid plus encore que l'Ukraine qui nous en a rappelé la nécessité pour notre souveraineté ; cela fait partie de la feuille de route du DGA. Il ne faut plus de fragilités dans les stocks, les sous-traitances, ou les outils de production. Il n'est plus aberrant d'évoquer les risques de sabotage. La galaxie de l'économie de guerre est globale et le combat ne se gagnera pas en un soir. Notre modèle industriel est imbriqué avec notre modèle d'armée ; après-guerre, communistes et gaullistes ont su coopérer pour construire cette souveraineté française.

Monsieur Vaugrenard, je vous rassure : les chiffres sortis dans la presse sont faux. On ne part pas de la courbe, mais des effets militaires réels. Jadis, on partait de la courbe parce qu'elle diminuait. Désormais, la LPM se traduit par des augmentations de crédit. Le vrai sujet, c'est quel modèle d'armée on veut avoir ; il faut en déduire la courbe. Je ne pourrais pas proposer au Sénat de coconstruire la nouvelle LPM si une cible chiffrée était déjà arrêtée ! Du moins, je peux vous dire qu'on ne va pas se mettre à diminuer des moyens qu'on vient d'augmenter. La pente de croissance actuelle, ce n'est pas déjà si mal.

Quant à Exxelia, monsieur Allizard, ils ont des activités qui nous intéressent directement du point de vue stratégique. La disposition dite « Montebourg » permet à l'État de s'immiscer dans une transaction s'il estime qu'elle peut nuire à notre souveraineté. Les équipes du DGA et mon cabinet procèdent actuellement à des tours de table pour défendre nos intérêts ; je ne peux pas vous en dire plus aujourd'hui, mais j'ai bon espoir de pouvoir être plus précis avant la fin de l'année.

Le déménagement de la DGSE n'est pas qu'un changement de bâtiment, monsieur Vaugrenard ; il s'accompagne aussi d'une réorganisation profonde de ce service, dont l'identité militaire est clé. La réforme voulue par Bernard Émié permet de s'adapter aux nouvelles menaces et à leurs géographies. Il faudra, pour la prochaine LPM, s'interroger sur les moyens nouveaux à donner à la DGSE, notamment dans le domaine cyber, pour que nos agents puissent craquer les codes quantiques de demain.

Quant aux comparaisons avec les Britanniques et les Allemands en matière de renseignement, une réponse détaillée pourrait ne pas être très diplomatique ni adaptée à une audition ouverte... Disons simplement que nous n'avons pas à rougir de ce que nous faisons !

Concernant le montant des crédits alloués au MCO, monsieur Cigolotti, il est toujours bienvenu qu'ils augmentent ; il reviendra au chef d'état-major des armées de déterminer s'ils sont suffisants. Nos armées ont mené un travail délicat, en se concentrant sur les urgences. Les crédits que nous vous demandons pour 2023 iront directement sur le terrain, qu'il s'agisse d'aéronautique ou de munitions. Cela s'accompagne aussi des renforts prévus dans la LPM pour les équipes qui suivent les munitions.

Madame Gréaume, merci pour votre fidélité au SSA. Je vous communiquerai les chiffres que vous me demandez au plus vite. À mes yeux, le SSA est crucial. On ne peut pas avoir un engagement durci et cohérent si ce service de soutien vital ne suit pas. Or ce service a été abîmé et sollicité à l'excès, y compris par moi-même en tant que ministre des outre-mer... Nos soldats prennent des risques parce qu'ils savent qu'ils recevront les meilleurs soins : dans le contrat opérationnel, le SSA n'est pas un à-côté. Dès lors, dans le cadre de la nouvelle LPM, il nous faudra une copie complètement nouvelle pour ce service, avec un bond spectaculaire sur la réserve, de manière à nous adapter au niveau d'intensité auquel nous sommes confrontés : il pourrait y avoir à la fois une pandémie, un attentat de masse et un besoin opérationnel en Opex... En 2023, le SSA se verra attribuer 289 millions d'euros, contre 282 millions cette année, augmentation déjà significative.

