Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 25 octobre 2022 à 14h30
Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Olivier Dussopt :

Monsieur le président, madame la présidente de commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter ce projet de loi portant un certain nombre de mesures d’urgences pour atteindre le plein emploi.

Il s’agit du premier texte relatif à ce bel objectif du plein emploi, mais ce n’est sans doute pas le dernier du quinquennat en la matière. En tout état de cause, c’est le premier qui nous permet d’examiner collectivement un certain nombre de mesures permettant de concourir à cet objectif.

Depuis quarante-cinq ans, la France n’a plus connu le plein emploi. Nous ne devons pas nous y résigner. Nous avons d’ailleurs déjà fait un bout de chemin pour remédier à cette situation. La France a créé sur les cinq dernières années 1, 7 million d’emplois, salariés et indépendants. Quasiment la moitié de ces créations nettes d’emploi se sont produites au cours des deux dernières années. Qui aurait pu imaginer voilà deux ans et demi, au début de la période du covid-19, que 830 000 emplois seraient créés entre le mois de mars 2020 et aujourd’hui ?

Ces résultats et cette réussite en matière de création d’emplois, nous les avons aussi obtenus par de profondes réformes, avec une plus grande décentralisation de la négociation collective et des moyens plus importants donnés à la formation, à travers le compte personnel de formation, le plan d’investissement des compétences et l’apprentissage.

Ces créations d’emplois et cette diminution du taux de chômage ne se sont pas opérées au détriment des salariés ou des entreprises. Nous avons ainsi dépassé les fausses oppositions. Une nouvelle forme de compromis social est en train, je le crois, de se développer, où l’emploi et les compétences deviennent une composante essentielle de la compétitivité des entreprises, et ne sont plus désormais abordés uniquement au regard de leur coût ou de l’incertitude qui leur est attachée.

C’est dans ce contexte que vous est donc proposé aujourd’hui le premier projet de loi du quinquennat visant à atteindre le plein emploi. Il s’agit d’un projet de loi volontairement resserré, centré sur les mesures les plus urgentes, mais pas les moins importantes. Pourquoi un tel texte aujourd’hui, dans cette période ? Pourquoi de telles mesures ?

Aujourd’hui, alors que notre taux de chômage est encore deux fois plus élevé que celui de nos voisins européens, les tensions de recrutement sont à leur comble. Cette situation n’est pas satisfaisante. En effet, 60 % des entreprises éprouvent des difficultés de recrutement, 30 % des entreprises industrielles sont même obligées de limiter leur activité, de fermer des lignes de production ou de renoncer à une partie de leur carnet de commandes pour des raisons de pénurie de main-d’œuvre.

Ces difficultés témoignent des efforts que nous devons encore accomplir pour finir de libérer le travail en France. Je n’égrènerai pas ici les huit axes de la feuille de route de mon ministère, que j’ai eu l’occasion de présenter devant la commission des affaires sociales du Sénat. Je voudrais simplement développer trois idées devant vous.

Premièrement, le plein emploi passe d’abord par la valorisation du travail. C’est un axe central de notre mission. Il s’agit en particulier de donner l’envie, le goût du travail aux jeunes. L’entreprise doit être ouverte à l’école, et l’école doit continuer de s’ouvrir aux entreprises.

Avec mon collègue de l’éducation nationale et la ministre déléguée Carole Grandjean, nous ferons connaître à nos jeunes et à nos enfants les métiers de l’artisanat, de l’industrie et du bâtiment, et nous leur en donnerons le goût, car il s’agit de métiers fondamentaux sur lesquels repose une grande part de notre vie économique.

Ces secteurs sont de formidables gisements d’emplois sans cesse en progrès. Ils nécessitent aussi des compétences pointues en perpétuelle évolution et très en prises avec les nouvelles technologies, à rebours de leur image, qui s’est parfois dégradée au fil du temps.

Au travers de l’apprentissage et du lycée professionnel, ces métiers connaissent un élan nouveau, que nous développerons encore ces prochaines années.

Deuxièmement, le plein emploi signifie aussi l’emploi pour tous. Dans la société du plein emploi que nous voulons construire, il importe de s’attaquer résolument à tout ce qui freine l’accès des plus fragiles à l’emploi.

Ce ne sont pas toujours des problèmes de qualification ou de compétence qui se posent. Nous devons aussi lutter contre les freins périphériques à l’emploi susceptibles d’enfermer les personnes dans des situations d’inactivité subie ou de précarité. La garde d’enfants et la mobilité font partie de ces sujets structurels, qui restent encore insuffisamment traités de façon systématique. Je suis convaincu qu’il est désormais temps d’avancer sur ces questions. C’est tout le sens du chantier que nous avons engagé autour du projet France Travail.

Nous avons un certain nombre d’expériences à valoriser, notamment grâce au service public de l’insertion vers l’emploi et au plan d’investissement dans les compétences. Il importe à présent de capitaliser pour passer à une nouvelle échelle. Je souhaite que les nombreux outils numériques expérimentés çà et là se déploient, afin que les différents acteurs puissent travailler en réseau d’une façon beaucoup plus efficace qu’aujourd’hui.

Avec France Travail, il s’agit également d’accompagner de manière plus intensive, personnalisée et adaptée l’ensemble des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et, au-delà, les bénéficiaires des minima sociaux.

Ce projet me tient particulièrement à cœur. L’État ne peut se considérer comme quitte de ses devoirs de solidarité à l’égard de ces publics parce qu’il leur verse une allocation. Nous pouvons faire valoir leurs droits et leurs devoirs aux bénéficiaires du RSA. Mais, de façon préalable, l’État a aussi le devoir de donner à ces derniers une vraie chance, en leur proposant une offre d’insertion et d’accompagnement partout sur le territoire, adaptée et personnalisable.

