Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer l’initiative des auteurs de cette proposition de loi, Éliane Assassi et Arnaud Bazin. On a pu en mesurer la nécessité lors des travaux de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer.
C’est donc avec la conviction de la nécessité de cet encadrement que j’ai cosigné cette proposition de loi. Je tiens également à saluer le travail de la rapporteure du texte, Cécile Cukierman.
Je ne développerai pas les risques que l’emprise des cabinets de conseil peut faire peser sur la démocratie et sur la légitimité des responsables publics ; chacun les connaît désormais. Au moment de fatigue démocratique forte que connaît notre pays et où le lien de confiance entre les pouvoirs publics et nos concitoyens est pour le moins distendu, il convient de compléter notre arsenal législatif pour encadrer ces pratiques, en définir le périmètre, en piloter l’intervention, les rendre transparentes et protéger les données de l’administration.
Je me bornerai, dans le temps qui m’est imparti, à aborder deux aspects de ce texte : l’interdiction des prestations réalisées à titre gratuit, déjà abordée par Arnaud Bazin, et la protection des données.
J’ai beaucoup insisté, lors des auditions de la commission d’enquête et lors de la réunion d’examen de son rapport, sur le problème majeur que constituent les interventions dites pro bono. Ces prestations, dénuées de tout fondement juridique, peuvent correspondre à une stratégie de « pied dans la porte », en vue de développer un réseau d’influence auprès des décideurs politiques et de l’administration, voire d’orienter des politiques publiques.
Je me réjouis donc que le texte pose le principe de l’interdiction des prestations à titre gratuit. L’équilibre proposé, par lequel on autorise des missions réalisées dans la cadre du mécénat d’entreprise au profit de certains organismes ou œuvres d’intérêt général, me semble bon. Il conviendra bien entendu d’en évaluer la mise en œuvre et la portée, afin de s’assurer qu’il n’y a pas de dérives et que ces organismes d’intérêt général ne sont pas privés par ailleurs de cette ressource.
Le deuxième sujet sur lequel je veux insister est la protection des données de l’administration. S’il est essentiel d’éviter toute confusion entre le consultant et l’administration dans l’action publique, comme le prévoit le texte, il est également crucial de s’assurer que les données de l’administration utilisées par les cabinets de conseil sont protégées. Je parle bien sûr des utilisations ayant une finalité autre que l’exécution de la mission.
Il me paraît équilibré de confier le contrôle de la suppression de toutes ces données à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), sans obligation d’aviser le prestataire avant une éventuelle vérification sur place. Ce recours à la Cnil, sous le contrôle éventuel du juge des libertés et de la détention, me semble relever, comme le recours à la HATVP, mobilisée pour éviter tout conflit d’intérêts, du bon usage de nos autorités indépendantes.
Cette proposition de loi est exemplaire, comme le montrent les nombreuses réactions du Gouvernement aux travaux de la commission d’enquête, en particulier la publication, déjà évoquée, de la circulaire insuffisante de janvier 2022. Elle comprend bien d’autres volets qui feront avancer nos pratiques démocratiques, grâce à l’action du Parlement. L’examen détaillé du texte permettra de souligner chacune de ces avancées, dont je me réjouis par avance, notamment en matière de transparence et de proportionnalité.
Éclairer les décisions, oui, car, plus que jamais, nous avons besoin de dialogue et d’expertise pour nous accorder sur le diagnostic avant d’engager une action ; mais orienter les décisions par des scénarios priorisés et bâtis par les cabinets sur des chemins « prébalisés », non ! Nous non plus ne devons pas être dépossédés, comme certains dans notre société actuelle.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi.