Madame la Présidente, mes chers collègues, c'est une joie de vous recevoir, Madame Jouanno, ou plus exactement de vous retrouver ici, puisque vous avez siégé au Sénat entre 2011 et 2017 et que vous étiez, avant votre départ, membre de notre commission et présidente de la délégation aux droits des femmes.
Notre commission vous avait reçue en mars 2018, à l'occasion de votre nomination à la tête de la commission nationale du débat public pour un mandat de cinq ans, puis en octobre 2019. Il était donc temps, si j'ose dire, de vous entendre à nouveau !
Je rappelle que la CNDP est une autorité administrative indépendante (AAI) chargée d'organiser les débats publics sur les projets, plans et programmes ayant un impact majeur sur l'environnement. Son rôle est de permettre au public d'être informé le mieux possible et de participer à la prise de décision, en plaçant son action dans le cadre des principes d'indépendance, de transparence et d'égalité de traitement des contributeurs.
Votre parcours et votre expérience sont particulièrement précieux au moment où notre pays fait face à des choix déterminants pour son avenir, avec la pression imposée par le dérèglement climatique et l'érosion de la biodiversité. La concertation avec le public et la participation des citoyens aux décisions ayant des impacts sur l'environnement sont essentielles pour mener à bien les transitions qui sont devant nous car elles constituent la garantie de l'acceptabilité et de l'effectivité de ces transitions.
Aussi, nous souhaitions particulièrement vous entendre dans le cadre de l'examen prochain, par le Sénat, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui a été déposé sur le bureau de notre assemblée le 26 septembre dernier et dont certaines mesures du texte initial concernent directement la CNDP, je pense à l'éolien en mer.
Toutefois, de nombreux autres sujets sur lesquels travaille la CNDP intéressent notre commission : je pense au futur débat sur le nouveau programme nucléaire français, au débat qui s'est achevé il y a peu sur le nouveau plan de gestion de gestion des matières et déchets radioactifs, à celui sur la politique agricole commune (PAC), ou encore à diverses projets et plans structurants pour nos territoires et qui font l'objet d'une intervention de la CNDP.
En outre, le Parlement devra examiner, avant le 1er juillet 2023, une loi de programmation relative à l'énergie et au climat. Dans ce cadre et pour alimenter les travaux de préparation de ce texte important, une concertation nationale sur le système énergétique est en cours, sous l'égide de la CNDP, conformément à la saisine du 23 février 2022 signée par la ministre de la Transition énergétique et le ministre chargé des Relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Le Président de la République a en outre indiqué que cette concertation nationale aurait lieu au second semestre 2022.
On comprend donc déjà, soit dit au passage, que le calendrier fixé par le code de l'énergie, visant une adoption de cette loi de programmation avant le 1er juillet 2023, sera difficilement tenable ; le Gouvernement l'a d'ailleurs lui-même déjà reconnu.
Je rappelle enfin que nous examinons chaque année les crédits budgétaires qui contribuent au fonctionnement de la CNDP, et qui sont inscrits dans le programme 217 de la mission « écologie, développement et mobilités durables ». À cet égard, vous nous direz si les moyens budgétaires, en légère hausse, alloués cette année à la commission que vous présidez et vos effectifs vous semblent à la hauteur des missions qui vous sont assignées.
Avant de vous laisser la parole, je souhaitais vous poser deux questions liminaires.
D'abord, près de cinq ans après votre nomination, quel regard portez-vous sur le fonctionnement de la démocratie environnementale dans notre pays et sur les évolutions législatives et réglementaires intervenues en la matière ces dernières années ? Grâce à votre expérience sur des projets récents, vos interactions avec les ministères et les sujets sur lesquels vous travaillez actuellement, quels obstacles identifiez-vous au renforcement de la culture de la participation et de la concertation dans notre pays ? À l'inverse, quels sont les atouts de notre modèle de démocratie environnementale par rapport à nos voisins européens, selon vous ?
Je serai notamment preneur de votre retour d'expérience sur l'élaboration de la loi « climat et résilience », que notre commission a examiné au fond, et qui était née de l'exercice assez particulier de la « convention citoyenne », dont la méthodologie ne correspondait pas tout à fait à celle que la CNDP a l'habitude de mettre en place.
Ensuite, pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de la méthode de concertation en cours sur la future loi de programmation énergie-climat, la gouvernance de la concertation et les étapes du processus ?
Je vous laisse à présent répondre à ces premières questions, Madame la Présidente, puis nous nous concentrerons, si vous le voulez bien, sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production des énergies renouvelables et je donnerai la parole à Didier Mandelli, notre rapporteur, qui vous interrogera spécifiquement sur ce texte, ainsi qu'à l'ensemble de nos collègues. Je vous remercie.
Je suis ravie de vous retrouver, tout particulièrement dans cette salle de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
La commission nationale du débat public (CNDP) a été créée il y a vingt-cinq ans et a rapidement été transformée en autorité administrative indépendante (AAI). Son rôle est de garantir le droit à l'information et à la participation du public à l'élaboration des décisions sur les projets ayant un impact sur l'environnement. Il s'agit d'un droit inscrit dans la Constitution, reprenant des enseignements de la convention d'Aarhus.
Le droit à l'information implique de devoir veiller à ce que le public ait accès à une information pluraliste, contradictoire et surtout compréhensible. Nous n'émettons pas cette information mais nous veillons à ce que l'information émanant du maître d'ouvrage et celle émanant des autres acteurs soit la plus accessible possible.
Le droit à la participation n'est pas seulement un droit à être consulté, il s'agit d'un droit à participer à l'élaboration des décisions. Ce droit se traduit de manière concrète par l'obligation pour le maître d'ouvrage, à l'issue d'une concertation, d'indiquer ce qu'il retient du débat public. Il doit motiver ses décisions lorsqu'il ne retient pas les propositions du public.
Le rôle de la CNDP est bien distinct de celui des commissaires enquêteurs, qui interviennent à la fin de l'élaboration du projet, juste avant l'autorisation d'engager les travaux, pour émettre un avis - favorable ou défavorable - sur le projet. La CNDP intervient quant à elle au tout début de l'élaboration du projet, à un moment où l'on peut débattre de son opportunité même, avec une obligation absolue de neutralité. Nous n'émettons jamais d'avis sur le fond du projet mais uniquement sur la qualité de la participation.
Notre activité a fortement augmenté depuis cinq ans puisqu'elle a été multipliée par sept. Nous avons entre 130 et 150 procédures par an de concertation ou de débat public sur des sujets très variés.
La démocratie environnementale est très particulière en France. La loi, sur laquelle elle repose, est très élaborée et conduit à reconnaître la France comme modèle sur le sujet. Nous recevons très souvent des délégations internationales s'inspirant du modèle français. L'Italie vient d'adopter une loi créant l'équivalent de la CNDP. Ce modèle exige de débattre de l'opportunité des grands projets très tôt, avant d'engager des études et des frais importants pour les maîtres d'ouvrage.
Cette démocratie fonctionne bien, comme en atteste la forte augmentation des procédures. Nous sommes énormément sollicités par les collectivités pour des missions de conseil. Présidant chaque année les trophées de la participation, je peux témoigner que les petites communes ont une activité participative extrêmement importante. En 2022, les dossiers les plus nombreux émanent de communes de moins de 10 000 habitants.
Cependant, alors que nous avons toujours connu un mouvement de progression du droit à la participation, nous constatons quelques régressions importantes.
Ainsi, s'agissant des projets n'étant pas obligatoirement soumis à la CNDP, le délai pour le public, les associations ou les collectivités pour saisir la CNDP a été raccourci par la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), passant de quatre à deux mois.
En outre, à l'issue de cette loi, un décret a été adopté multipliant par deux les seuils au-delà desquels la saisine de la CNDP est obligatoire. Environ 45 % des projets soumis auparavant à l'obligation de participation n'y sont ainsi plus soumis. Ils ne font pas nécessairement l'objet d'une procédure volontaire à l'initiative d'associations ou de citoyens puisque ce délai d'initiative a été divisé par deux. Il est compliqué pour les associations de connaître l'existence d'un projet et de s'organiser dans un délai si restreint.
Par ailleurs, la loi énergie-climat (LEC) a prévu que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), auparavant potentiellement soumise à débat public, ne le serait plus et ne ferait plus que l'objet d'une concertation dont les conditions restent à définir par un décret.
Ces évolutions législatives et réglementaires ont restreint le champ de la participation dans le cadre de la CNDP.
En parallèle, d'autres initiatives ont été menées, comme la Convention citoyenne sur le climat. Il s'agit d'un exercice que nous appelons de « mini publics » car ceux-ci sont tirés au sort. Ce n'est pas un exercice nouveau ; nous avons utilisé cette modalité pour la première fois en 2004. Une trentaine d'exercices de ce type ont été organisés à ce jour dans le cadre de débats publics. Ainsi, pour la PPE, 400 citoyens avaient été tirés au sort, réunis à l'Assemblée nationale, pour hiérarchiser différentes propositions.
La CNDP croit donc aux conventions citoyennes puisqu'elle y a recours elle-même. Cependant, on ne peut se reposer uniquement sur des conventions citoyennes pour organiser la participation du public. Il est important que toutes les personnes potentiellement concernées par un sujet puissent bénéficier de la même information et puissent participer au débat public.
L'exercice de convention citoyenne doit toujours être complété par un exercice ouvert au grand public, quelle que soit sa modalité. Dans notre jargon, nous disons qu'il faut toujours mélanger « mini public » et « maxi public ».
S'agissant de la participation, celle-ci ne se justifie pas en elle-même ; il faut veiller à ce que le décideur s'engage à mettre en débat le projet et qu'il s'engage à reprendre ou non des propositions formulées dans ce cadre. C'est ce point qui a posé problème s'agissant de la convention citoyenne pour le climat : il n'existait pas de garantie légale sur la manière dont les conclusions de la convention seraient ensuite reprises.
S'agissant de la concertation devant contribuer à l'élaboration de la loi de programmation énergie climat (LPEC), nous travaillons depuis plusieurs mois avec EDF sur la saisine adressée à la CNDP concernant les projets de construction de nouveaux réacteurs de type EPR.
