Intervention de Catherine Colonna

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 octobre 2022 à 16h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Audition de Mme Catherine Colonna ministre de l'europe et des affaires étrangères

Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs des sénateurs, je suis très heureuse de vous retrouver aujourd'hui dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.

Le 2 septembre dernier, lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, j'avais réaffirmé qu'accroître notre ambition diplomatique, en cohérence avec le renforcement de l'ensemble des fonctions régaliennes de l'État, impliquait aussi d'augmenter les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, dans le prolongement de ce qui avait été amorcé lors des deux derniers exercices.

Le projet de budget que nous soumettons aujourd'hui à l'examen de votre commission renforce cette tendance, avec une hausse des moyens du ministère qui bénéficie tant à la mission « Action extérieure de l'État » qu'à la mission « Aide publique au développement ». Le budget prévoit aussi une hausse de nos moyens humains inédite depuis trente ans, une évolution qui prend tout son sens à la lumière de l'environnement international dans lequel nous vivons.

Vous le savez, nos intérêts sont partout contestés, qu'ils soient politiques ou économiques. Nos ressortissants et nos emprises sont menacés, et des actions hostiles se déploient également dans les champs numérique et informationnel. Nous devons y faire face avec d'autant plus de détermination que ces actions s'inscrivent, comme le Président de la République l'a rappelé devant le corps diplomatique, dans un monde en voie de fracturation, plus brutal, dans lequel il est essentiel que la diplomatie intervienne plus activement.

Cette tendance ne date pas d'hier, évidemment, mais elle a pris une ampleur nouvelle et inédite lorsque la Russie a fait, voilà sept mois, le choix de ramener la guerre sur le continent européen en agressant militairement l'Ukraine. La Russie a porté atteinte aux principes fondamentaux de la Charte des Nations-unies, qui seuls peuvent garantir la paix entre les nations, la portée de cette guerre dépasse largement le continent européen. Nous nous efforçons de le faire comprendre partout à travers le monde. Dans ce contexte, des mécanismes comme ceux de la Cour pénale internationale sur le plan multilatéral ou de la Facilité européenne de paix sur le plan européen ont aujourd'hui plus d'importance que jamais.

Du fait de cette agression, des situations de tension se transforment en situations de crise, énergétiques ou alimentaires notamment. Les divisions sont exacerbées, au risque d'une fragmentation durable de la scène internationale entre le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest, dont on peut se demander bien évidemment si ce n'est pas l'un des objectifs de la Russie.

Cette fragmentation intervient paradoxalement au moment où nous avons plus que jamais besoin de bâtir des coopérations pour apporter des solutions durables aux enjeux globaux qui se sont multipliés ces dernières années, en même temps qu'ils gagnaient en complexité et en technicité. Climat, environnement, biodiversité, océans, alimentation, santé : autant de domaines où la France a pris la tête des efforts mondiaux pour protéger les biens communs, ce qui suppose des compétences ainsi que des moyens financiers et humains.

Les moyens supplémentaires que je m'apprête à vous présenter ont vocation à répondre à ces enjeux. Ils nous permettront de déployer une diplomatie combative, agile et innovante, une diplomatie de résultats au service de nos compatriotes. Il est essentiel pour cela de maintenir un outil diplomatique universel, capable de se déployer partout dans le monde et d'agir dans la totalité ou presque des organisations régionales et internationales.

La France, je le rappelle, dispose du troisième réseau diplomatique mondial, fort de 163 ambassades, 16 représentations permanentes et 90 consulats généraux. Cette universalité de notre réseau nous permet d'être présents partout et de parler à tout le monde, ce qui constitue un atout majeur pour bâtir les coalitions d'action dont nous avons besoin pour agir dans les organisations internationales et peser sur un certain nombre de situations.

Vous l'avez rappelé, monsieur le président, c'est aussi un outil universel puissant au service de nos ressortissants, qui s'est illustré notamment durant la pandémie de covid-19.

Pour répondre à ce contexte international inédit, le projet de budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) est ambitieux.

Comme vous le savez, la mission « Action extérieure de l'État » comprend les programmes 105, « Action de la France en Europe et dans le monde », 151, « Français à l'étranger et affaires consulaires » et 185, « Diplomatie culturelle et d'influence ».

Quant à la mission « Aide publique au développement », elle se compose du programme 110, « Aide économique et financière au développement », porté par le ministère de l'économie et des finances, et du programme 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », qui relève du Quai d'Orsay. C'est le MEAE qui est responsable du pilotage de la mission dans son ensemble.

La trajectoire à la hausse de notre budget se confirme et s'amplifie. En 2023, les crédits de paiement devraient atteindre 6,65 milliards d'euros pour l'ensemble des missions, en augmentation de 543 millions d'euros, soit 9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » atteindront 3,218 milliards d'euros, en hausse de 160 millions d'euros, et ceux de la mission « Aide publique au développement » relevant du MEAE 3,436 milliards d'euros, en hausse de 383,1 millions d'euros. La mission APD devient donc prépondérante dans le budget du ministère.