Monsieur Guerriau, le groupe de travail que nous allons constituer avec vous sur la nouvelle LPM s'intéressera à la réserve. On ne peut pas parler de haute intensité sans un modèle beaucoup plus cohérent pour nos réserves. Doubler la réserve, c'est aussi faire en sorte que les réservistes ne la quittent pas. Cela dépend de beaucoup de choses, d'une unité à l'autre, d'un groupement de gendarmerie à l'autre ! Il faut s'interroger sur la doctrine politique de la réserve. Y voit-on un devoir pour les signataires d'un engagement à servir dans la réserve (ESR), ou un droit pour chaque citoyen de participer à la défense du pays ? Si c'est un droit, les limites d'âge et les conditions physiques doivent être revues en profondeur. Aujourd'hui, nous refusons des personnes atteintes d'obésité qui veulent servir dans les services cyber, parce que telles sont les règles ! Les états-majors travaillent aussi à une logique territorialisée de la réserve, pour remédier aux « déserts militaires » que sont devenus certains départements.

Madame Carlotti, la NPRM repose sur une approche plus indemnitaire qu'indiciaire. Vous avez raison d'insister sur le pouvoir d'achat des militaires, mais il nous faut être très pédagogues : la NPRM procède à une rationalisation, à une simplification et à une hausse du régime indemnitaire, à hauteur de 500 millions d'euros. La question indiciaire demeure, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit partout centrale pour l'attractivité des armées. Elle l'est sans doute davantage dans les métiers nouveaux, notamment cyber, où les enjeux de fidélisation sont très clairs.

Quant au nouveau plan Famille, j'ai déjà quelques idées, notamment sur la manière dont on peut associer les collectivités territoriales à cet enjeu. Un travail peut être mené sur les rentrées scolaires, le ministère des armées étant celui qui connaît le plus de mutations. On peut encore fluidifier les choses en la matière. Il faut aussi travailler sur l'hébergement, où des bailleurs civils peuvent être mis à contribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

La Chine cherche à utiliser sa domination technologique à des fins de surveillance. Le chef de l'agence britannique de renseignement appelle les pays occidentaux à agir en urgence pour contrer cette menace. On recense ici cette année 9 attaques d'espionnage venant de hackers sinophones. Les nouveaux moyens humains annoncés pour la guerre hybride seront-ils suffisants ?

L'arme laser, cruciale pour la lutte anti-drones, est une mission prioritaire pour nos armées, mais la France a pris du retard. La société Cilas, acteur indispensable en la matière, connaît une situation financière catastrophique, doublée d'une grave dépendance technologique envers les États-Unis. Seul un développement de son partenariat avec Lumibird, leader européen pour les lasers, est susceptible de retourner cette situation. Allez-vous prendre rapidement les mesures qui s'imposent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

La guerre en Ukraine a accentué l'intensité des stratégies hybrides de manipulation de l'information mises en oeuvre, notamment dans l'espace méditerranéen, par des puissances hostiles à la présence européenne dans les Balkans et en Afrique du Nord. Quelles mesures envisagez-vous pour accélérer le déploiement de moyens de lutte contre la désinformation et éviter de perdre la bataille des récits en Méditerranée ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Vous avez évoqué la mission de réassurance menée par la France sur le flanc oriental de l'Otan et notamment en Roumanie. Face aux bombardements du territoire ukrainien, le président Zelensky multiplie les demandes de matériel militaire et de formation de soldats. À l'heure où notre liberté n'est plus acquise, notre soutien militaire à l'Ukraine est plus que jamais nécessaire. Quel est le nouvel agenda d'accompagnement militaire de l'Ukraine prévu pour les semaines à venir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

En mars 2021, l'UE a mis en place la Facilité européenne pour la paix, nouvel instrument financier pour ses actions extérieures ayant des implications militaires, d'une valeur de 5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Ce fonds a servi dans le contexte de la guerre en Ukraine. À quelle hauteur la France y participe-t-elle ? Le montant de ce fonds et notre participation devront-ils être rehaussés au vu de la situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

Votre prédécesseure a engagé un processus indispensable de verdissement de nos armées et de leurs bâtiments, tant pour leur coût énergétique que pour le confort des militaires et de leurs familles. Pourtant, l'effort mené reste assez lent : le remplacement de 1 600 chaudières s'étale jusqu'en 2031, 150 seulement seront remplacées en 2023. Cet effort n'est pas plus rapide que celui qui est demandé aux Français, alors que la défense pourrait être exemplaire. Pour les transports aussi, principal poste de consommation énergétique, les efforts restent légers : seuls 25 % des véhicules administratifs seront à faibles émissions en 2023. Quelles réflexions menez-vous pour la réduction de consommation énergétique, en matière de logistique, de déplacements, ou de développement de nouveaux équipements ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Guiol