Un débat public sera organisé du 27 octobre au 27 février sur l'ensemble du programme de construction de nouveaux réacteurs, dont les deux réacteurs EPR 2 de Penly. Nous avions signalé au Gouvernement par un avis qu'il aurait été préalablement opportun de pouvoir mettre en débat la place de l'énergie nucléaire dans l'ensemble du mix énergétique. Le Gouvernement a répondu favorablement. La CNDP a mené une mission de conseil pour proposer la méthode de concertation, placée sous l'égide du Gouvernement et non de la CNDP. La méthode a été proposée en avril dernier. Cet exercice, comme le débat public sur les EPR, a vocation à éclairer le Parlement pour ses travaux dans le cadre de la LPEC. Il est donc important que les conclusions de cet exercice interviennent avant les débats parlementaires. Nous aurions également préféré que la concertation nationale intervienne avant le débat sur les EPR.
Comme l'a indiqué la présidente, nous avons proposé au Gouvernement un rapport détaillant la méthode pour mettre en place cette concertation nationale sur le système énergétique de demain. Selon nous, cette concertation devait se rattacher aux débats parlementaires, pour mettre ainsi en dialogue démocratie participative et démocratie représentative. À la CNDP, cette articulation nous paraît essentielle.
Nous avons proposé au Gouvernement trois sujets : la consommation, la production (mix énergétique et électrique), et la gouvernance. Nous avons suggéré deux grands volets : un volet « maxi public », via un tour de France des territoires et un volet « mini public » via un forum de la jeunesse : 100 jeunes âgés de 18 à 25 ans tirés au sort, pour travailler sur des aspects particuliers de la LPEC. Ces discussions doivent servir à nourrir le projet du Gouvernement mais surtout les débats au Parlement. Les parlementaires pourront ainsi être éclairés par l'expertise citoyenne.
La CNDP n'a pas seulement élaboré la méthode de cette concertation, elle a également été missionnée par la Première ministre pour en être le garant. Nous veillerons à sa transparence, à la manière dont les réunions se dérouleront et à la forme que prendra le forum de la jeunesse. Par ailleurs, nous serons chargés de restituer ce qui aura été dit, en assurant un traitement neutre, transparent et exhaustif des paroles recueillies. Nous rédigerons le compte rendu des travaux du tour de France des régions mais aussi celui des discussions du forum de la jeunesse. La lettre de mission de la Première ministre précise également que le rapport de la CNDP devra éclairer les travaux de l'axe transition énergétique du Conseil national de la refondation (CNR).
Je tiens à saluer la présence de notre collègue Patrick Chauvet, qui est le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour les articles que notre commission a délégués au fond sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
Je souhaite vous interroger sur le texte relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, que nous examinerons mercredi prochain en commission, mais aussi sur des sujets qui n'y figurent pas alors qu'ils sont essentiels pour garantir l'acceptabilité et la rapidité du développement des énergies renouvelables, dont nous avons besoin à la fois pour garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité et en gaz et pour nous adapter au dérèglement climatique et à ses conséquences.
Je commence par une question générale : quels sont, selon vous, les points forts et les points faibles du texte ?
Ensuite, je souhaiterais vous interroger plus précisément sur l'enjeu de la planification, à terre et en mer, et de la concertation avec le public. Pour la planification terrestre du développement des ENR, quelle méthode, nationale et/ou territoriale, recommandez-vous ? À quelle échelle de planification pourrait-on identifier les zones qui pourraient accueillir les projets d'ENR (solaire, éolien, méthanisation, etc.) selon vous ? Sous quelle forme pourrait-on associer le public à la définition de ces zones ? Quelle devrait être la place des élus selon vous dans la prise de décision relative à l'identification de ces zones puis dans l'implantation des projets sur le terrain ?
S'agissant des projets éoliens en mer, la CNDP a été saisie à de multiples reprises afin d'organiser la participation du public sur des projets faisant l'objet d'appels d'offres, dès 2013 avec le parc de Saint-Nazaire et, plus récemment, pour les parcs de Sud Bretagne et de Centre Manche.
Dans la perspective de l'examen du projet de loi, pourriez-vous nous faire part des principaux enseignements à tirer des consultations organisées sur les projets éoliens en mer ? Identifiez-vous des « écueils » à corriger ?
J'aimerais en particulier savoir si vous avez identifié des pistes pour renforcer l'acceptabilité des projets dès le stade de la concertation préalable, par exemple à travers un renforcement de l'information mise à disposition du public sur les enjeux que recouvrent les zones d'implantation envisagées en matière de préservation de la biodiversité et, plus largement, de conciliation des différents usages en mer.
Selon vous, cette information est-elle suffisante aujourd'hui pour que le public se prononce en connaissance de cause sur l'implantation des parcs ?
Enfin, de l'avis de certains acteurs, l'une des clés du succès de nombre de nos voisins en matière d'éolien en mer - je pense notamment à l'Allemagne, à la Belgique et au Danemark - réside dans l'élaboration précoce et précise d'une planification spatiale - voire temporelle - des projets, qui permet de donner de la visibilité aux acteurs et de désamorcer, en amont, les conflits. Identifiez-vous des exemples étrangers dont nous pourrions nous inspirer pour améliorer la situation dans notre pays ? Comment, selon vous, la planification des projets éoliens en mer pourrait-elle s'organiser ?
Mon obligation de neutralité conduit à ne me prononcer que sur les aspects concernant l'information et la participation du public. Je ne pourrai donc pas répondre à votre première question sur les points forts et faibles du texte.
S'agissant de la planification terrestre, nous ne sommes saisis que pour très peu de projets d'énergies renouvelables terrestres. Il s'agit bien souvent de petits projets. Or, nous ne sommes obligatoirement saisis que pour les projets au-delà de 300 millions d'euros. Il est rare que ces projets dépassent ce seuil. Nous avons été saisis pour trois projets de parc éolien, dont un en cours, ainsi que sur le projet d'Horizeo de création d'un parc solaire de 1000 hectares en Nouvelle-Aquitaine.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés du débat public sur le projet d'Horizeo. Le porteur de projet proposait de défricher 1000 hectares pour y installer des panneaux solaires. Les opposants au projet ont contesté cette nécessité, avançant que le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) précisait que la même puissance pouvait être atteinte en posant les panneaux sur des friches. Une expertise a été diligentée, qui a révélé que les chiffres du SRADDET avaient été surestimés, les friches formant plusieurs parcelles difficiles à optimiser.
Cet exemple démontre la nécessité de partir du terrain, d'identifier précisément zone par zone les usages pour réaliser une bonne planification terrestre.
De notre expérience, la planification optimale est celle qui part d'une démarche ascendante plutôt que descendante, en partant de la vision des élus locaux et des intercommunalités sur la réalité des terrains. Par ailleurs, plus on est proches du territoire, plus il est facile d'organiser l'information et la participation du public. Ce dernier a une « expertise d'usage » : il est capable de dire par son expérience ce qui se passe sur le terrain. Le rôle des élus est quant à lui d'arbitrer ces différentes visions et ces conflits d'usage.
L'éolien en mer ne déroge pas à ces nécessités de planification, même si l'échelle de la mer est beaucoup plus large. On imagine encore assez mal l'ampleur de ces projets industriels. Ainsi, pour le projet de parc éolien de centre Manche, qui correspond aux appels d'offres 5 et 8, entre 470 et 480 km2 sont concernés, avec des éoliennes culminant à plus de 300 mètres de haut, séparées entre elles d'un kilomètre pour éviter les effets de perturbations, pour un potentiel du parc de 2,5 gigawatts. Il s'agit d'échelles industrielles monumentales.
Nous avons au total organisé dix-sept débats publics et concertations sur les projets d'éoliens en mer. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés.
On constate que les arguments ont beaucoup évolué au fil du temps. Les arguments économiques, qui opposaient la faible rentabilité des projets, tout comme les arguments des climatosceptiques, sont aujourd'hui très rares. En revanche, les arguments sur les conflits d'usage demeurent. La mer n'est pas un espace vide et des conflits d'usage existent déjà, entre la pêche, l'aquaculture, les transports, le tourisme, la défense. Les cartes de zonage de la mer montrent qu'il s'agit d'espaces déjà très denses.
L'organisation de débats publics sur les projets d'éoliens en mer est rendue difficile par le manque d'informations sur les questions environnementales. On connaît très peu les fonds marins tout comme les impacts de ces projets de parcs sur la faune marine. Le président du comité régional des pêches, que j'ai rencontré dans le cadre du débat public pour le projet de parc éolien Sud Bretagne, m'a ainsi assuré, carte faite à la main à l'appui, qu'il connaissait mieux les fonds marins que l'État. Face à cette insuffisance de connaissances de données environnementales, le Gouvernement a lancé le projet Migralion, à hauteur de 3 millions d'euros, mais beaucoup reste à faire.
Un autre élément est à souligner : quand le public est consulté sur un projet de parc d'éolien en mer, il veut savoir quel sera le « coup d'après ». Cela a ainsi été le cas en Normandie en 2019. La question de la planification devient centrale pour le débat public. C'est la raison pour laquelle nous avions préconisé dès 2019 de donner de la visibilité au public sur le nombre de parcs envisagé sur une zone. C'est important pour le public, comme pour le porteur de projet. C'est utile pour connaître les impacts cumulés, s'agissant des impacts environnementaux mais aussi s'agissant des impacts sur le fonctionnement des différents parcs. Nous nous réjouissons que le Gouvernement envisage cette planification.
L'article 12 du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables prévoit que la procédure de participation du public sur la construction et l'exploitation des parcs éoliens en mer soit menée en commun avec celle effectuée sur les documents stratégiques de façade (DSF). Il n'y aurait ainsi qu'une seule procédure. Sur le papier, cette disposition est intéressante ; en réalité, elle sera très difficile à mettre en oeuvre.
La PPE et les DSF ne sont pas des outils de planification. Ainsi, la PPE adoptée pour 2019-2028 fixe seulement, pour post 2024, un objectif de 1 000 mégawatts par an, posés ou flottants, en mer. Elle n'indique ni le nombre de parcs que cela représenterait, ni leur emplacement.
