Mon obligation de neutralité conduit à ne me prononcer que sur les aspects concernant l'information et la participation du public. Je ne pourrai donc pas répondre à votre première question sur les points forts et faibles du texte.
S'agissant de la planification terrestre, nous ne sommes saisis que pour très peu de projets d'énergies renouvelables terrestres. Il s'agit bien souvent de petits projets. Or, nous ne sommes obligatoirement saisis que pour les projets au-delà de 300 millions d'euros. Il est rare que ces projets dépassent ce seuil. Nous avons été saisis pour trois projets de parc éolien, dont un en cours, ainsi que sur le projet d'Horizeo de création d'un parc solaire de 1000 hectares en Nouvelle-Aquitaine.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés du débat public sur le projet d'Horizeo. Le porteur de projet proposait de défricher 1000 hectares pour y installer des panneaux solaires. Les opposants au projet ont contesté cette nécessité, avançant que le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) précisait que la même puissance pouvait être atteinte en posant les panneaux sur des friches. Une expertise a été diligentée, qui a révélé que les chiffres du SRADDET avaient été surestimés, les friches formant plusieurs parcelles difficiles à optimiser.
Cet exemple démontre la nécessité de partir du terrain, d'identifier précisément zone par zone les usages pour réaliser une bonne planification terrestre.
De notre expérience, la planification optimale est celle qui part d'une démarche ascendante plutôt que descendante, en partant de la vision des élus locaux et des intercommunalités sur la réalité des terrains. Par ailleurs, plus on est proches du territoire, plus il est facile d'organiser l'information et la participation du public. Ce dernier a une « expertise d'usage » : il est capable de dire par son expérience ce qui se passe sur le terrain. Le rôle des élus est quant à lui d'arbitrer ces différentes visions et ces conflits d'usage.
L'éolien en mer ne déroge pas à ces nécessités de planification, même si l'échelle de la mer est beaucoup plus large. On imagine encore assez mal l'ampleur de ces projets industriels. Ainsi, pour le projet de parc éolien de centre Manche, qui correspond aux appels d'offres 5 et 8, entre 470 et 480 km2 sont concernés, avec des éoliennes culminant à plus de 300 mètres de haut, séparées entre elles d'un kilomètre pour éviter les effets de perturbations, pour un potentiel du parc de 2,5 gigawatts. Il s'agit d'échelles industrielles monumentales.
Nous avons au total organisé dix-sept débats publics et concertations sur les projets d'éoliens en mer. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés.
On constate que les arguments ont beaucoup évolué au fil du temps. Les arguments économiques, qui opposaient la faible rentabilité des projets, tout comme les arguments des climatosceptiques, sont aujourd'hui très rares. En revanche, les arguments sur les conflits d'usage demeurent. La mer n'est pas un espace vide et des conflits d'usage existent déjà, entre la pêche, l'aquaculture, les transports, le tourisme, la défense. Les cartes de zonage de la mer montrent qu'il s'agit d'espaces déjà très denses.
L'organisation de débats publics sur les projets d'éoliens en mer est rendue difficile par le manque d'informations sur les questions environnementales. On connaît très peu les fonds marins tout comme les impacts de ces projets de parcs sur la faune marine. Le président du comité régional des pêches, que j'ai rencontré dans le cadre du débat public pour le projet de parc éolien Sud Bretagne, m'a ainsi assuré, carte faite à la main à l'appui, qu'il connaissait mieux les fonds marins que l'État. Face à cette insuffisance de connaissances de données environnementales, le Gouvernement a lancé le projet Migralion, à hauteur de 3 millions d'euros, mais beaucoup reste à faire.
Un autre élément est à souligner : quand le public est consulté sur un projet de parc d'éolien en mer, il veut savoir quel sera le « coup d'après ». Cela a ainsi été le cas en Normandie en 2019. La question de la planification devient centrale pour le débat public. C'est la raison pour laquelle nous avions préconisé dès 2019 de donner de la visibilité au public sur le nombre de parcs envisagé sur une zone. C'est important pour le public, comme pour le porteur de projet. C'est utile pour connaître les impacts cumulés, s'agissant des impacts environnementaux mais aussi s'agissant des impacts sur le fonctionnement des différents parcs. Nous nous réjouissons que le Gouvernement envisage cette planification.