Nous continuerons à transformer notre système de formation professionnelle pour accélérer la montée en compétence, pour répondre aux besoins des actifs et des entreprises, mais aussi pour faire face aux enjeux des transitions démographique, écologique et numérique.

Le projet de loi donne une première impulsion en ce sens pour la validation des acquis de l’expérience (VAE). C’est un point que Carole Grandjean détaillera.

Troisièmement, le plein emploi signifie aussi de meilleures conditions de travail. Nous avons des conditions de travail parfois difficiles et conflictuelles. Plusieurs enquêtes soulignent qu’il existe des marges de progrès. Pour résoudre les tensions de recrutement, les entreprises devront également mieux intégrer, mieux valoriser les métiers et faire évoluer leurs salariés.

Nous les accompagnerons en ce sens, mais nous resterons attentifs. Les entreprises n’ont pas qu’un rôle de production à jouer ; elles doivent aussi prendre leur part dans l’effort collectif à mener pour parvenir au plein emploi.

Le texte que je vous présente aujourd’hui vise donc à apporter un certain nombre de réponses. La première d’entre elles concerne l’assurance chômage.

Je rappelle que l’assurance chômage est au cœur de notre modèle de sécurité sociale et professionnelle. Elle a été bâtie au fil du temps par les partenaires sociaux de notre pays pour devenir un outil puissant au service de la mobilité et de la protection des actifs.

Au même titre que les autres axes que j’ai mentionnés, nous devons la perfectionner pour parvenir au plein emploi. Il importe de préserver son caractère protecteur et son universalité – l’assurance chômage a été élargie à certains démissionnaires et travailleurs indépendants par notre majorité –, mais il convient de la mettre davantage au service d’un retour rapide vers l’emploi durable, car nul ne doit être condamné à une forme d’inemployabilité.

Je souligne que nous avons déjà commencé à réformer l’assurance chômage en 2019. La réforme de 2019 visait avant tout à répondre à l’explosion des embauches en contrats courts depuis vingt ans et, plus généralement, à apporter une réponse définitive au déficit structurel de l’assurance chômage lié en partie à la prolifération des contrats courts.

Entre 2009 et 2019, l’assurance chômage a accusé systématiquement un déficit de 2, 9 milliards d’euros en moyenne. C’est la raison pour laquelle deux transformations structurelles ont été apportées par cette réforme.

Nous avons tout d’abord proposé un nouveau calcul des allocations pour garantir que le fait de travailler soit toujours plus rémunérateur que le chômage.

La réforme a ensuite mis en place un bonus-malus dans sept secteurs économiques très utilisateurs de contrats courts. Depuis le 1er septembre 2022, environ 6 000 entreprises ayant recours de manière plus importante que la moyenne du secteur aux contrats à durée déterminée paient une surcotisation chômage – le malus – pouvant s’élever jusqu’à un point de cotisation supplémentaire sur l’ensemble de leur masse salariale. A contrario, 12 000 entreprises bénéficient d’un bonus pouvant aller jusqu’à 1, 05 % de leur masse salariale.

J’entends évidemment les critiques qui s’élèvent dans certains de vos rangs à l’encontre du bonus-malus. Vous les avez d’ailleurs relayées à travers votre réécriture de l’article 2 du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale.

Je veux à cet égard rappeler quelques faits : les contrats courts coûtent structurellement à l’assurance chômage quelque 2 milliards d’euros par an. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu réattribuer une partie de ce coût aux entreprises qui le faisaient peser sur l’ensemble de la communauté contributive. Il s’agit ainsi de les responsabiliser.

Le bonus-malus mettra bien sûr du temps à produire ses effets. Je vous demande de lui en donner pour que les sept secteurs aujourd’hui concernés prennent la mesure du dispositif et commencent à modifier leur recours aux contrats courts. De nombreuses solutions de remplacement sont possibles : CDI intérimaires, groupements d’employeurs, ainsi que d’autres formes d’emplois que nous voulons promouvoir et accompagner.

J’en viens maintenant au calendrier d’examen de ce texte. Pourquoi agir de nouveau aujourd’hui ?

Les règles actuelles sont fixées par le décret du 28 juillet 2019, dit décret de carence, qui est venu définir les règles de l’assurance chômage, car les partenaires sociaux n’étaient pas parvenus à un accord.

Le décret arrive à échéance le 1er novembre prochain. C’est ce qui motive le principe d’urgence du projet de loi. Nous souhaitons prolonger les règles jusqu’au 31 décembre 2023 pour laisser le temps à la réforme de 2019 de déployer tous ses effets. Nous souhaitons également prolonger le bonus-malus jusqu’au 31 août 2024.

Ouvrir dès aujourd’hui un nouveau cycle de négociations sur les règles n’aurait pas eu de sens. Du fait de la crise sanitaire, les nouvelles règles ne sont entrées en vigueur qu’il y a moins d’un an. Il paraît donc nécessaire d’attendre un peu pour que les partenaires sociaux puissent se saisir de nouveau de ces questions à la fin de l’année 2023.

Nous souhaitons donc prolonger les règles, mais nous voulons également travailler à les rendre plus réactives par rapport à la conjoncture économique. Le système d’assurance chômage tel qu’il existe aujourd’hui est finalement contre-intuitif. Il remplit imparfaitement son rôle : sur les quinze dernières années, quand le chômage était au-dessus de 10 %, 55 % des demandeurs d’emploi étaient indemnisables, alors que cette part est montée à 61 % à la fin de 2019, avec un chômage à 8 %.

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