Les DSF quant à eux doivent élaborer des cartes de vocation, c'est-à-dire identifier en mer les différentes zones où peuvent se développer des activités économiques, d'énergies renouvelables ou de transports. Certaines de ces cartes sont très précises quand d'autres ne le sont pas du tout. Ainsi, la carte de vocation de la façade maritime Manche Est-mer du Nord, reste très large, sans zonage précis, se contentant de mentionner des « zones à fort potentiel de développement éolien ». À l'inverse, le DSF Méditerranée est extrêmement détaillé et les différentes zones sont précisément identifiées sur la carte de vocation, étant ainsi utilisable en cas de débat public. Dès lors, les DSF étant trop inégaux dans leur degré de précision, on ne peut s'appuyer partout sur les cartes de vocation pour identifier les zones où implanter potentiellement les parcs éoliens en mer. Je rappelle par ailleurs que les DSF font déjà l'objet d'une procédure de participation du public, à l'échelle de la façade. Or, nous avons déjà eu du mal à rassembler du public pour ce genre d'exercice. Le grand public sera difficile à mobiliser.
En outre, il a fallu quasiment 3 ans pour élaborer les DSF, suivant une procédure en quatre étapes : l'existant, les objectifs, les modalités d'évaluation et les plans d'action. Les cartes de vocation n'interviennent qu'à l'étape des plans d'action tandis que la participation du public intervient dès la première étape.
Si les procédures de participation du public pour les projets d'éoliens en mer et celles pour les DSF étaient menées en commun, deux possibilités s'offriraient. La première consisterait à partir des cartes de vocation telles qu'elles sont, c'est-à-dire extrêmement vagues pour la plupart, en essayant d'y intégrer des projets de parcs éoliens en mer. Les acteurs de la mer risquent de dénoncer le manque de concertation puisque les conflits d'usage n'auront pas au préalable été réglés. La seconde option viserait à mettre en débat à la fois les cartes de vocation pour régler les conflits d'usage, et les projets de parcs éoliens en mer. Des cartes de vocation seraient alors adoptées pour six ans ou douze ans si le DSF est renouvelé, ouvrant alors la possibilité à des parcs éoliens de sortir de mer. Le risque est, dans ce cas, que le public et les élus locaux dénoncent le manque d'informations et de concertations sur ces projets qu'ils découvriront.
Selon nous, une première étape indispensable doit consister à se mettre d'accord sur les cartes de vocation et sur les conflits d'usage. Un arbitrage politique est alors nécessaire, pour déterminer par exemple avec la le ministère des Armées si l'on peut modifier les zones réservées, comme cela a été fait en Normandie. Dans une deuxième étape, seraient mis en débat les projets de parcs éoliens en mer. Plutôt que de mettre en débat les projets un par un, nous proposons de mettre en débat cinq, six voire dix projets en même temps. Cela aurait pu être fait en Méditerranée, où la carte de vocation est suffisamment précise pour envisager un débat sur l'implantation de parcs. Cette solution donnerait de la visibilité à l'ensemble des acteurs, élus locaux et industriels.
Cependant, cette solution impliquerait que l'État, et tout particulièrement la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), ait les moyens humains de porter ces projets. Or la DGEC n'est pas assez dotée. Comme nous l'avons souligné en conclusion du dernier débat sur les projets de parc éolien en mer au large d'Oléron, il faut sans doute augmenter les moyens humains de la DGEC.
Dans le contexte des crises climatiques et énergétiques que nous connaissons, le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui a pour ambition de favoriser le développement des énergies renouvelables. Le Conseil d'État a approuvé ce texte, tout en relevant que son étude d'impact était « inégale, insuffisante sur plusieurs articles, voire inexistante sur certaines dispositions pourtant importantes ». Ces manques découleraient notamment des très brefs délais dans lesquels les organismes ont été consultés.
C'est sur cette lacune que je souhaiterais vous interroger car l'impact de ce texte peut être extrêmement important pour nos concitoyens. Le projet de loi prévoit notamment d'alléger les exigences environnementales applicables à l'installation d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques en nombre et de dédommager certains riverains s'ils acceptent près de chez eux ces sources d'énergie verte. J'insiste, depuis plusieurs années, à l'Assemblée nationale et au Sénat aujourd'hui, sur les conséquences que peut avoir l'installation de mâts éoliens dans un territoire. Je pense spécifiquement à ma région, les Hauts-de-France, première région en termes de nombre de mâts éoliens avec 30 % de la production installée.
J'en viens à mes deux questions, qui rejoignent celles de notre rapporteur Didier Mandelli. Sur un sujet polémique comme celui des éoliennes, ne pensez-vous pas que l'avis des populations, ou a minima des élus locaux, devrait être mieux pris en compte, jusqu'à leur donner un droit d'opposabilité ? Les délais de consultation vous apparaissent-ils suffisants pour que pédagogie, concertation et le cas échéant acceptation puissent rimer avec sérieux et sérénité ?
Je voudrais revenir sur l'éolien en mer pour apporter un complément. Je vous remercie pour votre avis, qui souligne la nécessité de procéder en deux temps.
Dans la première version de l'étude d'impact, son rédacteur mentionnait pour l'article 12 que « le point faible est le risque que le volet éolien en mer prédomine, monopolise le débat public sur le DSF, au détriment des autres volets du DSF ». Cette phrase, probablement gênante, a disparu de la nouvelle version de l'étude d'impact.
J'ai participé au débat public sur l'appel d'offres 8. Converger sur une zone de moindre contrainte me paraît tout à fait prometteur. Tout le monde s'accorde à reconnaître que la meilleure façon d'accélérer les projets est d'engager le plus en amont possible la concertation et que celle-ci puisse s'opérer tout au long du projet. C'est le sens d'ailleurs de l'avis du conseil économique social et environnemental (Cese), qui a publié un rapport sur l'acceptabilité des nouvelles infrastructures de transition énergétique.
Le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a également réalisé un travail remarquable il y un an, qui propose une refonte complète des procédures. Il propose notamment de nommer un garant pour chaque projet soumis à concertation et de maintenir la participation continue jusqu'à l'autorisation du projet. Je voudrais avoir votre avis sur ces travaux du CGEDD.
J'ai bien compris que vous ne retenez pas la proposition de fusionner les fonctions de garant et de commissaire enquêteur.
L'utilité et la pertinence du débat public ne sont plus à prouver. Nombreux sont les projets ayant été modifiés, voire remaniés significativement. La réforme du dialogue environnemental a fait évoluer les procédures de participations du public et élargi considérablement les champs de compétence de la CNDP. Mais les dossiers devant légalement faire l'objet d'une saisine de la CNDP sont retenus sur des critères quantitatifs plus que qualitatifs. En effet, seuls les projets importants en termes de coûts sont soumis à débat. Or, d'un point de vue écosystémique, des projets d'envergure financière plus modeste mais concernant des zones fragiles peuvent aussi engendrer des impacts environnementaux importants et étendus.
De plus, le contexte de réchauffement climatique et de crise énergétique nous pousse collectivement à accélérer le développement des énergies renouvelables. Le projet de loi prévoit l'accélération de certaines procédures. Dans nos circonscriptions, nous constatons une accélération de la prise de conscience de l'urgence climatique mais beaucoup de résistance des habitants et parfois des élus face aux projets d'éoliennes, de photovoltaïque et autres méthaniseurs. Avec votre expérience du débat public, quelles sont les pistes pour favoriser les énergies renouvelables tout en protégeant les zones les plus fragiles et en permettant une meilleure acceptation populaire des outils de la transition, y compris s'agissant des petits projets ?
J'avais deux questions concernant le projet de loi, ainsi qu'une question subsidiaire.
L'article 2 du projet de loi ajoute aux cas d'exemption de l'enquête publique les projets soumis à permis de démolir ou à déclaration préalable lorsqu'ils relèvent d'une évaluation environnementale après examen au cas par cas. À ce stade, rien n'interdirait de diviser les grands projets en plusieurs petits projets dont la puissance serait inférieure à 1 méga watt, pour ainsi échapper à l'enquête publique. Que pensez-vous de cette possible dérogation à l'information des citoyens ?
Ma deuxième question concerne l'article 3, qui donne clairement la possibilité d'imposer aux élus des modifications profondes de leur projet d'aménagement et de développement durable (PADD). Les élus locaux sont des passeurs d'informations non négligeables. Ils contribuent justement à l'acceptabilité en permettant de mettre en exergue les atouts et les risques de telles infrastructures. Dans votre avis vous indiquiez que la réforme envisagée ne doit pas se traduire par une régression du droit à l'information et à la participation du public, qui est un droit constitutionnel. Que pensez-vous du risque de dématérialisation généralisée des enquêtes publiques, au regard des populations rurales exposées, qui sont souvent vieillissantes et peu enclines à maîtriser l'outil numérique ? N'y a-t-il pas un risque de laisser sur le bord du chemin toute une partie de la population, pourtant bel et bien concernée par ces nouvelles infrastructures ?
Ma question subsidiaire concerne la culture de la sécurité et du risque, sur lequel nous avons beaucoup travaillé dans cette commission. Il s'agit d'un élément indispensable pour améliorer notre résilience face à des événements exceptionnels comme les catastrophes climatiques ou les accidents industriels. Quelle perception avez-vous de cette culture de la sécurité chez nos concitoyens à travers les concertations et les débats que vous avez menés ? Sentez-vous une réelle appétence des citoyens pour ces questions et comment pourrait-on renforcer cette culture ?
La loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) du 10 août 2018 a modifié la manière dont doivent être menés les débats publics sur les projets de parcs éoliens en mer.
Auparavant, les débats publics intervenaient une fois que le parc avait été attribué au porteur de projet. Cela créait de la crispation de la part du public, qui ne comprenait pas ce qu'il y avait à débattre si tout avait déjà été défini. Cela a ainsi été le cas dans pour le projet de parc éolien en mer Dieppe - Le Tréport, où il aurait fallu modifier la zone pour que le projet soit acceptable, notamment pour les pêcheurs.
