Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les cabinets de conseil privés, acteurs de l’ombre, omniprésents pourtant, « tentaculaires », selon la commission d’enquête sénatoriale, ont été démasqués, dévoilés, mis au grand jour.
Les parlementaires du groupe CRCE, qui sont à l’origine de la création de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, ont conduit, sous la présidence d’Arnaud Bazin et avec Éliane Assassi, rapporteure, une investigation dont les résultats nous ont dépassés.
Ainsi, les travaux de la commission ont connu un fort retentissement dans l’opinion publique. Les cabinets de conseil constituent désormais un objet politique identifié et controversé. Nous devons collectivement nous en féliciter.
Ensuite, au terme de ces travaux, il est apparu nécessaire de légiférer rapidement, comme nous le faisons ce soir, pour traduire en actes les constats partagés à l’unanimité par les membres de la commission d’enquête.
Si le recours aux cabinets de conseil est ancien, l’ampleur du phénomène est inédite : ils représentent pour l’État un coût de 1 milliard d’euros en 2021. Mais ce qui change par rapport à hier, c’est la croyance toujours plus affirmée depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron qu’il existe une différence entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, les « sachants » appartenant aux cabinets de conseil, les autres étant dans l’administration.
Le monopole de la vérité objective et rationnelle incomberait à des cabinets connus pour appliquer les mêmes recettes à des problèmes différents, économies d’échelles obligent…
Nous nous souvenons des mots de Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, le 12 décembre 2007, lors de la présentation de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP) : « La réforme de l’État, je l’ai promise, je la ferai. Je la ferai parce que nos finances publiques doivent être redressées ». Ces mots, qui se sont traduits par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, ont porté un coup important à la capacité de la fonction publique de mener à bien ses missions.
Chacun reconnaît aujourd’hui que l’on est allé beaucoup trop loin. Il faut consacrer le retour du politique comme maître de l’action publique.
Lors de la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et de l’examen de la loi du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, nous fûmes bien les seuls à proposer la suppression de la « fongibilité asymétrique », terme barbare qui permet de redéployer le budget du personnel vers des dépenses différentes comme l’investissement, l’intervention ou le « consulting » – permettez-moi cet anglicisme –, mais qui interdit le mouvement inverse.
Cette logique libérale est mortifère. §Je souhaite que tous nos concitoyens et toutes nos concitoyennes défient ces mécanismes libéraux de réduction de l’emploi public au prétexte d’une prétendue « obésité » de l’État.
Le collectif « Nos services publics » explique cet effet pervers : « Plutôt que de diminuer le coût du service tout en maintenant sa qualité, on en réduit la qualité tout en dégradant les finances publiques », notamment en raison des rémunérations beaucoup plus élevées versées aux cabinets de conseil.
Feignant de soutenir la proposition de loi transpartisane du Sénat, le Gouvernement et ses alliés révèlent leur volonté de miner le texte à grands coups d’exclusions et de suppressions.
On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » leur faire béatement confiance. On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » exclure des consultants en raison de leur statut. On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » saper les obligations déontologiques prévues dans cette proposition de loi.
Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais votre « en même temps » n’est pas l’équilibre, c’est le laxisme. C’est la poursuite de la connivence entre les cabinets de conseil et le Gouvernement.
Les contrats massifs passés durant l’été et en ce début d’automne montrent que vous n’avez tiré jusqu’ici aucune leçon des travaux de la commission d’enquête et que vous entendez bien vous limiter à des déclarations d’intention.
Tout au long du processus, vous n’avez eu de cesse de miner les travaux de la Haute Assemblée, sentant que la situation vous échappait quelque peu : publication d’un rapport à l’Assemblée nationale, d’une circulaire opportune la veille d’une audition de ministre, conférence de presse de ministre en pleine campagne présidentielle et publication d’un « jaune budgétaire » incomplet avant même le vote de la proposition de loi.
Les mots du président alors candidat sont teintés de vérité : « Sur McKinsey, on est mauvais comme des cochons, les enfants ! ».
Permettez-moi de m’arrêter un instant sur un point, car vous connaissez mon appétence en matière de lutte contre la fraude fiscale et toutes les formes d’optimisation intolérables.