Intervention de Mickaël Vallet

Réunion du 18 octobre 2022 à 22h00
Intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques — Discussion générale

Photo de Mickaël ValletMickaël Vallet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon camarade Jean-Pierre Sueur vous ayant exposé la position du groupe socialiste sur les grandes lignes du texte, je me concentrerai pour ma part sur l’article 7, qui impose aux cabinets de conseil travaillant pour l’État de bien vouloir, s’il vous plaît, employer la langue française dans leurs échanges avec l’administration et dans leurs documents.

Cet article est la traduction de l’une des recommandations de cette commission d’enquête, à laquelle j’ai participé avec plaisir. Grâce à elle, nous avons pu mesurer ce qui se passe dans les coulisses de ces marchés publics où, diapositive après diapositive, les cabinets offrent des solutions adéquates que les administrations ne sauraient trouver par elles-mêmes.

Pour mieux me faire comprendre par l’écosystème qui nous occupe et qui nous écoute peut-être, j’aurais pu dire que j’ai fait partie du board de la commission qui a mesuré, behind the scene, comment slide après slide les consultants juniors et seniors d’un même practice font des « propales » pour offrir les bons feedbacks et les key learnings à leurs prospects publics.

Mes chers collègues, si comme moi vous n’entendez rien à ce sabir, rassurez-vous : la commission d’enquête a annexé à son rapport un glossaire du vocabulaire dont les cabinets de conseil inondent leurs clients – j’en remercie d’ailleurs la présidente Éliane Assassi. En revanche, inquiétez-vous de la situation qui a rendu ce glossaire malheureusement indispensable.

Lors de son audition, le PDG de La Poste a indiqué que le recours trop systématique aux cabinets de conseil faisait courir le risque d’un « nouveau conformisme », passant par la langue et conduisant à un appauvrissement de la pensée. Ce « globish », qui n’est même pas de l’anglais, est en réalité un instrument de formatage. Nombreux sont les fonctionnaires et les citoyens à en concevoir une souffrance certaine.

La France a un rapport à la puissance publique et à l’administration qui lui est propre ; Villers-Cotterêts n’est pas Wall Street. Or ce rapport ne peut être appréhendé par ces cadres de pensée d’outre-Atlantique. Ceux-ci correspondent parfaitement à la culture anglo-saxonne ; c’est une grande culture, mais ce n’est pas la nôtre et elle ne nous permet pas de développer souverainement notre propre vision de l’action publique.

La légère modification de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite Toubon, proposée dans ce texte ne saurait être résumée à une approche passéiste consistant à regretter le bon vieux temps de l’imparfait du subjonctif ou de la marine à voile.

Ce n’est pas non plus la recherche d’une langue pure, car une langue figée est une langue finie, fantasme morbide que je laisse aux réactionnaires. On doit accepter, avec gourmandise, l’intégration des mots étrangers ou nouveaux, lorsqu’ils recouvrent mieux que n’importe quel autre terme une réalité que notre langue ne décrit pas.

En revanche, lorsque le mot existe en français et, surtout – j’arrive au point essentiel –, lorsqu’il est parfaitement entendu de tous les citoyens, il doit être employé, afin que les gens se comprennent entre eux. C’est un impératif démocratique tout autant qu’un refus de l’entre soi.

Une récente étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) sur le sujet rappelle l’« attachement manifeste à la langue, qui se décline à travers l’expression de la nécessité de services publics exemplaires sur le sujet ».

C’est ce qui est exprimé dans l’article 7 de la présente proposition de loi, dans un contexte dans lequel les gouvernements ne respectent, et de longue date, ni la loi Toubon, ni les dispositions réglementaires prises en application de celle-ci, ni les circulaires primo-ministérielles, qui s’imposent pourtant à l’administration. Les « Choose France », « French Tech », « Business France », « France Connect », « French Impact », start-up nation, bottom-up et autres clusters sont autant d’agressions, qui creusent le fossé entre le peuple et ses représentants ; il faut en avoir conscience. Quand on est payé par le contribuable, on le sert dans sa langue et cela vaut tant pour l’administration que pour ses dirigeants et ses prestataires !

En février dernier, l’Académie française a publié un rapport sous-titré Pour que les institutions françaises parlent français ; nous en sommes rendus là… En juin dernier, le ministre québécois de la langue française en visite à Paris nous invitait avec émotion à ne pas laisser son gouvernement seul dans cette bataille ; nous devons l’entendre !

Nous avons ici une occasion, rare, de renforcer utilement la loi Toubon : saisissons-la, monsieur le ministre !

D’aucuns inscriraient sur leur slide de conclusion que c’est now or never qu’il faut réaffirmer ces principes linguistiques, mais, avec l’audace dont nous savons faire preuve au Sénat, sur toutes les travées, nous pouvons dire, beaucoup plus clairement, que c’est maintenant ou jamais !

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