La loi ESSOC a été pleinement appliquée en Normandie et en Méditerranée où la CNDP a été sollicitée très en amont pour identifier localement les zones de moindre impact. Cela n'a pas été réellement le cas pour les projets sud-Bretagne et au large d'Oléron, où les zones avaient déjà été prédéfinies localement avec les acteurs locaux. La CNDP a été sollicitée uniquement pour valider cette zone, ce qui a créé des difficultés avec les acteurs locaux qui ne comprenaient pas la nécessité d'organiser une concertation avec le public alors qu'une concertation s'était déjà tenue. De même, le public a déploré que les marges de choix soient faibles. Ces nouvelles modalités introduites en 2018 fonctionnent plutôt bien. Deux zones très importantes ont été attribuées en 2019 en Normandie.
Le principe de la concertation continue implique que celle-ci court du débat public jusqu'à l'enquête publique ou à la participation du public par voie électronique (PPVE). Si cette concertation continue existe bien, le public demande cependant à être associé à l'élaboration du cahier des charges. Or, nous n'avons jamais obtenu gain de cause sur ce sujet. Nous demandons également qu'il y ait une instance de concertation dédiée pour les pêcheurs car des problèmes spécifiques se posent pour la pêche - pourront-ils pêcher au milieu des parcs ? Quel sera le régime de responsabilité en cas de difficulté ? De la même manière, nous n'avons pas eu gain de cause sur ce sujet.
Concernant la fusion commissaire enquêteur et garant, je rappelle que nous n'avons pas les mêmes missions. La CNDP a une obligation absolue de neutralité, qui est une condition de confiance pour garantir la participation du public. Le commissaire enquêteur doit quant à lui émettre un avis motivé. Il faudrait modifier ses missions pour que cette fusion soit possible.
S'agissant des critères pour la saisine obligatoire de la CNDP, l'article R. 121-2 du code de l'environnement ne fixe que des seuils financiers. Ce critère n'est pas toujours pertinent puisque des petits projets peuvent avoir des impacts environnementaux importants. Pour ces petits projets, la CNDP peut néanmoins être saisie de manière volontaire, ce qui est relativement fréquent. L'autre limite de l'article R. 121-2 est que sont exclus de la consultation du public un certain nombre de projets ayant réellement un impact sur l'environnement. C'est ainsi le cas pour les data center, qui pour certains atteignent 130 mégawatts. Cela l'est également pour une extension de capacités d'aéroport. Le terminal 4 de Roissy, qui a tout de même entraîné une augmentation très importante de capacité, était exclu de l'obligation de participation du public. Aéroports de Paris (ADP) a certes sollicité la CNDP, mais le groupe l'a fait de manière volontaire. Il y a donc bien un problème d'adaptation de cette participation du public à la réalité des nouveaux projets.
Pour favoriser le développement d'énergies renouvelables, y compris pour les petits projets, la première chose est de procéder par ordre, en déterminant le potentiel, les zones possibles d'installation, les conflits d'usage. Par ailleurs, la participation, telle que nous la menons, c'est-à-dire très en amont, ne permet pas de mesurer l'acceptabilité. Nous mettons en débat ce projet mais aussi ses alternatives. Nous identifions plutôt les conditions de faisabilité du projet.
La réalité est que le public a souvent l'impression que les projets sont anarchiques.
Le besoin de visibilité et de planification concerne à la fois le maritime et le terrestre.
Par ailleurs, l'exigence de territorialisation des projets se pose à chaque fois. Le public est réticent face à un projet quand il a l'impression qu'il s'agit d'un projet national plaqué sur un territoire. La nécessité de territorialisation s'est ainsi manifestée pour Horizeo ou encore pour le projet de parc éolien du Blayet.
S'agissant de l'article 2 du projet de loi, nous ne sommes pas favorables à ces mesures qui laissent entendre, en outre, que l'enquête publique serait inutile ou constituerait une procédure superfétatoire.
Les procédures de participation par voie électronique (PPVE) se développent de plus en plus. Généralement ces PPVE sont organisées sans garant. Néanmoins, les PPVE sur les projets olympiques ou encore sur les prisons ont été organisées avec garant. Le garant vérifie que la procédure se déroule de manière sincère. Il rédige les conclusions de la procédure, faisant le bilan de ce que le public a dit. Nous demandons au garant de veiller à ce que la procédure ne soit pas seulement numérique car 14 % de la population n'a pas accès au numérique. Ces populations sont de fait exclues dans les cas de PPVE.
Nous avons ainsi alerté sur les risques que représenterait le recours à des PPVE s'agissant des travaux d'infrastructures pour les jeux olympiques en Seine-Saint-Denis. La plupart des habitants ne seraient ni informés de l'existence de ces projets ni ne pourraient participer. Nous avons exigé qu'il y ait aussi des procédures en présentiel. La procédure 100 % numérique conduira de fait à exclure des populations. Or la Constitution et le code de l'environnement prévoient que toute personne doit avoir la possibilité d'être informée et de participer. Nous portons, sur ce sujet, le même discours que la Défenseure des droits. Même pendant la crise du covid, nous n'avons jamais fait de concertation ou de débat public uniquement par voie numérique. Nous avons conservé des moments en présentiel. Il s'agirait sinon d'une participation détournée.
S'agissant de la culture de la sécurité et du risque, nous voyons apparaître cet enjeu plus ou moins selon les sujets mis en débat. Ainsi, sur le nucléaire, lors du débat sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), cet enjeu a bien évidemment été abordé. Pour le futur débat sur les EPR 2, il devrait également être abordé. L'attente est très forte.
La difficulté que nous rencontrons est que le niveau de débat s'agissant du nucléaire est d'une très grande technicité. Il y a une grande différence parmi les acteurs s'agissant de la culture du risque. La solution passe par le développement de l'information et par la garantie de sa clarté. S'agissant du débat sur les EPR 2, notre principal défi sera d'assurer l'accessibilité et la lisibilité des informations pour qu'elles soient compréhensibles par tous. L'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a remis hier à la CNDP deux expertises, l'une sur le bilan des EPR et l'autre sur les alternatives possibles à l'EPR dans le monde, y compris les « petits réacteurs modulaires », les small modular reactors (SMR) en anglais. Il s'agit de sujets passionnants et engageants pour l'avenir. Au-delà de ce document, nous avons demandé à l'IRSN de réaliser des vidéos ou des éléments explicatifs accessibles au grand public.
S'agissant de la concertation avec les élus locaux, la CNDP insiste pour rappeler que, pour avoir du sens, la participation a besoin de temps. Il faut laisser du temps à l'ensemble des acteurs ainsi qu'au public pour s'informer. Il faut ensuite laisser le temps aux arguments de se rencontrer, pour qu'ils puissent être compris des uns et des autres, et pour leur permettre potentiellement d'évoluer.
Le temps de la concertation et de la participation en général n'est pas un temps perdu.
L'argument selon lequel la participation prendrait trop de temps et qu'il serait nécessaire d'accélérer le temps de la concertation n'est attesté par aucun des rapports commandés sur ce sujet. C'est en outre un argument assez dangereux : il laisserait à penser que le temps de la démocratie, qu'elle soit participative ou représentative, est un temps perdu. Or, il s'agit d'un temps où vont être identifiées les conditions de réalisation du projet. Les rapports récents ont démontré que les délais observés sur les grands projets sont généralement liés aux délais d'arbitrages politiques et aux délais de financement. Cette réalité est documentée, y compris dans le rapport « Guillot » dont les travaux ont pourtant été conduits par un industriel.
L'avis des populations et des élus locaux nous paraît absolument nécessaire pour éviter de commettre des erreurs. Depuis vingt-cinq ans, nous avons conduit 105 débats publics, qui concernent les projets plus importants ou les plus conflictuels. Sur cette période, moins de vingt projets sont sortis de terre. Au regard de ces chiffres, il ne me semble pas que la difficulté provienne du temps de la participation. Il est nécessaire de mettre à plat l'ensemble des procédures.
Quant au délai de consultation sur le projet de loi d'accélération de la production d'énergie renouvelable, vous aurez noté les réactions du Conseil national de la transition écologique (CNTE). La CNDP s'est prononcée avec les éléments dont elle disposait mais nous essayons encore d'organiser des réunions avec la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DGAMPA) ainsi qu'avec la DGEC pour fixer leurs propositions sur l'article 12. Ce texte contient à la fois des mesures permanentes et des mesures temporaires. Peut-être les mesures permanentes auraient-elles pu être discutées dans le cadre de loi programmation énergie-climat, après la concertation nationale qui aurait permis de mettre à plat l'ensemble de ces sujets.
Notre action est d'identifier en amont les conditions de faisabilité du projet, nous n'intervenons pas au stade où le projet est en voie d'être autorisé. Nous ne sommes donc jamais confrontés à la question de l'opposabilité possible des conseils municipaux.
Il se dit que nous aurions la meilleure démocratie environnementale du monde. Vous avez néanmoins mentionné des régressions récentes. Vous semble-t-il que notre démocratie environnementale s'abîme ?
Je voudrais signaler un changement de paradigme sur nos territoires s'agissant des projets d'énergies renouvelables. Dans le département du Lot, beaucoup de petits projets de panneaux photovoltaïques - et non pas un projet global - se montent. Or ces petits projets ne sont pas soumis à l'obligation de consultation du public alors même qu'ils ont un impact environnemental. Ne pourrait-on pas envisager tout de même une obligation de consultation du public, pourquoi pas à l'échelle du département ?
Comme vous l'avez rappelé, il n'y a pas eu de consultation du public lors de l'installation des premières centrales nucléaires. Une consultation est lancée mais ne faudrait-il pas prévoir une interrogation plus globale vers les Français sur leurs choix en matière de mix énergétique ?
Madame la présidente, je partage votre inquiétude ainsi que celle de notre collègue Nicole Bonnefoy s'agissant du développement des consultations dématérialisées. De fait, 14 % de la population en sont exclus, sans oublier que 50 % de la population se sent mal à l'aise face au numérique. Ce mode de consultation électronique est dissuasif et contre-productif au regard de l'objectif d'une plus grande participation du public.
