Intervention de Chantal Jouanno

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 19 octobre 2022 à 8h45
Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables — Audition de Mme Chantal Jouanno présidente de la commission nationale du débat public

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno, présidente de la commission nationale du débat public (CNDP) :

La loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) du 10 août 2018 a modifié la manière dont doivent être menés les débats publics sur les projets de parcs éoliens en mer.

Auparavant, les débats publics intervenaient une fois que le parc avait été attribué au porteur de projet. Cela créait de la crispation de la part du public, qui ne comprenait pas ce qu'il y avait à débattre si tout avait déjà été défini. Cela a ainsi été le cas dans pour le projet de parc éolien en mer Dieppe - Le Tréport, où il aurait fallu modifier la zone pour que le projet soit acceptable, notamment pour les pêcheurs.

La loi ESSOC a été pleinement appliquée en Normandie et en Méditerranée où la CNDP a été sollicitée très en amont pour identifier localement les zones de moindre impact. Cela n'a pas été réellement le cas pour les projets sud-Bretagne et au large d'Oléron, où les zones avaient déjà été prédéfinies localement avec les acteurs locaux. La CNDP a été sollicitée uniquement pour valider cette zone, ce qui a créé des difficultés avec les acteurs locaux qui ne comprenaient pas la nécessité d'organiser une concertation avec le public alors qu'une concertation s'était déjà tenue. De même, le public a déploré que les marges de choix soient faibles. Ces nouvelles modalités introduites en 2018 fonctionnent plutôt bien. Deux zones très importantes ont été attribuées en 2019 en Normandie.

Le principe de la concertation continue implique que celle-ci court du débat public jusqu'à l'enquête publique ou à la participation du public par voie électronique (PPVE). Si cette concertation continue existe bien, le public demande cependant à être associé à l'élaboration du cahier des charges. Or, nous n'avons jamais obtenu gain de cause sur ce sujet. Nous demandons également qu'il y ait une instance de concertation dédiée pour les pêcheurs car des problèmes spécifiques se posent pour la pêche - pourront-ils pêcher au milieu des parcs ? Quel sera le régime de responsabilité en cas de difficulté ? De la même manière, nous n'avons pas eu gain de cause sur ce sujet.

Concernant la fusion commissaire enquêteur et garant, je rappelle que nous n'avons pas les mêmes missions. La CNDP a une obligation absolue de neutralité, qui est une condition de confiance pour garantir la participation du public. Le commissaire enquêteur doit quant à lui émettre un avis motivé. Il faudrait modifier ses missions pour que cette fusion soit possible.

S'agissant des critères pour la saisine obligatoire de la CNDP, l'article R. 121-2 du code de l'environnement ne fixe que des seuils financiers. Ce critère n'est pas toujours pertinent puisque des petits projets peuvent avoir des impacts environnementaux importants. Pour ces petits projets, la CNDP peut néanmoins être saisie de manière volontaire, ce qui est relativement fréquent. L'autre limite de l'article R. 121-2 est que sont exclus de la consultation du public un certain nombre de projets ayant réellement un impact sur l'environnement. C'est ainsi le cas pour les data center, qui pour certains atteignent 130 mégawatts. Cela l'est également pour une extension de capacités d'aéroport. Le terminal 4 de Roissy, qui a tout de même entraîné une augmentation très importante de capacité, était exclu de l'obligation de participation du public. Aéroports de Paris (ADP) a certes sollicité la CNDP, mais le groupe l'a fait de manière volontaire. Il y a donc bien un problème d'adaptation de cette participation du public à la réalité des nouveaux projets.

Pour favoriser le développement d'énergies renouvelables, y compris pour les petits projets, la première chose est de procéder par ordre, en déterminant le potentiel, les zones possibles d'installation, les conflits d'usage. Par ailleurs, la participation, telle que nous la menons, c'est-à-dire très en amont, ne permet pas de mesurer l'acceptabilité. Nous mettons en débat ce projet mais aussi ses alternatives. Nous identifions plutôt les conditions de faisabilité du projet.

La réalité est que le public a souvent l'impression que les projets sont anarchiques.

Le besoin de visibilité et de planification concerne à la fois le maritime et le terrestre.

Par ailleurs, l'exigence de territorialisation des projets se pose à chaque fois. Le public est réticent face à un projet quand il a l'impression qu'il s'agit d'un projet national plaqué sur un territoire. La nécessité de territorialisation s'est ainsi manifestée pour Horizeo ou encore pour le projet de parc éolien du Blayet.

S'agissant de l'article 2 du projet de loi, nous ne sommes pas favorables à ces mesures qui laissent entendre, en outre, que l'enquête publique serait inutile ou constituerait une procédure superfétatoire.

