Par souci de cohérence et afin que nos débats avancent au rythme souhaité en cette heure tardive, je présenterai d’un même mouvement l’amendement n° 32 et les amendements n° 33 et 34 respectivement déposés par le Gouvernement aux articles 3, 4 et 8 de ce texte. La proposition que je souhaite vous soumettre consiste en effet à fusionner ces articles.
Je procéderai en deux temps : après vous avoir dit les réserves que m’inspire la lecture du texte issu des travaux de la commission, je vous exposerai la proposition du Gouvernement, que j’ai déjà évoquée lors de la discussion générale. Cette proposition n’affaiblit en aucun cas le dispositif ; elle a vocation, au contraire, à le rendre plus opérant et plus efficace, c’est-à-dire tout simplement effectif.
Tout d’abord, la dispersion des informations dans différents documents obéissant à différentes temporalités souhaitée par la représentation nationale ne me semble pas de nature à rendre effectives les mesures envisagées. Certaines informations seront retracées dans un rapport remis au Parlement, dit jaune budgétaire, d’autres figureront dans le rapport social unique, d’autres encore, relatives aux bons de commande, seront publiées au fil de l’eau sans que leur « réceptacle » soit très bien défini dans la proposition de loi. Quant à la question des compétences, elle fera l’objet d’un second rapport au Parlement…
Cette dispersion, je l’ai dit, mesdames, messieurs les sénateurs, ne me paraît pas conforme à votre objectif.
Je dirai un mot du rapport social unique, visé à l’article 4, alors qu’il n’a pas vocation à retracer les informations dont il est question ce soir. L’objet de ce document est en effet défini très précisément par la loi et par le décret, autour de dix rubriques : l’emploi, le recrutement, les parcours professionnels, la formation, les rémunérations, la santé et la sécurité au travail, l’organisation du travail et la qualité de vie au travail, l’action sociale et la protection sociale, le dialogue social, la discipline. Son objet n’est donc pas, je le répète, le recours aux prestations de conseil. Le rapport social unique est d’ailleurs rédigé par les services des ressources humaines des ministères et non par les agents administratifs qui auraient la charge d’examiner ces prestations.
J’attire vraiment votre attention sur ce point : y faire figurer les informations relatives aux prestations de conseil dont l’administration concernée a bénéficié serait un dévoiement de l’objet de ce document très utile, à partir duquel sont établies notamment les lignes directrices de gestion.
Je mentionnais un autre point, celui des diverses temporalités auxquelles obéissent respectivement les différentes informations dont on demande la publication : coexisteraient une annexe budgétaire, c’est-à-dire un rapport annuel, et un rapport fait tous les cinq ans sur la question des compétences, sans parler des bons de commande intégralement publiés au fil de l’eau. Là encore, une telle hétérogénéité n’est pas de nature à rendre ce dispositif effectif et utilisable, donc à satisfaire l’objectif visé.
Puisque j’évoque les bons de commande, je dois vous dire mes réserves quant à l’idée de leur publication exhaustive. Non que je souhaite affaiblir les mesures de transparence proposées – je m’apprête à faire des propositions nettes et précises sur cette question –, mais il faut bien comprendre ce que signifierait, opérationnellement parlant, une telle publication.
En 2021 ont été passées 4 854 commandes au sens du code de la commande publique. Le travail de biffage ou de caviardage d’un certain nombre d’informations, par exemple du nom des agents publics, dont vous ne remettez pas en cause le principe, prend du temps : au bas mot, à peu près cinq heures par prestation de conseil. Cela reviendrait à consacrer 25 000 heures de travail à la simple publication de l’intégralité des bons de commande. La proportionnalité d’une telle mesure pose question.
Au chapitre des éléments qui ne me paraissent pas de bonne législation dans le texte ainsi rédigé, je citerai par ailleurs un point qui pourrait mettre en cause, en cas d’erreur, la responsabilité, y compris devant la loi, des agents qui auraient à mener ce travail assez monumental – nous pouvons en convenir – de préparation ou de caviardage des bons de commande.
Quelle est la proposition du Gouvernement ?
Il s’agit de faire figurer l’ensemble des informations utiles au sein d’un document unique. M’exprimant à la tribune, j’ai pris l’engagement que ce document devienne une annexe permanente, gravée dans le marbre, de nos textes budgétaires, mis chaque année à la disposition des assemblées.
Figureraient dans ce rapport la liste exhaustive des commandes de prestations de conseil passées par l’État et, pour chaque prestation, l’intitulé, l’administration bénéficiaire, le montant, ainsi qu’une description de la stratégie menée, ministère par ministère, pour contrôler le recours auxdites prestations. Ce document, qui sera peut-être imparfait dans un premier temps, aura vocation à être enrichi et précisera par ailleurs quels transferts de compétences auront été réalisés au bénéfice de l’administration, indiquant, en d’autres termes, quelle stratégie de réinternalisation des compétences aura été mise en œuvre.
Je m’arrête un instant sur ce point, dont vous avez raison de souligner le caractère décisif. Il me semble que c’est là l’enjeu essentiel du texte : quels moyens l’État se donne-t-il pour réinternaliser un certain nombre de compétences ? Cette fusée comprend trois étages : premièrement, les compétences réinternalisées au sein de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) – j’ai annoncé la création de quinze postes et je compte continuer cet effort de réinternalisation ; deuxièmement, la mobilisation de fonctionnaires tout à fait capables, car formés, via le travail de formation effectué avec la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) – nous vous en livrerons le bilan année après année ; troisièmement, la mobilisation de nos corps d’inspection – il arrive en effet, je vous en donne crédit, qu’il existe des redondances entre des missions menées par des cabinets de conseil et le travail accompli par les corps d’inspection.
Je prends devant vous l’engagement de faire figurer l’ensemble des informations afférentes à cet effort de réinternalisation des compétences dans ce jaune budgétaire.
J’assume, madame Assassi, qu’il puisse être fait exception au principe de la publication des bons de commande, et ce pour des raisons qui ne tiennent pas simplement au secret des affaires. Je vous en donne un ou deux exemples très précis, afin de faire réfléchir votre assemblée sur la nature des informations dont vous vous apprêtez à autoriser la publication.
Songez au travail que réalise le fisc pour optimiser sa stratégie de lutte contre la fraude fiscale en s’appuyant sur un cabinet de conseil spécialisé dans l’intelligence artificielle.