Je voulais également aborder la remise en cause du rôle social du commissaire enquêteur, prévue à l'article 2 du projet de loi. Le commissaire enquêteur aide à la compréhension de chacun des projets, parfois très complexes. Il aide également les citoyens à formuler des avis. Son rôle est donc majeur. Que pensez-vous de cette remise en question ? Plus généralement, je constate que nous voulons aller vite, sans garantie pour autant d'aller dans le bon sens.
Je voudrais vous interroger sur l'article 12 du projet de loi, qui prévoit la possibilité de mutualiser les débats pour l'éolien en mer. Y voyez-vous une manière d'enrichir le débat public ou au contraire une menace ?
La CNDP a récemment été mobilisée pour la concertation autour du nouveau plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et le sera pour le débat sur le nouveau programme nucléaire français. La presse a publié l'avant-projet de loi du Gouvernement sur le nouveau nucléaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthode, les modalités et le calendrier de ce débat structurant et déterminant pour notre politique énergétique ? Quels sont les principes qui doivent selon vous guider cette concertation ? Quels seront les lieux de débat et de concertation ?
La complémentarité entre le débat participatif et la démocratie représentative est une réalité de chaque jour dans nos collectivités. Les élus locaux organisent des concertations pour mener à bien des projets, ce qui prend du temps. Comme vous l'avez souligné, il faut également prendre le temps de la discussion. Or, nous examinons un projet de loi d'accélération de développement des énergies renouvelables. Il faut donc trouver une ligne de crête pour concilier ces contradictions.
Êtes-vous confronté à des attaques cyber ? Viennent-elles de France ou de l'étranger ? Les énergies renouvelables étant un enjeu stratégique pour le pays, des actions de déstabilisation par des puissances étrangères sont possibles. Quel est le niveau de protection pour mener à bien le débat public ?
Dans le projet de loi, il est fait état de l'acceptabilité et du partage de la valeur locale. Dans les consultations que vous menez, le partage de la valeur locale est-il un point déterminant qui prime sur les autres considérations, notamment sur les considérations environnementales ? Plus globalement, avez-vous hiérarchisé les considérations récurrentes qui paraissent importantes à la population pour l'acceptabilité d'un projet ?
Les projets dont on parle sont des projets pour plusieurs décennies. Or, dans plusieurs décennies, le temps aura considérablement changé. Il serait donc nécessaire d'ajouter à ces projets un volet lié à l'adaptation au changement climatique. La CNDP a-t-elle la capacité d'intégrer l'enjeu de l'adaptation et de l'évolution du climat dans les concertations ?
Notre modèle de démocratie environnementale est très abouti grâce au code de l'environnement. Il y a eu des régressions, dont la principale porte sur le droit d'initiative. Pour autant, la CNDP est de plus en plus sollicitée, y compris pour des concertations sur le numérique responsable, la 5G. Ces concertations se développent tout particulièrement dans les petites communes. Ce n'est pas habituel puisque cela nécessite d'importants moyens. Cette réalité tord le cou à l'idée d'une dissociation entre démocratie représentative et démocratie participative. Ces deux formes de démocratie s'alimentent.
S'il est possible de saisir la CNDP de manière volontaire, l'incitation à la faire est d'autant moins importante aujourd'hui que le droit d'initiative est presque impossible à exercer. Le délai pour les acteurs pour saisir la CNDP est en effet passé à deux mois. Ce délai est très court pour permettre une participation du public.
Nous avons organisé 11 débats sur des projets nucléaires, le premier en 2004 sur le projet d'une usine d'enrichissement d'uranium.
En revanche, la place du nucléaire dans le mix énergétique n'a pas été mise en débat. Lors du débat sur la PPE en 2018, le Gouvernement a refusé d'inscrire ce sujet dans le débat. Quoi qu'il en soit cette question arrivera dans le débat public ou parlementaire puisqu'un plafond en termes de gigawatts a été fixé dans la loi s'agissant de la puissance nucléaire. Si de nouveaux réacteurs sont construits, il faudra faire évoluer ce plafond.
S'agissant du numérique, je rappelle que tout ne peut pas se faire de manière dématérialisée.
Nous travaillons beaucoup avec les commissaires enquêteurs, qui peuvent d'ailleurs également être garants de la CNDP. Selon nous, il faut un continuum. Il serait nécessaire de prévoir une réunion pour permettre sur un projet le passage de relais entre le garant et le commissaire enquêteur. Cela permet de faire le point et de partager les méthodes. Nous travaillons très bien ensemble et nous veillons à cette continuité allant du débat sur l'opportunité jusqu'au débat sur l'autorisation de lancer les travaux.
S'agissant de l'accélération des procédures, la question est de savoir si nous voulons aller vite ou si nous voulons aller loin. En karaté, on dit souvent qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Concernant la mutualisation des débats sur les projets de parcs éoliens en mer et les DSF, comme je l'ai dit, nous sommes favorables à ce que le DSF présente aussi une vision claire de ce que l'on souhaite faire en matière de développement des énergies renouvelables. Le temps de six ans des DSF est un peu trop court et correspond à une obligation européenne. Pourquoi ne pas mettre en place des DSF de douze ans, avec une clause de revoyure au bout de six ans, pour donner davantage de visibilité aux industriels ?
Nous sommes favorables à cette mutualisation mais je répète qu'il nous paraît nécessaire de distinguer deux temps : un temps pour régler les conflits d'usage et ensuite un temps pour débattre de l'emplacement et de l'échéance du développement des parcs éoliens en mer.
Le débat sur les nouveaux réacteurs nucléaires et le projet Penly s'ouvre le 27 octobre prochain à Dieppe et à Paris et durera jusqu'au 27 février. La première question sera celle de l'utilité de ce débat. En effet, le Président de la République ayant fait des annonces sur le sujet lors de son discours de Belfort et un projet de loi d'accélération du nucléaire étant prévu, les citoyens peuvent avoir le sentiment que tout est déjà décidé.
Ce débat servira à informer la population et à alimenter le débat parlementaire. Le Parlement est le réel décideur sur ce sujet, la LPEC étant une échéance très importante. Je doute que cette loi soit votée en juillet 2023.
Le débat public a été séquencé en dix questions et aura lieu sur l'ensemble du territoire national. Il y aura évidemment davantage de réunions en Normandie puisqu'il s'agit du premier territoire concerné mais des réunions sont également prévues à Saclay, à Lille, à Lyon, à Tours. Nous ne mettrons pas seulement en débat la construction de nouveaux réacteurs. Nous débattrons également de toutes les implications qui s'y rattachent. S'agissant des implications en amont, faut-il de nouvelles usines d'enrichissement d'uranium ? En aval, faut-il une nouvelle piscine à la Hague ? Les capacités de Cigeo sont-elles adaptées ?
Les moyens de participer sont extrêmement variés : réunions publiques, ateliers spécifiques, plateforme participative, possibilité de réunions locales pour démultiplier le débat sur l'ensemble du territoire... Nous identifierons les points qui font désaccord et nous demanderons aux experts d'expliquer les raisons de chaque position. Cela permet de rendre compréhensibles les arguments pour pouvoir les confronter. Nous appelons cela la « clarification des controverses ». Les écoles et les universités sont également mobilisées pour que les jeunes se saisissent de ce débat.
Le président du débat est Michel Badré, qui a été le premier président de l'Autorité environnementale. Il est reconnu pour ses qualités par les deux parties.
Le mur de 2050 constitue un enjeu majeur dont on mesure encore mal l'importance : électrification des usages, fin de vie de la plupart des réacteurs nucléaires...
L'accélération du développement des énergies décarbonnées est donc une évidence technique. Dans ce texte de loi se trouvent à la fois des mesures temporaires d'accélération et des mesures de plus long terme. Pourquoi ces mesures de plus long terme ne sont-elles pas intégrées dans la future LPEC ? C'est une question davantage politique, sur laquelle la CNDP ne peut pas se prononcer.
Nous avons une plateforme participative dont une des missions principales est de permettre à chacun de poser des questions et d'obliger le maître d'ouvrage à y répondre dans les quinze jours ainsi qu'à pouvoir déposer des contributions et des éléments d'information. Nous avons maintenu la règle de la modération a priori. Ne peuvent être postés sur cette plateforme et sur notre site que des éléments qui ont été validés préalablement pour éviter les attaques personnelles, les dérapages ou encore la mise en ligne de documents classés « secret défense ». Dès lors, nous n'avons pas été confrontés à ces difficultés cyber.
Le partage de la valeur locale est une question cruciale, récurrente dans nos débats. Deux enjeux s'y rattachent : celui de donner de la valeur au local et celui de partager la valeur. Donner de la valeur implique de reconnaître la particularité des lieux dans leur géographie physique, dans leur aspect patrimonial ou encore paysager. Partager la valeur consiste à déterminer qui bénéficiera des profits et des retombées au-delà des avantages fiscaux. La question de l'emploi local revient également systématiquement.
Il est nécessaire non seulement de permettre au local de s'exprimer mais également de l'écouter et de l'intégrer concrètement par la suite. L'intégration des pêcheurs s'agissant des projets d'éoliens off shore est ainsi cruciale. Nombre de nos débats mettent en exergue le fait que les pêcheurs demandent des instances spécifiques.
S'agissant de l'intégration de l'adaptation au changement climatique dans nos débats, nous manquons de données. Météo France et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ont réalisé des cartographies. Ce sujet sera cependant abordé lors du prochain débat public sur l'eau en Ile-de-France, avec le Syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif).
Enfin s'agissant des moyens, la CNDP est une toute petite structure, rassemblant treize personnes dans l'équipe centrale. Elle repose sur un réseau de deux-cent vingt-cinq à deux-cent trente collaborateurs occasionnels du service public, répartis sur tout le territoire national et indemnisés à la mission. Au regard des 105 débats publics, cette équipe est très restreinte. Un poste a d'ailleurs été supprimé il y a deux ans, sans concertation et sans nous en donner les raisons. Deux ou trois postes supplémentaires au sein de l'équipe centrale paraissent aujourd'hui nécessaires.