Les procédures de participation par voie électronique (PPVE) se développent de plus en plus. Généralement ces PPVE sont organisées sans garant. Néanmoins, les PPVE sur les projets olympiques ou encore sur les prisons ont été organisées avec garant. Le garant vérifie que la procédure se déroule de manière sincère. Il rédige les conclusions de la procédure, faisant le bilan de ce que le public a dit. Nous demandons au garant de veiller à ce que la procédure ne soit pas seulement numérique car 14 % de la population n'a pas accès au numérique. Ces populations sont de fait exclues dans les cas de PPVE.

Nous avons ainsi alerté sur les risques que représenterait le recours à des PPVE s'agissant des travaux d'infrastructures pour les jeux olympiques en Seine-Saint-Denis. La plupart des habitants ne seraient ni informés de l'existence de ces projets ni ne pourraient participer. Nous avons exigé qu'il y ait aussi des procédures en présentiel. La procédure 100 % numérique conduira de fait à exclure des populations. Or la Constitution et le code de l'environnement prévoient que toute personne doit avoir la possibilité d'être informée et de participer. Nous portons, sur ce sujet, le même discours que la Défenseure des droits. Même pendant la crise du covid, nous n'avons jamais fait de concertation ou de débat public uniquement par voie numérique. Nous avons conservé des moments en présentiel. Il s'agirait sinon d'une participation détournée.

S'agissant de la culture de la sécurité et du risque, nous voyons apparaître cet enjeu plus ou moins selon les sujets mis en débat. Ainsi, sur le nucléaire, lors du débat sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), cet enjeu a bien évidemment été abordé. Pour le futur débat sur les EPR 2, il devrait également être abordé. L'attente est très forte.

La difficulté que nous rencontrons est que le niveau de débat s'agissant du nucléaire est d'une très grande technicité. Il y a une grande différence parmi les acteurs s'agissant de la culture du risque. La solution passe par le développement de l'information et par la garantie de sa clarté. S'agissant du débat sur les EPR 2, notre principal défi sera d'assurer l'accessibilité et la lisibilité des informations pour qu'elles soient compréhensibles par tous. L'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a remis hier à la CNDP deux expertises, l'une sur le bilan des EPR et l'autre sur les alternatives possibles à l'EPR dans le monde, y compris les « petits réacteurs modulaires », les small modular reactors (SMR) en anglais. Il s'agit de sujets passionnants et engageants pour l'avenir. Au-delà de ce document, nous avons demandé à l'IRSN de réaliser des vidéos ou des éléments explicatifs accessibles au grand public.

S'agissant de la concertation avec les élus locaux, la CNDP insiste pour rappeler que, pour avoir du sens, la participation a besoin de temps. Il faut laisser du temps à l'ensemble des acteurs ainsi qu'au public pour s'informer. Il faut ensuite laisser le temps aux arguments de se rencontrer, pour qu'ils puissent être compris des uns et des autres, et pour leur permettre potentiellement d'évoluer.

Le temps de la concertation et de la participation en général n'est pas un temps perdu.

L'argument selon lequel la participation prendrait trop de temps et qu'il serait nécessaire d'accélérer le temps de la concertation n'est attesté par aucun des rapports commandés sur ce sujet. C'est en outre un argument assez dangereux : il laisserait à penser que le temps de la démocratie, qu'elle soit participative ou représentative, est un temps perdu. Or, il s'agit d'un temps où vont être identifiées les conditions de réalisation du projet. Les rapports récents ont démontré que les délais observés sur les grands projets sont généralement liés aux délais d'arbitrages politiques et aux délais de financement. Cette réalité est documentée, y compris dans le rapport « Guillot » dont les travaux ont pourtant été conduits par un industriel.

L'avis des populations et des élus locaux nous paraît absolument nécessaire pour éviter de commettre des erreurs. Depuis vingt-cinq ans, nous avons conduit 105 débats publics, qui concernent les projets plus importants ou les plus conflictuels. Sur cette période, moins de vingt projets sont sortis de terre. Au regard de ces chiffres, il ne me semble pas que la difficulté provienne du temps de la participation. Il est nécessaire de mettre à plat l'ensemble des procédures.

Quant au délai de consultation sur le projet de loi d'accélération de la production d'énergie renouvelable, vous aurez noté les réactions du Conseil national de la transition écologique (CNTE). La CNDP s'est prononcée avec les éléments dont elle disposait mais nous essayons encore d'organiser des réunions avec la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DGAMPA) ainsi qu'avec la DGEC pour fixer leurs propositions sur l'article 12. Ce texte contient à la fois des mesures permanentes et des mesures temporaires. Peut-être les mesures permanentes auraient-elles pu être discutées dans le cadre de loi programmation énergie-climat, après la concertation nationale qui aurait permis de mettre à plat l'ensemble de ces sujets.

Notre action est d'identifier en amont les conditions de faisabilité du projet, nous n'intervenons pas au stade où le projet est en voie d'être autorisé. Nous ne sommes donc jamais confrontés à la question de l'opposabilité possible des conseils municipaux.

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