L'article 12 du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables prévoit que la procédure de participation du public sur la construction et l'exploitation des parcs éoliens en mer soit menée en commun avec celle effectuée sur les documents stratégiques de façade (DSF). Il n'y aurait ainsi qu'une seule procédure. Sur le papier, cette disposition est intéressante ; en réalité, elle sera très difficile à mettre en oeuvre.
La PPE et les DSF ne sont pas des outils de planification. Ainsi, la PPE adoptée pour 2019-2028 fixe seulement, pour post 2024, un objectif de 1 000 mégawatts par an, posés ou flottants, en mer. Elle n'indique ni le nombre de parcs que cela représenterait, ni leur emplacement.
Les DSF quant à eux doivent élaborer des cartes de vocation, c'est-à-dire identifier en mer les différentes zones où peuvent se développer des activités économiques, d'énergies renouvelables ou de transports. Certaines de ces cartes sont très précises quand d'autres ne le sont pas du tout. Ainsi, la carte de vocation de la façade maritime Manche Est-mer du Nord, reste très large, sans zonage précis, se contentant de mentionner des « zones à fort potentiel de développement éolien ». À l'inverse, le DSF Méditerranée est extrêmement détaillé et les différentes zones sont précisément identifiées sur la carte de vocation, étant ainsi utilisable en cas de débat public. Dès lors, les DSF étant trop inégaux dans leur degré de précision, on ne peut s'appuyer partout sur les cartes de vocation pour identifier les zones où implanter potentiellement les parcs éoliens en mer. Je rappelle par ailleurs que les DSF font déjà l'objet d'une procédure de participation du public, à l'échelle de la façade. Or, nous avons déjà eu du mal à rassembler du public pour ce genre d'exercice. Le grand public sera difficile à mobiliser.
En outre, il a fallu quasiment 3 ans pour élaborer les DSF, suivant une procédure en quatre étapes : l'existant, les objectifs, les modalités d'évaluation et les plans d'action. Les cartes de vocation n'interviennent qu'à l'étape des plans d'action tandis que la participation du public intervient dès la première étape.
Si les procédures de participation du public pour les projets d'éoliens en mer et celles pour les DSF étaient menées en commun, deux possibilités s'offriraient. La première consisterait à partir des cartes de vocation telles qu'elles sont, c'est-à-dire extrêmement vagues pour la plupart, en essayant d'y intégrer des projets de parcs éoliens en mer. Les acteurs de la mer risquent de dénoncer le manque de concertation puisque les conflits d'usage n'auront pas au préalable été réglés. La seconde option viserait à mettre en débat à la fois les cartes de vocation pour régler les conflits d'usage, et les projets de parcs éoliens en mer. Des cartes de vocation seraient alors adoptées pour six ans ou douze ans si le DSF est renouvelé, ouvrant alors la possibilité à des parcs éoliens de sortir de mer. Le risque est, dans ce cas, que le public et les élus locaux dénoncent le manque d'informations et de concertations sur ces projets qu'ils découvriront.
Selon nous, une première étape indispensable doit consister à se mettre d'accord sur les cartes de vocation et sur les conflits d'usage. Un arbitrage politique est alors nécessaire, pour déterminer par exemple avec la le ministère des Armées si l'on peut modifier les zones réservées, comme cela a été fait en Normandie. Dans une deuxième étape, seraient mis en débat les projets de parcs éoliens en mer. Plutôt que de mettre en débat les projets un par un, nous proposons de mettre en débat cinq, six voire dix projets en même temps. Cela aurait pu être fait en Méditerranée, où la carte de vocation est suffisamment précise pour envisager un débat sur l'implantation de parcs. Cette solution donnerait de la visibilité à l'ensemble des acteurs, élus locaux et industriels.
Cependant, cette solution impliquerait que l'État, et tout particulièrement la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), ait les moyens humains de porter ces projets. Or la DGEC n'est pas assez dotée. Comme nous l'avons souligné en conclusion du dernier débat sur les projets de parc éolien en mer au large d'Oléron, il faut sans doute augmenter les moyens humains de la DGEC.