Madame la Présidente, je vous remercie de l'ensemble des informations que vous avez apportées à notre commission. S'agissant des moyens de la CNDP, je vous invite à vous rapprocher de notre rapporteur budgétaire pour avis, et, dans toute la mesure du possible, nous nous efforcerons d'appuyer vos demandes, tout en sachant que l'article 40 bride nos initiatives dans ce sens.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
C'est avec plaisir que nous recevons Hervé Berville, nommé Secrétaire d'État chargé de la Mer placé auprès de la Première ministre.
Nous souhaitions vous entendre dans le cadre de l'examen prochain, par le Sénat, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui a été déposé sur le bureau de notre assemblée le 26 septembre dernier. En application du décret d'attribution publié en juillet dernier, votre secrétariat d'État est associé aux politiques publiques en matière de protection du littoral et d'énergies marines renouvelables, en lien avec le ministère de la transition énergétique d'Agnès Pannier-Runacher qui a en charge le développement des énergies renouvelables.
Cette rencontre est aussi l'occasion d'aborder votre feuille de route pour 2023, s'agissant des affaires maritimes.
Sans plus tarder, entrons dans le vif du sujet avec le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui comporte un titre dédié à l'éolien en mer. Je souhaiterais en particulier aborder trois points.
En matière d'éolien en mer, il semble exister un véritable paradoxe français. La France dispose du deuxième gisement de vent marin d'Europe, derrière le Royaume-Uni, mais nous sommes très en retard par rapport à nombre de nos voisins pour déployer cette énergie : alors que le Royaume-Uni possède déjà plus de 10 gigawatts (GW) de puissance installée et l'Allemagne plus de 7 GW, nous en sommes tout juste à mettre en fonction notre premier parc éolien offshore à Saint-Nazaire, qui disposera d'une capacité de 480 mégawatts (MW).
Le retard s'accumule et l'objectif fixé par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) d'une capacité de 6 GW en 2020, a déjà été reporté à 2028. Récemment, le Président de la République a annoncé un relèvement des objectifs à 18 GW pour 2035 et 40 GW pour 2050 : c'est louable, mais très difficile à concrétiser sans une véritable accélération du processus. En moyenne, il nous faut dix ans pour mettre en exploitation un parc éolien en mer, contre cinq ans en moyenne dans l'Union européenne. Or, de l'avis de nombreux acteurs, les dispositions du projet de loi sur l'éolien en mer permettraient tout au plus de gagner quelques mois sur l'ensemble du processus...
Quel regard portez-vous sur les raisons de ce retard français ? Votre ministère identifie-t-il des pistes complémentaires pour aller plus vite ?
Les autres énergies marines renouvelables ne sont pas traitées par le projet de loi. Je pense en particulier aux énergies houlomotrice, marémotrice et à l'énergie thermique des mers. Le Gouvernement identifie-t-il des mesures pour favoriser les investissements publics et privés dans ces énergies marines émergentes ?
Enfin, je souhaite vous entendre sur la place des ports dans le déploiement des énergies marines renouvelables. Situés à l'interface entre le domaine terrestre et maritime, les ports accueilleront de nombreuses activités nouvelles pour accompagner la transition énergétique : outre les activités industrielles -- telles que celles nécessaires à la fabrication et à l'assemblage des composants des éoliennes -- pensons à la logistique nécessaire à la construction et à l'exploitation des sites de production d'énergie en mer, mais aussi aux activités de maintenance. L'aménagement d'espaces adaptés à ces activités va nécessiter d'importants investissements dans les années à venir. Comment le Gouvernement a-t-il prévu d'accompagner les ports dans cette transition sur le plan financier ?
La politique maritime est une priorité du Gouvernement. La France dispose du deuxième espace maritime du monde et la mer, est un lieu de conflictualité renforcée - voyez notamment ce qui se passe dans la région indopacifique -, qui concentre des enjeux centraux pour l'humanité tout entière. Il y a l'enjeu du dérèglement climatique, qu'on ne pourra pas traiter sans aborder la question de la protection des océans, et l'enjeu de souveraineté économique, avec la pêche, la transition énergétique et, plus largement, l'économie maritime.
La feuille de route que m'a adressée la Première ministre s'articule autour de trois priorités.
La première, c'est la protection des océans et de la biodiversité marine, car sans ressource, il n'y a pas de pêche et nous ne pouvons pas faire face au dérèglement climatique ; l'accélération du dérèglement climatique nous oblige à travailler davantage, avec tous les acteurs, en particulier sur le trait de côte. La deuxième, c'est le développement de l'économie maritime, nous avons à défendre notre modèle de pêche, qui est diversifié, avec en particulier des actions aidant l'installation des pêcheurs et la décarbonation des navires, en articulant ces actions avec les politiques publiques conduites sur le littoral. La troisième, enfin, c'est la planification et la coordination des politiques publiques qui concernent la mer, car ses usages se diversifient - tourisme, pêche, énergies renouvelables -, il faut donc davantage d'organisation, en lien bien sûr avec les territoires concernés. Les objectifs peuvent être contradictoires, nous devons nous concerter davantage.
Notre méthode, c'est d'abord de partir du terrain : je me déplace autant que faire se peut sur tout le territoire, je suis allé à Boulogne-sur-Mer, en Corse, en Bretagne, en Gironde, au Pays basque - nous cherchons toujours à adapter notre stratégie au territoire.
Ensuite, nous voulons renforcer la présence de la France dans les institutions européennes : trop souvent, la politique de la pêche a été une variable d'ajustement des politiques publiques, nous devons rappeler à nos partenaires européens la priorité de l'enjeu maritime, nous devons défendre nos pêcheurs, nous voulons aussi encourager le déploiement des énergies renouvelables maritimes et il nous faut également protéger les outre-mer contre la pêche illicite et les atteintes de plus en plus nombreuses à la biodiversité.
Enfin, nous voulons fonder davantage l'action sur la science et l'innovation. Nous disposons d'équipes de premier plan au sein de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), du CNRS, les connaissances scientifiques sont très utiles au consensus, il faut les diffuser - et encourager la science, c'est pourquoi nous consacrerons quelque 350 millions à l'exploration des fonds marins.
Sur l'éolien en mer, nous donnons la priorité à la planification - car c'est elle qui explique la différence entre un parc éolien en mer qui est bien accepté et un autre qui est mal reçu. Il faut concerter les projets avec tous les usagers de l'espace maritime, comme nous le faisons sur la terre ferme et comme le font nos voisins européens, nous devons prendre en compte les attentes des pêcheurs aussi bien que des acteurs locaux, et d'abord des élus. La planification, c'est aussi l'articulation des projets avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui est en passe d'être redéfinie au sein du Conseil national de la mer et des littoraux et qui sera déclinée par façades maritimes. Je crois à l'intelligence collective, la concertation est un atout, je le dis comme élu de Saint-Brieuc où le premier parc éolien maritime français a été installé.
Nous travaillons aussi sur les autres énergies marines renouvelables, avec des tests pilotes, en Normandie, dans le Morbihan, nous le faisons en lien avec les collectivités territoriales, pour trouver les solutions alternatives aux énergies fossiles les mieux adaptées au territoire, chaque fois en lien avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Les ports représentent un enjeu essentiel : il n'y aura pas de déploiement des énergies renouvelables maritimes sans eux. Avec Clément Beaune, nous réunissons la semaine prochaine les gestionnaires des grands ports maritimes (GPM) pour définir une stratégie nationale en la matière. Nous avons besoin d'associer les ports, ce qui suppose des adaptations législatives, en particulier pour libérer du foncier, pour installer des centres de maintenance, pour décarboner les ports - ils veulent aller de l'avant et nous devons les y aider, en lien avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, pour orienter les investissements à venir.
La stratégie nationale, de même, ne pourra pas se faire sans perspectives d'avenir pour les pêcheurs. Je n'ignore pas la crise que traversent les pêcheurs, liée au Brexit, à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique - et c'est pourquoi le Gouvernement, c'est unique en Europe, a étendu aux pêcheurs l'aide aux carburants, avec une enveloppe de 28 millions d'euros, nous entendons continuer en portant le plafond à 120 000 voire 130 000 euros. Notre modèle est fondé sur la pêche artisanale, d'autres pays européens n'ont pas fait ce choix, nous avons davantage d'emplois directs et indirects liés à la pêche, nous aidons nos pêcheurs pour leur carburant - mais aussi à décarboner leurs navires, nous avons lancé un fonds d'amorçage de 6 millions d'euros dans cet objectif.
Enfin, nous voulons soutenir davantage la formation aux métiers de la mer, par des investissements dans les lycées maritimes : c'est le sens des augmentations de crédits que vous constaterez dans le projet de budget pour 2023 en particulier pour l'École nationale supérieure maritime (ENSM). Le pavillon français participe de notre souveraineté, les métiers de la mer sont de haute valeur ajoutée, ils sont territorialisés, il faut les promouvoir - ce sera aussi l'objet du stand de mon ministère au départ, le 6 novembre, de la route du rhum.
La France va devoir résoudre une équation délicate pour atteindre les objectifs fixés par le Pacte éolien en mer signé en mars dernier par le Président de la République : accélérer le déploiement des projets éoliens offshore, en atteignant un rythme minimal d'attribution d'appels d'offres de l'ordre de 2 GW par an, tout en renforçant la concertation pour assurer l'acceptabilité sociale des projets qui a parfois fait défaut - je pense notamment au parc éolien de Saint-Brieuc, qui a suscité une vive contestation locale.
La solution dépendra de notre capacité à atteindre ces objectifs de déploiement, tout en associant étroitement toutes les parties prenantes. De nombreux acteurs - industriels, élus locaux, associations ou riverains - expriment une forme de lassitude vis-à-vis de la méthode suivie par le Gouvernement, qui donne l'impression de traiter les appels d'offres les uns après les autres par « à coups », sans donner une vision globale des projets envisagés à l'échelle des différentes façades.
