Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 18 octobre 2022 à 22h00
Intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques — Discussion générale

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin est ambitieuse et profondément novatrice. Elle a été nourrie par les travaux que la commission d’enquête a conduits pendant plusieurs mois sur l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques.

Ces travaux ont suscité de nombreuses réactions de la part du Gouvernement, de l’administration et des consultants : circulaire de la Première ministre ; refonte de l’accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique, dont l’équipe de conseil interne doit être renforcée ; rédaction par l’organisation professionnelle Syntec Conseil d’une charte de déontologie spécifique pour « les interventions de conseil auprès du secteur public » ; et, très récemment, publication par le Gouvernement d’une annexe au projet de loi de finances pour 2023 – vous me permettrez, monsieur le ministre, de ne pas utiliser l’expression « jaune budgétaire » ; mais nous y reviendrons.

Si ces initiatives vont dans la bonne direction, elles restent insuffisantes, car elles n’ont pas le caractère général et pérenne souhaité.

La commission des lois estime par conséquent qu’une loi instituant un cadre unifié, contrôlé et sanctionné est aujourd’hui nécessaire.

Le texte proposé par nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin répond à quatre enjeux, tous essentiels dans le cadre d’une démocratie que l’on souhaite mature : un enjeu de transparence, envers les parlementaires, mais surtout à destination des citoyens ; un enjeu de maîtrise de la dépense publique ; un enjeu de souveraineté, au travers de l’action de l’État ; enfin, un enjeu de probité.

Cosigné par la quasi-intégralité des membres de la commission d’enquête, ce texte est le fruit d’un travail transpartisan. La commission des lois a tenu à conserver cet équilibre, tout en l’ajustant pour lui apporter une pleine effectivité. Dans cet esprit, elle a sécurisé le périmètre de la proposition de loi en choisissant une rédaction plus précise juridiquement, préférant la catégorie des établissements publics de l’État à celle des opérateurs, et en évitant les chevauchements de compétences avec les conseils de discipline des professions réglementées du droit.

La commission a également renforcé l’exigence de transparence et clarifié le partage des responsabilités entre administration et consultants. Elle a aussi rendu plus dissuasive l’amende administrative qui serait exigée des personnes morales ne respectant pas les nouvelles obligations mises en place, en la portant à un montant proportionnel à leur chiffre d’affaires mondial. Elle a enfin apporté des garanties à la procédure de vérification sur place et créé un mécanisme de régularisation en cas d’exclusion des procédures de passation des marchés publics.

Cela étant, j’ai bien conscience que le texte adopté par la commission n’est qu’un point d’étape et non pas un aboutissement. Certains sujets importants restent en effet en débat. Ils nécessitent le temps de la réflexion que permettent la navette et la discussion parlementaires. Il en va ainsi du champ d’application de la proposition de loi, concernant aussi bien les administrations bénéficiaires que les prestations de conseil concernées.

Par ailleurs, la question de l’inclusion ou non des collectivités territoriales dans la liste des administrations bénéficiaires se pose, c’est indéniable. Loin de nous l’idée d’opposer un État friand de prestations de conseil à des collectivités territoriales qui n’y recourraient jamais ! Toutefois, cette question ne saurait être réglée sans consulter les associations d’élus locaux et sans comprendre les conséquences d’une telle décision sur le fonctionnement desdites collectivités territoriales. Nous n’allons pas le faire au détour d’un amendement de séance : ce serait affaiblir le texte et ses objectifs.

De même, la question des seuils est récurrente, y compris pour les établissements publics de l’État que nous avons intégrés dans le champ d’application de la proposition de loi. Cependant, en l’absence d’informations permettant d’établir la liste précise des établissements publics concernés par tel ou tel seuil, il nous semble pour l’heure prématuré d’en fixer un.

Dans le même ordre d’idée, la liste des prestations de conseil entrant dans le champ de la proposition de loi mériterait sans doute d’être affinée ultérieurement.

À ce stade, le Gouvernement et quelques-uns de nos collègues ont formulé un certain nombre de propositions.

Une partie d’entre elles remettent en cause l’architecture du texte, en particulier le rôle accordé à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et le recours à des sanctions administratives, ou reviennent sur la substance des obligations mises à la charge de l’État, en particulier en matière de transparence. C’est pourquoi la commission s’y opposera.

D’autres visent à suggérer des modifications plus restreintes. Nous ne les avons pas retenues à ce stade pour nous concentrer sur le cadre général. Nous pourrons, pour certaines, y revenir dans la suite de la navette.

Enfin, certains auraient souhaité saisir l’occasion de ce texte pour renforcer le cadre législatif s’appliquant aux représentants d’intérêts. Ils en ont été empêchés par l’application de l’article 45 de la Constitution et surtout, là encore, par la volonté de préserver l’équilibre de cette proposition de loi issue des travaux de la commission d’enquête.

Ce sujet est cependant important et mériterait un texte à part. Notre comité de déontologie mène d’ailleurs une réflexion sur les règles applicables aux représentants d’intérêts au Sénat.

Ce soir, nous fixons un cadre et nous coulons, en quelque sorte, les fondations. Mais tout ne sera pas terminé après l’examen du texte au Sénat. Il faudra poursuivre le dialogue et améliorer cette proposition de loi pour la rendre applicable et effective.

Notre rôle ici n’est certainement pas d’affaiblir l’État et, à travers lui, notre République. Il est au contraire de chercher à prendre les meilleures décisions pour modifier des pratiques qui ont conduit, progressivement, à externaliser une partie de la prise de décision vers le secteur privé.

Nous sommes là non pas pour tout renverser, mais bien pour remplir pleinement notre mission de parlementaire, c’est-à-dire pour effectuer le travail de contrôle et d’initiative législative. Nous ne doutons pas que l’Assemblée nationale fera de même, qu’elle inscrira à son tour ce texte à son ordre du jour et qu’elle l’examinera dans les semaines ou les mois à venir.

Pour conclure, la commission vous invite à adopter son texte enrichi de quelques amendements pour poser, comme je l’ai dit, les premiers grands jalons de l’encadrement de l’activité des cabinets de conseil privés auprès de l’État et de ses administrations, et ce dans un délai contraint. Nous aurions certainement pu mener davantage d’auditions si le temps dont nous avions disposé avait été plus long… Pour autant, les travaux de la commission d’enquête ont permis de préserver l’équilibre souhaité par les différents auteurs de cette proposition de loi.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter ce texte.

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