J'ajoute que les crédits cumulés des programmes 209 et 110 atteindront au total 5,77 milliards d'euros, ce qui correspond à 17 % d'augmentation par rapport à 2022 et à un doublement par rapport à 2017. C'est un effort considérable consenti par notre pays, sous l'impulsion notamment de la représentation nationale, que je tiens à remercier.

Par ailleurs, nos effectifs vont croître pour la première fois depuis 1993, avec 106 ETP supplémentaires si l'on intègre les transferts opérés par la Délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese).

Nos effectifs avaient considérablement diminué au fil des ans, accusant une baisse de 30 % sur les deux dernières décennies et de 17 % depuis 2006, sans modification substantielle du périmètre, à l'exception des experts techniques internationaux (ETI).

Le budget 2023 marque donc une rupture avec une tendance qui n'était plus soutenable - Jean-Yves Le Drian avait parlé d'hémorragie - à l'heure où nos principaux partenaires voyaient croître leurs moyens. Le plafond d'emplois du ministère est ainsi porté dans le PLF 2023 à 13 634 ETP, ce qui représente une augmentation substantielle pour un ministère comme le nôtre.

Afin de financer à la fois la hausse de notre plafond d'emplois et la poursuite des réformes en cours au sein du ministère, notre masse salariale connaîtra une hausse raisonnable de 6 % par rapport à la LFI 2022.

Ces moyens nouveaux nous permettront d'accélérer notre réforme des ressources humaines, au bénéfice de toutes les catégories d'agents, titulaires, contractuels et agents de droit local.

S'agissant des rémunérations, nous avons veillé à ce que les mesures bénéficient également à tout le monde. Après le plan RH 2022, qui a permis notamment une augmentation des rémunérations des titulaires et des contractuels en administration centrale, nous poursuivrons en 2023 la mise en oeuvre du plan de convergence des rémunérations entre titulaires et contractuels, en y consacrant 6,4 millions d'euros. Nous consacrerons également 1,6 million d'euros à la revalorisation des volontaires internationaux, ces jeunes collègues qui font un travail très utile, et même souvent remarquable au sein de nos ambassades. Enfin, 3 millions d'euros seront dévolus à l'harmonisation des conditions salariales des recrutés locaux.

Mon ministère poursuivra enfin la mise en oeuvre de la réforme de la haute fonction publique, en faisant évoluer son organisation et son fonctionnement pour jouer pleinement, si nous le pouvons, le rôle de chef de file interministériel de l'action extérieure de l'État que le Président de la République et la Première ministre ont rappelé à l'occasion de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs. C'est une condition de l'efficacité de l'État dans son action internationale.

J'ai annoncé lundi le lancement des États généraux de la diplomatie, dont le Président de la République avait bien voulu accepter l'idée dans son discours. Ils débuteront à compter de la semaine prochaine. Jérôme Bonnafont, représentant permanent de la France auprès des Nations unies à Genève, qui avait déjà accompli un travail très apprécié sur l'adaptation des ressources humaines du ministère aux nouveaux enjeux, sera le rapporteur général de cette mission.

Nous voulons tracer les contours de la diplomatie professionnelle de demain. J'insiste sur l'importance de la professionnalisation et de l'expérience acquise au fil des années, mais nous voulons essayer de répondre le plus efficacement possible aux enjeux d'aujourd'hui et de demain, si besoin en faisant évoluer nos méthodes de travail.

L'aide humanitaire constitue l'une des grandes priorités de ce projet de budget. Notre capacité à répondre aux crises humanitaires, aggravées par la guerre en Ukraine, est aujourd'hui un enjeu majeur. Ce projet de budget en prend pleinement la mesure. Notre aide humanitaire programmée atteint ainsi 642 millions d'euros - 200 millions d'euros mis en oeuvre à travers le Fonds d'urgence et de stabilisation, en augmentation de 30 millions d'euros-, 160 millions d'euros dédiés à l'aide alimentaire programmée, en augmentation de près de 42 millions d'euros, et 200 millions d'euros dédiés aux contributions humanitaires volontaires aux Nations-unies, en augmentation de 19,5 millions d'euros. S'y ajoute l'initiative Food & Agriculture Resilience Mission (Farm), qui sera financée par la France à hauteur de 75 millions d'euros afin de répondre à l'aggravation de l'insécurité alimentaire mondiale provoquée par les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Pour plus de réactivité, cette programmation à la hausse se double d'une augmentation substantielle de la provision pour crise majeure, qui sera plus que décuplée, passant de 23 millions d'euros à 270 millions dans le PLF 2023. Ce saut quantitatif et qualitatif doit nous permettre de répondre plus efficacement et plus rapidement à des situations d'urgence dans le domaine humanitaire.