L'article 12 du projet de loi va dans le bon sens, avec un document stratégique de façade (DSF) pour définir des zones d'implantation de futurs appels d'offres, mais les acteurs que j'ai auditionnés s'interrogent. En effet, cette planification des projets par le DSF ne serait que facultative, elle ne concernerait pas tous les appels d'offres et viserait seulement des « zones potentielles d'implantation ». De plus, en attendant la révision des DSF qui ne devrait pas intervenir avant 2024, nous pourrions perdre du temps pour le lancement des appels d'offres, sachant que l'élaboration du premier cycle des DSF a nécessité près de six ans de travail. En outre, le DSF vise à planifier l'ensemble des activités liées au littoral et à la mer : il y a donc un risque que l'éolien en mer « phagocyte » les autres usages dans les débats publics, ou bien qu'il se perde parmi tous les enjeux abordés.
Or, pour atteindre l'objectif de 18 GW de puissance installée en 2035 - qui sera sans doute traduit dans la prochaine loi de programmation sur l'énergie et le climat - nous aurions intérêt à planifier sans attendre, de manière claire et précise, les futurs projets éoliens offshores. Il nous faudra associer étroitement les usagers de la mer, le public et les élus locaux, mais aussi disposer d'une approche globale si on veut être en capacité de répartir les objectifs de développement sur les quatre façades maritimes.
Que répondez-vous aux acteurs qui expriment une méfiance vis-à-vis de la capacité pour les DSF à intégrer une planification de l'éolien en mer avec suffisamment de précision et de célérité ?
Avez-vous réfléchi à une méthode nationale pour identifier des zones précises d'implantation des projets éoliens en mer, avec un calendrier prévisionnel des appels d'offres à horizon de cinq et dix ans ?
Nous avons besoin de bâtir une méthode de planification robuste avant l'arrivée de la prochaine PPE, et je crains que le dispositif proposé ne laisse un peu certains acteurs « au milieu du gué »...
Estimez-vous, enfin, que les technologies utilisées permettent de bâtir les parcs éoliens suffisamment loin de la côte, de façon à éviter les problèmes posés par leur visibilité depuis le rivage ?
Je réponds d'autant plus volontiers à votre invitation à définir la planification en matière maritime, que c'est l'une des priorités de ma feuille de route. Le texte de loi permet de mutualiser le débat sur le DSF avec celui sur les projets éoliens en mer, et vous soulignez à raison deux risques : celui qu'on ne parle que d'éolien en mer au cours des débats sur le DSF et celui qu'on banalise ce sujet, sans en parler suffisamment. Il faut placer le sujet à son niveau pertinent : pour certains territoires, l'éolien maritime est prioritaire, pour d'autres ce n'est pas le sujet principal ; il faut donc éviter de travailler par « à coup » et mieux se relier à un ensemble, c'est la planification, au service d'une stratégie nationale pour la mer et le littoral. Cette stratégie est en passe d'être redéfinie par le Conseil national de la mer et des littoraux, qui s'est fixé jusqu'au mois de juin prochain pour y parvenir, cette stratégie intégrera tous les enjeux ; ce travail de définition est lancé, j'ai récemment envoyé les courriers pour l'installation des instances concernées. Ensuite, la PPE définira l'enveloppe globale que nous aurons à répartir, avec les élus, pour un déploiement par façade. Il est bien entendu trop tôt pour répartir les objectifs, y compris entre technologies - nous soutenons les innovations justement pour ne nous fermer aucune porte -, la ventilation pourra débuter par façade à compter de la mi-2023, après concertation avec les élus, puis avec les autres acteurs, en particulier les pêcheurs. La communication n'est pas la concertation, nos concitoyens pensent parfois trop vite qu'une fois le projet communiqué, il est fait - mais il faut compter avec la concertation, qui prend du temps et peut infléchir les projets. Nous avons aussi un enjeu de cahier des charges, avec des éléments très concrets comme l'alignement des éoliennes, qui a une incidence forte sur l'acceptation sociale - il faut donc regarder et discuter les choses au plus près du terrain.
Mon enveloppe budgétaire atteint 240 millions d'euros pour 2023 - après une augmentation de 23 millions d'euros l'an passé -, dont 77 millions pour la présence et l'intervention de l'État en mer à travers le fonds d'intervention maritime, 35 millions pour les gens de mer, 86 millions pour la flotte de commerce - cela couvre le netwage aussi bien que le soutien au verdissement de la flotte -, et 50 millions d'euros pour la pêche.
Nous avons des retours positifs sur le suramortissement. Nous avons la chance d'avoir des entreprises à la pointe en matière de flotte de commerce maritime, c'est aussi un élément de notre souveraineté, il faut accompagner ces entreprises sans renoncer à être exigeants.
Sur les ports, nous accompagnons bien des projets de décarbonation, je pense en particulier à des solutions de captage de gaz carbonique à Dunkerque, financées par France relance.
Vous constatez avec raison que la dimension maritime est absente du plan France 2030. Nous tâchons d'y remédier, avec des projets de navires à zéro émission et un comité de pilotage de France 2030 va se tenir prochainement pour examiner la possibilité d'intégrer des projets maritimes. Je porterai également cette ambition lors des Assises de la mer à Lille début novembre, nous avons un grand chantier en particulier sur les transports maritimes.
Enfin, je vous répondrai plus précisément par écrit sur le projet de ferme aquacole dans le golfe de Juan.
Le Gouvernement évoque l'ouverture d'une cinquantaine de parcs d'éoliennes maritimes d'ici 2050, et, quand on voit celui qui a été inauguré le 22 septembre à Saint-Nazaire, avec des éoliennes aux pales de 80 mètres, on comprend que la concertation est à tout le moins indispensable. Quand vous n'étiez pas encore ministre, vous avez déclaré que le parc d'éoliennes dans la baie de Saint-Brieuc n'était « ni fait, ni à faire », c'est une belle prise de position ! Le 20 octobre 2021, l'océanographe François Sarano nous a dit, devant cette commission, que l'ancrage des éoliennes en mer détruisait le milieu marin, parce que les nuages de sédiments ferment l'accès aux ressources de ce milieu. Depuis votre prise de fonctions, avez-vous pu vous faire une opinion sur ce sujet essentiel pour l'acceptabilité des éoliennes en mer ? Quelle est la résilience des milieux marins autour des parcs d'éoliennes ?
Une question sur le partage de la valeur en zone économique exclusive (ZEE) : la convention de Montego Bay dispose que la répartition est à la discrétion de l'État côtier, mais elle ne prévoit de transfert que pour les droits souverains, ce qui paraît exclure les collectivités territoriales. Dans ces conditions, quelle analyse faites-vous de l'affectation des recettes liées aux parcs éoliens ? Quelles seront les retombées sur les collectivités territoriales ?
Quelle est la feuille de route de votre ministère en matière de biodiversité ? Nous connaissons encore mal les conséquences environnementales des éoliennes maritimes, elles suscitent des inquiétudes : envisagez-vous d'exclure certaines zones considérées comme plus sensibles ? Comment mieux informer le public ?
Enfin, la pêche à la senne danoise, qui est une pêche démersale, mécontente les pêcheurs artisanaux, car elle détruit la ressource, avec des filets de plusieurs kilomètres qui ne laissent rien derrière eux. Les pêcheurs français ne comprennent pas la position de l'État, qui paraît s'accommoder de cette pêche industrielle pratiquée près de nos côtes sous pavillon européen : que leur répondez-vous ?
Dans les enceintes européennes, le Gouvernement s'accommode effectivement de la pêche démersale : pourquoi accepter une telle pêche industrielle climaticide, qui prive nos pêcheurs de leur moyen d'existence ?
Ensuite, des ONG s'inquiètent d'un projet de l'entreprise Total d'exploitation de gaz au large de l'Afrique du Sud : l'État français peut-il laisser faire un tel écocide, alors que l'Agence internationale de l'énergie s'est prononcée en 2021 contre tout nouvel investissement dans les énergies fossiles afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 ?
Il nous faut résoudre une équation difficile, entre les usages nombreux de la mer et l'obligation de préserver le vivant dans les océans, car on sait désormais que le rôle décisif de l'océan dans l'absorption du carbone est conditionné à la présence du vivant dans les océans. Comment pensez-vous prioriser les différents usages des mers ?
Comment, ensuite, envisagez-vous l'énergie mécanique des océans, c'est-à-dire l'utilisation des marées pour produire de l'énergie : l'usine marémotrice de la Rance date des années 1960, bien des projets ont été développés depuis dans d'autres pays, par exemple en Écosse - comment regardez-vous cette source d'énergie ?
La biodiversité reste l'un des piliers de notre action et rien, dans le projet de loi, ne remet en cause notre volonté d'agir pour la protéger - c'est l'une des raisons pour lesquelles des règles strictes s'imposent pour tout projet d'éolien en mer. Quand j'ai dit que le parc de la baie de Saint-Brieuc était « ni fait, ni à refaire », je me référais à cette expression de mon grand-père et qu'il employait pour dire qu'une chose n'avait pas été faite dans les règles de l'art, qu'elle aurait pu être mieux faite - et donc qu'il y avait des leçons à tirer de l'expérience, c'est ce que nous faisons.
S'agissant de l'impact des parcs éoliens, rien ne permet de dire aujourd'hui qu'on devrait ne pas les développer, ils répondent aux exigences de la transition énergétique, tout en préservant la biodiversité, il y a même des exemples où la biodiversité s'est trouvée accrue aux abords des éoliennes. Cependant, chaque situation est différente, et il faut donc regarder les effets à long terme, c'est pourquoi nous prévoyons 50 millions d'euros pour l'Observatoire de l'éolien en mer, et l'Office français de la biodiversité devra donner son avis sur tout projet.
Sur la taxation dans les ZEE, vous avez raison, les textes prévoient qu'elles vont à l'État, mais je rappelle que ce n'est pas contradictoire avec l'intérêt des territoires, qui bénéficient des politiques publiques conduites par l'État, avec en plus la possibilité d'une péréquation. Je prends bonne note des demandes des présidents de région pour l'affectation des ressources, mais les opérations en ZEE ont des coûts spécifiques qu'on doit examiner avant de trancher toute répartition.