En mai dernier, la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations sur la LPM et s'est montrée inquiète des conséquences d'une éventuelle dégradation des finances publiques sur la poursuite de nos efforts de défense. Elle préconise d'exploiter davantage les synergies et les opportunités européennes, notamment en matière d'armement. Si les avantages financiers sont évidents, il s'agit aussi de conforter l'autonomie stratégique européenne. Quelles leçons peut-on tirer de l'expérience du Scaf ? Quelles perspectives tracez-vous en matière de coopération européenne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain CAZABONNE

Vous avez demandé si les dépenses assurent l'efficacité d'une armée. Si l'on additionne les budgets militaires des États européens, on arrive à 560 milliards, ce qui ferait de l'Union la deuxième puissance après les États-Unis. Pourtant, son potentiel reste bien inférieur. Des études ont-elles été menées sur cette question ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Lecornu, ministre des armées

Monsieur Cazabonne, plus il y a d'argent, plus les capacités d'action augmentent, mais la notion d'efficacité est au coeur de nos réflexions, tant sur la dissuasion que sur les forces spéciales. L'efficacité, c'est le savoir-faire de nos unités, la qualité des états-majors et des académies militaires, la capacité à viser juste, ou encore la BITD. Ce sera donc un mot-clé de la prochaine LPM, pour que les crédits ouverts servent à quelque chose.

Monsieur Cadic, sur Cilas, le délégué général pour l'armement est à la manoeuvre et pourra vous répondre. Le CEMA a élaboré une doctrine sur la lutte informationnelle globale.

Monsieur Patriat, le soutien militaire à l'Ukraine a connu plusieurs phases ; on entre aujourd'hui dans un quatrième chapitre avec ce fonds, qui permettra d'éviter les prélèvements sur les stocks de nos armées et entraînera notre BITD à la résilience et à la réactivité d'une puissance en guerre. Le Président de la République nous a demandé d'instruire de nouvelles propositions ; j'aurai un échange discret ce jeudi avec mon homologue ukrainien. Le soutien de la France s'inscrit dans la durée.

Madame Duranton, la part de la France dans la Facilité européenne pour la paix s'élève à 450 millions d'euros, soit environ 18 % de son budget. Remarquons que certains pays contribuent à la défense européenne, mais sont ensuite remboursés par un fonds mutualiste dont la France est un gros contributeur. La pérennisation de ce fonds, qui a permis de déclencher très vite des cessions, sera au menu des discussions européennes dans les temps à venir.

Monsieur Gontard, voici un chiffre : les armées ont déjà diminué leurs émissions de gaz à effet de serre de presque 20 % ces dernières années ; l'objectif est de diminuer encore de 10 % notre consommation énergétique dans les deux ans qui viennent. Les passoires thermiques restent trop nombreuses parmi nos bâtiments !

Debut de section - Permalien
Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées

Concernant le champ informationnel, les armées ont bien identifié comme critère de succès la capacité à combiner des actions dans les champs cinétiques et immatériels. C'est l'un des retours d'expérience les plus évidents de la guerre en Ukraine : l'importance de la guerre de l'information, pour laquelle les Ukrainiens font montre d'un certain savoir-faire, même si les Russes y restent très présents. Nous avons évidemment une doctrine en matière de lutte informatique d'influence ; des unités sont chargées de la mettre en oeuvre, des actions sont conduites - je pense à l'affaire de Gossi, au Mali.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement

Cilas fabrique, entre autres, des armes laser. Lumibird est aussi un fournisseur mondial de diodes laser, notamment pour le domaine spatial. Le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique (SIIE) de la direction générale pour l'armement (DGA) prend garde à ce que les actifs critiques pour la BITD - outre la douzaine de fournisseurs majeurs, elle compte 4 000 PME - soient préservés.

