Intervention de Cathy Apourceau-Poly

Réunion du 25 octobre 2022 à 14h30
Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi — Question préalable

Photo de Cathy Apourceau-PolyCathy Apourceau-Poly :

L’étape suivante pourrait être la disparition de l’Unédic et de Pôle emploi du fait de la mise en place de France Travail.

Ce projet de loi est une remise en cause du droit au travail, au libre choix de son travail et à des conditions satisfaisantes de travail, ainsi que de l’assurance interprofessionnelle et solidaire contre le chômage.

Alors que le Sénat débute son examen du texte, le Gouvernement a déjà lancé les concertations avec les organisations patronales et syndicales pour moduler l’indemnité chômage. Ce mépris des parlementaires est d’autant plus inacceptable que, lors de ces réunions de concertation, le ministère du travail a précisé que la modulation consisterait à allonger la période d’ouverture des droits au chômage.

Le relèvement de six à huit mois, sur la période des vingt-quatre derniers mois, de la durée de cotisation permettant l’ouverture des droits au chômage privera d’indemnisation 200 000 personnes, et fera économiser 2 milliards d’euros sur le dos des jeunes, qui seront les principales victimes de la modulation. Ladite modulation ne serait donc qu’un moyen pour faire des économies, en réduisant le nombre d’allocataires…

D’ailleurs, l’ensemble des organisations syndicales de salariés ont renouvelé leur opposition à cette modulation. Même l’Union des entreprises de proximité (U2P), qui n’est pourtant pas une officine du parti communiste – c’est l’organisation des artisans, des professions libérales et des commerçants –, a exprimé ses « doutes notamment sur la corrélation entre la contracyclicité et [la] capacité à recruter plus facilement », ajoutant : « Il nous paraît plus important de travailler sur la formation. » Nous partageons totalement cette analyse.

Le fait que des emplois soient non pourvus dans notre pays est lié non pas à la durée d’indemnisation du chômage, mais au manque d’anticipation et d’investissement dans la formation professionnelle.

Si nous manquons d’ouvriers qualifiés dans l’industrie, d’artisans dans le bâtiment, de techniciens dans les services, c’est non seulement parce que les salaires sont trop faibles et les conditions de travail très difficiles, mais encore parce que, depuis des années, les gouvernements successifs ont cassé l’enseignement professionnel.

La logique du Gouvernement, selon laquelle il faudrait réduire les droits au chômage pour inciter à la reprise du travail, relève d’une vision archaïque de l’emploi.

Le 14 juillet 2022, lorsque le Président de la République a annoncé cette réforme, il a présenté l’assurance chômage comme un obstacle au bon fonctionnement du marché du travail.

Les parlementaires communistes sont particulièrement attachés à l’émancipation des individus dans leur travail, mais cette émancipation n’est pas possible dans la société capitaliste, laquelle grignote toujours davantage la vie personnelle au profit de la vie professionnelle. La dégradation des conditions de travail, les faibles salaires, les comportements parfois toxiques des directeurs des ressources humaines (DRH) conduisent à un mal-être au travail et à une perte de sens. Si les infirmières démissionnent de l’hôpital, c’est justement parce qu’elles se plaignent d’une perte de sens, parce qu’elles ne supportent plus de trier les patients et de les laisser attendre des heures.

L’émancipation par le travail est possible dès lors que les salariés participent aux décisions de l’entreprise et à condition de prévoir une réduction du temps de travail à 32 heures ainsi qu’une augmentation massive des salaires. En attendant, nous refusons d’opposer les travailleurs aux privés d’emploi.

Les travailleurs et les privés d’emploi sont de plus en plus dessaisis de leur droit de choisir librement un emploi qui soit en cohérence avec leurs qualifications ou leur formation. Ils deviennent des variables d’ajustements du marché du travail.

Alors que moins de quatre chômeurs sur dix perçoivent une allocation et que la moitié d’entre eux est sous le seuil de pauvreté, la réforme de l’assurance chômage de 2019 a fait perdre 155 euros par mois à 1 million d’allocataires. Elle a exclu 450 000 personnes de toute allocation et a frappé les plus fragiles, notamment les jeunes. Cette baisse des droits s’est accompagnée d’une éviction des privés d’emploi de l’allocation chômage. Ainsi, en un an, les radiations administratives ont progressé de 40 %.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement reprend la main sur l’Unédic qui, depuis 1958, était gérée conjointement par les organisations syndicales et patronales.

Plutôt que de s’engager à reprendre la dette de 15 milliards d’euros de l’Unédic, produite par le recours à l’activité partielle durant la crise sanitaire, l’État veut transformer par décret l’assurance chômage en simple filet de secours minimum. Cette réforme de l’assurance chômage est un déni de solidarité. Au-delà de la diminution des indemnités des plus précaires, le Gouvernement veut transformer une assurance collective en épargne individualisée.

Cette dénaturation de l’assurance chômage est un processus à l’œuvre depuis plusieurs années, et notamment depuis la substitution en 2018 de la contribution sociale généralisée (CSG) aux cotisations salariales et l’encadrement des négociations par le Gouvernement. L’attaque contre les droits des plus précaires cache des enjeux plus structurels, notamment le fait que le chômage ne sera plus qu’un risque individuel. Il est urgent de renouer avec la logique de solidarité salariale interprofessionnelle garantissant chacun contre le risque social du chômage.

Entre 1992 et 2001, la dégressivité des allocations chômage n’a pas entraîné d’accélération de la reprise de l’emploi. De la même manière, les restrictions d’accès aux droits des intermittents du spectacle et le doublement de leur taux de cotisation n’ont pas augmenté le nombre de CDI dans le secteur. En réalité, les chômeurs n’ont pas le choix de leur emploi et la restriction de l’accès aux indemnités chômage risque de les contraindre à accepter des contrats encore plus précaires.

La droite et le Gouvernement semblent d’accord sur de nombreux points de ce texte ; ma collègue Laurence Cohen y reviendra dans son intervention.

Je tiens à dénoncer la suppression de l’indemnisation chômage pour les salariés qui abandonnent leur poste. Malgré les tentatives des rapporteurs pour consolider le dispositif juridique, la présomption de démission en cas d’abandon de poste est un recul considérable. Le phénomène d’abandon de poste n’étant ni chiffré ni évalué, il est largement précipité de légiférer à cet égard, d’autant que cette rédaction ne manquera pas d’accentuer les risques juridiques. Nos juridictions prud’homales sont actuellement dans l’incapacité de répondre dans un délai d’un mois à une demande des salariés.

Surtout, une telle disposition revient à négliger le fait que l’abandon de poste est avant tout une porte de sortie en cas de conflit avec l’employeur. La création d’une présomption de démission privera les salariés de toute indemnisation chômage et entraînera une explosion du nombre des arrêts maladie.

Face au projet régressif du Gouvernement, nous portons un autre projet, un projet de sécurité d’emploi et de formation, pour sécuriser les parcours de vie.

Les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste rejettent ce projet de loi, qui s’attaque aux droits des salariés et à la gouvernance paritaire de l’assurance chômage. Pour toutes ces raisons, nous avons déposé la présente motion tendant à opposer la question préalable, que nous vous invitons à soutenir.

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