Cette année est très riche en événements nationaux et internationaux pour la protection de la biodiversité, il y a eu le One Ocean Summit à Brest en février, où le président de la République a dit la priorité de cette protection pour la France, il y a eu la Conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne au mois de juin, il y aura la COP 27 sur le changement climatique à Charm el-Cheikh le mois prochain, puis la COP 15 sur la biodiversité à Montréal, en décembre. La France défend en particulier l'objectif de 30 % d'aires marines protégées, avec 10 % en zones de protection forte et 5 % de protection forte en Méditerranée. Notre modèle de protection de la biodiversité n'empêche pas la pêche ni d'autres activités, une cohabitation est possible, nous le démontrons sur la côte d'Iroise aussi bien que dans le golfe du Lion.
La France a aussi l'ambition de parvenir à un traité de protection de la biodiversité en haute mer, laquelle représente les deux tiers des océans. Ce traité créerait des aires marines protégées en haute mer, avec un contrôle effectif de la conservation des espèces ; il prévoirait le partage des ressources génétiques dans cet espace, pour que toute molécule découverte en haute mer ne puisse être l'objet d'une appropriation, mais considérée comme un bien commun de l'humanité ; et ce traité mettrait en place un mécanisme d'étude environnementale pour toute activité en haute mer - autant de sujets où il est difficile d'aboutir, parce qu'il n'y a rien aujourd'hui de cet ordre en haute mer.
Sur la pêche démersale, à la senne danoise, la France n'est certainement pas une facilitatrice. Ce qui s'est passé, c'est que, dans le trilogue européen, un amendement du Parlement européen entendait interdire cette pêche pour les navires hollandais et belges, remettant frontalement en cause le libre accès aux ports européens et les principes fondamentaux des pêches communes. Un accord a donc été trouvé, au nom de ces principes. La France demande depuis plus de dix ans une régulation, comme celle que nous avons mise en place dans le cadre des comités régionaux de pêche en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine ; j'ai renouvelé notre demande pour des actions concrètes, nous devons avancer dans le bon cadre. Sans l'accord intervenu cette année, il y aurait eu une libéralisation totale des eaux l'an prochain, ce qu'aucun pays ne souhaitait. De notre côté, nous allons continuer à soutenir la pêche artisanale, avec en particulier des aides aux carburants, une gestion pluriannuelle des quotas, et notre stratégie est définie en lien avec les territoires.
L'usine marémotrice de la Rance fait l'objet d'investissements, nous allons continuer à financer tous les projets innovants pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, c'est une raison pour accélérer les éoliennes en mer, nous le faisons en lien avec l'Ademe - mais cela prend du temps.
Le projet en Afrique du Sud que vous citez est porté par une entreprise privée qui contracte avec un pays souverain, la France n'y a pas sa part - et les projets que nous soutenons, notamment via l'Agence française du développement (AFD), répondent tous à nos objectifs : la France ne soutient pas des projets qui mettent à mal la biodiversité marine.
Quelle sera la position du Conseil national de la mer et des littoraux sur la stratégie nationale ? Ce Conseil contribuant à élaborer cette stratégie, n'y a-t-il pas un risque de confusion des rôles quand on lui demandera de donner son avis sur cette stratégie ?
Sophie Panonacle, la présidente de ce Conseil, a suggéré un amendement au projet de loi de finances, pour créer un fonds consacré à l'érosion côtière : qu'en pensez-vous ?
Enfin, nous avons du mal à percevoir, dans la stratégie des ports, le développement de l'intermodalité : quels sont les efforts sur ce sujet essentiel ?
Personne ne conteste la nécessité du mix énergétique, donc l'utilité de développer l'éolien en mer. Vous nous dites que l'activité est maintenue, mais les producteurs se posent des questions - les producteurs de coquilles Saint-Jacques, en particulier, s'inquiètent pour la ressource : que leur répondez-vous ? Vous dites vouloir travailler en amont avec les populations locales, il y a de quoi, en effet, lorsqu'on voit les oppositions qui se sont manifestées en particulier à Saint-Nazaire.
Enfin, quelle est la capacité de production de l'usine marémotrice de la Rance ? Elle a été installée en 1966, mais ce prototype n'a pas été dupliqué parce qu'il n'est pas rentable : qu'en est-il précisément ?
Le potentiel économique de la pêche ultramarine est certain, mais du retard, trop de retard a été pris ; des projets de développement sont identifiés : quelles suites pensez-vous pouvoir leur donner ?
Alors que nos fonds marins représentent 17 fois la superficie terrestre de notre pays, le sujet des grands fonds marins apparaît désormais comme un enjeu essentiel : comment l'abordez-vous ? Quelle est la position française sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins ? Le Sénat vient de consacrer à ce thème un débat en séance plénière, suite à la publication du rapport de notre mission d'information « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » : quels partenariats, en particulier, vous paraissent-ils envisageables ?
Dans la présentation de vos priorités, vous venez d'énoncer la production d'énergie en troisième position, après la protection de la biodiversité marine et la pêche ; si tel est bien le cas, il faut se garder de confondre vitesse et précipitation dans le déploiement d'éoliennes en mer...
Une question sur les délaissés portuaires : peuvent-ils être utilisés pour produire de l'énergie - sans porter atteinte à la loi « littoral » ?
Une remarque, ensuite : il n'y a pas que les grands ports maritimes (GPM) dans notre pays - en Bretagne, avec 2 700 kilomètres de côtes, nous n'en avons pas un seul, depuis qu'en 2004 ils ont été transférés à la région, avec désormais la simple compensation de 1,5 million d'euros de dotation annuelle pour les gérer... Ces ports décentralisés ont pourtant des questions très importantes à régler, comme la desserte des îles, avec un sujet bien identifié de la décarbonation des navires : comment les prenez-vous en compte ?
Enfin, merci de préciser votre position sur le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, il faut lever les ambiguïtés...
La compagnie maritime Brittany Ferries vient d'appeler à sortir du moins-disant social, après que sa concurrente Irish ferries vient d'ouvrir ses lignes à des ferries battant pavillon chypriote : qu'en pensez-vous ?
Doit-on craindre une confusion des rôles pour le Conseil national de la mer et du littoral, dans l'élaboration et l'avis sur la stratégie nationale pour la mer et les littoraux ? Je ne le crois pas, elle sera le forum de la stratégie nationale, il n'y a pas de doublon, et, plutôt que d'ajouter un outil pour redéfinir la stratégie nationale d'ici la mi-2023, j'utilise ce qui fonctionne bien aujourd'hui.
La création d'un fonds d'érosion côtier est-elle souhaitable ? Il y a déjà une ligne budgétaire dédiée, le fonds vert annoncé par la Première ministre sera mobilisable - et si je suis favorable à des moyens supplémentaires, je crois qu'il ne faut pas multiplier les outils, nous pourrons débattre de la meilleure méthode mais je veux pour aujourd'hui retenir notre intention de nous en occuper et de déployer des projets face à l'érosion côtière.
L'intermodalité avance, je pense à des projets de connexion ferroviaire à Fos, à la construction d'une chatière au Havre, nous avons aussi à voir le prix de la manutention avec les armateurs, c'est un levier pour inciter à la multimodalité.
Le parc éolien menace-t-il la ressource en coquilles Saint-Jacques ? Elles n'ont jamais été aussi abondantes que cette année, mais corrélation n'est pas causalité ; nous regarderons dans la durée, nous sommes très attentifs à la ressource halieutique, elle a été préservée depuis des décennies par les pêcheurs, il faut continuer à le faire.
Un projet d'usine marémotrice avait été fait pour la baie du mont Saint-Michel, il n'a pas abouti, nous investissons pour que l'usine de la Rance continue de tourner. Elle n'est pas à l'équilibre, c'est un prototype avec des coûts de maintenance importants, nous continuerons à la soutenir et EDF la gère avec soin avec la volonté d'en faire une vitrine.
Le développement dans les outremers ne peut se passer d'une ambition forte pour les flottes de pêches ultramarines. Il y a un enjeu d'investissement dans les ports, qui concerne du reste tous les ports, au-delà des GPM. Il y a aussi un enjeu de modernisation de la flotte, des bateaux trop anciens créent de l'incompréhension chez nos compatriotes ultramarins, le changement passe par les règles européennes, nous nous y attelons et nous mettons déjà en place un fonds d'amorçage de 6 millions d'euros pour aider la décarbonation des navires de pêche. Il faut aussi développer les métiers de la mer, en adaptant les formations aux spécificités ultramarines.
Sur l'exploration des fonds marins, comme je l'ai dit dans le débat en séance plénière, nous sommes focalisés sur la connaissance et la recherche, c'est la priorité, du fait des risques de l'exploitation des fonds marins. L'exploration, oui, l'exploitation, non : c'est ce qu'a dit le président de la République à Lisbonne, nous avons adapté notre code minier dans ce sens, et nous mobilisons 350 millions d'euros sur le sujet.
Les énergies marines renouvelables ne viennent-elles qu'en troisième position parmi mes priorités ? En réalité, mes priorités sont articulées : la préservation des océans, par exemple, implique qu'on développe les énergies maritimes renouvelables, ceci pour moins polluer les océans...c'est cohérent, pas antinomique.
Les ports décentralisés sont intégrés à notre stratégie nationale, elle ne concerne pas seulement les GPM, mais tous les ports.
Sur le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, certains feignent de découvrir ma position, mais j'ai toujours dit que ce parc ne devait pas se faire n'importe comment ni à n'importe quel prix. Le président de la République est venu dès 2018 au cap Fréhel pour rediscuter de ce projet, le préfet a remis tout le monde autour de la table en 2019, ma position est la concertation et la planification, je l'ai dit aux pêcheurs lors de mon premier déplacement comme ministre - comme vous, nous sommes cohérents, nous avons rectifié une trajectoire qui était partie dans le mauvais sens.
Le dumping social est déloyal, il met à mal le pacte social européen, nous nous battons pour que les entreprises aient le plus haut standard, nous travaillons avec le gouvernement britannique sur les liaisons transmanches. Le président de la République est engagé contre le dumping, nous ne lâcherons rien, comme nous l'avons fait pour les travailleurs détachés en 2017. Mon ministère travaille sur le sujet, en particulier sur les moyens de coercition si des bateaux ne respectaient pas nos règles.
Merci pour la clarté de vos propos et votre énergie, nous sommes mobilisés pour faire avancer l'ensemble de ces sujets.
La réunion est close à 12 h 5.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.