Le projet de reprise de Cilas est prêt. Nous attendons l'avis de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne qui sera rendu le 14 octobre. Nous espérons un avis positif, qui permettra la reprise par Safran et MBDA, alors que les actionnaires actuels sont ArianeGroup, à 63 %, et Lumibird, à 37 %. Lumibird garderait ses parts et nous ferons en sorte de préserver le développement de la filière laser en France.

En matière d'autonomie stratégique européenne, l'on parle beaucoup du Scaf et du MGCS. Aucune aventure industrielle ambitieuse ne s'est faite sans difficulté. Il faut nuancer certains propos. Le Scaf ne met pas en péril ni n'anime à lui tout seul l'ensemble de la coopération européenne. Par exemple, dans le domaine des matériaux et processeurs, il est absolument nécessaire de coopérer.

Outre les mécanismes existants, le Fonds européen de défense (FED), doté de 8 milliards d'euros pour 2021-2027, est une première : il est dédié au financement des activités de R&D pour le monde de la défense, ce qui semblait inimaginable il y a peu. Ce FED va concourir à la relance de l'économie européenne.

L'enjeu majeur pour la France est de trouver un équilibre entre retour sur investissement pour l'industrie, consolidation de la défense européenne et préservation des prérogatives nationales clefs, notamment sur la définition des besoins et sur la gestion des projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

À condition que ce fonds européen finance bien des entreprises européennes...

Debut de section - Permalien
Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement

ce à quoi nous veillons.

Debut de section - Permalien
Christophe Mauriet, secrétaire général pour l'administration (SGA)

En matière d'économies d'énergie, les enceintes militaires feront l'objet de plus nombreux contrats de performance énergétique (CPE), dont les effets sont puissants pour réduire les consommations.

Le ministère a pris de nombreuses initiatives, qu'il va encore amplifier. Pour les bâtiments, nous mettons l'accent sur de petits travaux avant la saison de chauffe, pour optimiser les consommations ; nous remplaçons systématiquement les ampoules classiques par des LED. Nous encourageons l'emploi des énergies renouvelables, en plus des groupes électrogènes, dans les emprises ou en opérations. Ces actions sont tous azimuts.

Pour les usages, le ministère est relativement précurseur, en encourageant, par exemple, des comportements vertueux en matière d'éclairage. Nous faisons preuve de cohérence et de discipline, conformément à nos valeurs.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement

Dans la conception des nouveaux systèmes d'armes, cet impératif de sobriété énergétique est pris en compte pour évaluer les projets. Les économies d'énergie sont un avantage opérationnel certain. Nativement, nous prenions déjà en compte cette question, y compris dans les cycles de développement et de production, et encore plus aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le ministre, les sujets abordés sont multiples. Il faudra dialoguer cartes sur table avec le Parlement, a fortiori avec le Sénat. Nous sommes disponibles pour construire les voies du consensus. Menaces et défis à relever sont assez bien identifiés : inflation, épaisseur de nos armées - la triste affaire de l'Ukraine nous rappelle à nos responsabilités. Nos armées doivent pouvoir répondre à tous les défis, grâce à une vision lucide des points à améliorer.

En matière de coopérations capacitaires, je rappelle que le Bundestag joue un rôle essentiel. Le Scaf et le MGCS étaient de bonnes idées ; encore faut-il que nos industriels puissent se mettre d'accord, et il faut que, politiquement, nos parlements y voient plus clair. Les déclarations du chef d'état-major allemand, qui parlait cet été de « projets fumeux », méritent des éclaircissements. Nous devons nous parler franchement, et les plans B existent. Nous restons lucides, ouverts au dialogue, dans la plus grande franchise.

Je renouvelle à nos forces armées notre soutien. Leurs besoins en matériel et en matière de conditions de vie et de sécurité restent au coeur de nos préoccupations. Que ce moment budgétaire concrétise cette attention que le Parlement leur porte. Nous espérons une grande qualité dans nos discussions budgétaires et une forte participation des sénateurs et des députés à ce travail essentiel à notre sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Mes chers collègues, je vous informe que le groupe socialiste, écologiste et républicain a désigné Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Rachid Temal en qualité de vice-présidents de notre commission, en remplacement de MM. Gilbert Roger et Jean-Marc Todeschini.

Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Rachid Temal sont désignés vice-présidents de la commission.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 25.