Au total, 912 millions d'euros pourront donc potentiellement être consacrés à l'aide humanitaire en 2023 par mon ministère.

L'autre grande priorité, c'est la sécurité, dans un contexte de persistance, et souvent d'aggravation des difficultés en Afrique, mais aussi en Europe. Les moyens nouveaux du programme 105 seront notamment orientés vers la sécurisation de nos emprises, avec une enveloppe de 5 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et de 3 millions d'euros en crédits de paiement. Nous renforcerons notamment la sécurité des postes diplomatiques d'Islamabad, de Bagdad et d'Addis-Abeba.

Quant à Ouagadougou, monsieur le président, l'une des premières décisions que j'ai prises en prenant mon poste fut l'envoi de quelques unités de gendarmes supplémentaires pour renforcer la sécurité de notre ambassade.

Le numérique constitue une autre priorité. Nous menons depuis quelques années une politique d'investissements soutenus, mais nous devons encore améliorer l'efficacité de nos outils et pallier quelques inégalités de déploiement qui demeurent selon les pays. Nous devons aussi renforcer la cybersécurité de notre réseau, le deuxième le plus attaqué de France après celui de la Présidence de la République. Les moyens de la direction du numérique du ministère s'établiront à 52,2 millions d'euros, en augmentation de 4,4 millions d'euros.

La communication stratégique sera également prioritaire. Nous sommes confrontés à des manipulations de l'information et à de la propagande, souvent d'origine russe, qui vise par exemple à attiser des discours antifrançais sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique et dans quelques pays européens. Nous avons pu le constater lors du coup d'État au Burkina Faso. Afin de mieux lutter contre ces pratiques, nous augmenterons de 2,5 millions d'euros les moyens de la direction de la communication et de la presse, sachant que d'autres entités sont aussi chargées de cette mission au sein de l'État.

Notre dernière priorité sera l'éducation en français et à la française. Nous disposons de 566 établissements, implantés dans 138 pays à travers le monde, qui scolarisent 390 000 élèves. Nous poursuivrons le plan de développement à l'horizon 2030 et renforcerons les moyens de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) à hauteur de 30 millions d'euros.

Ces priorités thématiques s'accompagneront d'une préoccupation constante : aider et protéger les Français à l'étranger. Le Quai d'Orsay, c'est aussi le service public des Français à l'étranger. En 2023, notre action consulaire, à travers le programme 151, sera dotée de 141,1 millions d'euros hors dépenses de personnel. La baisse apparente des crédits de paiement par rapport à 2022 s'explique par l'absence de report cette année du coût d'organisation des élections présidentielles et législatives, qui s'est élevé à 13,5 millions d'euros, somme inutile en 2023. Aucun autre pays au monde n'offre pareil service consulaire à ses concitoyens.

Les bourses scolaires destinées aux enfants français de nos établissements scolaires retrouveront leur niveau de 2021, avec un budget de 105,8 millions d'euros, qui englobe aussi dorénavant des bourses spécifiques pour les enfants en situation de handicap.

Afin de répondre aux besoins accrus de la communauté française à l'étranger, dans un contexte souvent plus difficile, des crédits supplémentaires seront également alloués au titre de l'aide sociale : 16,2 millions d'euros en 2023, soit un million d'augmentation par rapport à 2022. L'allocation SOS covid, dotée de 12 millions d'euros en 2021 et de 4,3 millions d'euros en 2022, sera remplacée, pour ceux de nos compatriotes qui en auraient besoin, par une aide sociale classique. Ils pourront aussi compter sur le soutien des organismes locaux d'entraide et de solidarité, que nous aiderons à hauteur de 1,4 million d'euros en 2023, et sur celui des associations porteuses de projets bénéficiant aux Français de l'étranger - le dispositif Stafe (soutien au tissu associatif des Français à l'étranger) sera doté de 2 millions d'euros en 2023.

Toutes ces aides seront distribuées en lien avec les élus consulaires, qui constituent un précieux relais des besoins de nos compatriotes.

Être aux côtés des Français de l'étranger, c'est aussi faciliter leurs démarches. La modernisation de l'action consulaire se poursuit : je pense à la numérisation du registre de l'état civil, à l'amélioration continue du dispositif de vote par internet et à l'extension de l'expérimentation du service France Consulaire, déployé dans 13 pays pour le moment. Nous développerons également une expérimentation visant à favoriser le renouvellement des passeports sans comparution.

Le projet de loi de finances pour 2023 consacre donc une hausse modeste de nos effectifs, une augmentation sensible de nos moyens budgétaires, la poursuite du renforcement de l'aide publique au développement et du service public offert à nos concitoyens établis - ou de passage - à l'étranger. Ce budget reflète les fortes attentes envers notre diplomatie et témoigne de la confiance accordée à notre appareil diplomatique. Il rend hommage au sens de l'intérêt général de nos diplomates.

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