Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 25 octobre 2022 à 14h30
Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi — Discussion générale

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi répond avant tout, une fois n’est pas coutume, à une véritable urgence : il s’agit de prolonger les règles actuelles d’indemnisation du chômage, qui arrivent à échéance le 1er novembre prochain – c’est demain ! –, afin d’éviter un arrêt soudain du versement des prestations. Ce point ne prête bien sûr pas à discussion.

Cependant, le texte va au-delà en accordant à l’État, à titre exceptionnel, la possibilité de définir de nouvelles règles du régime d’assurance chômage par décret. Le Conseil d’État a d’ailleurs relevé que le texte « ne comporte aucune limitation directe ou indirecte quant à l’objet ou à la portée des dispositions du futur décret ».

Ainsi, outre le blanc-seing demandé aux parlementaires, le projet de loi reflète l’ascendant pris progressivement par l’État sur la gestion de l’assurance chômage. Comme l’a souligné récemment un rapport présenté par notre collègue Frédérique Puissat, le paritarisme recule depuis plusieurs années dans la gestion des dispositifs de protection sociale, que ce soit en matière de sécurité sociale, de formation ou d’assurance chômage.

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a notamment modifié les règles de négociation des conventions d’assurance chômage en permettant au Gouvernement d’imposer les orientations et les objectifs financiers à atteindre par une « lettre de cadrage », très strictement définie. L’échec, prévisible, des négociations conduites en 2019 a finalement abouti à un décret.

La situation présente est comparable, mais, cette fois-ci, le Gouvernement, arguant de l’urgence, ne se soucie pas d’engager une négociation et précise d’ores et déjà qu’il définira les mesures d’application du régime d’assurance chômage par un décret en Conseil d’État.

Nous savons quelle nouvelle mesure introduira ce décret : celui-ci mettra en application l’annonce de campagne du Président de la République consistant à moduler les conditions d’indemnisation en fonction de la situation du marché du travail, afin qu’elles soient « plus strictes quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuses quand le chômage est élevé ». N’est prévue qu’une simple concertation avec les partenaires sociaux, qui vient d’ailleurs d’être lancée.

De modulation, il n’est pourtant point question dans le texte. Le Gouvernement pourra la prévoir ultérieurement, ou pas, et décider seul de ses conditions d’application.

Cet ensemble de dispositions s’éloignant du système paritaire que nous pratiquons me conduit à saluer les propositions formulées par les rapporteurs, qui ont modifié l’article 1er sur plusieurs points.

Premier point, et cela me semble le plus important, un amendement a introduit le sujet de la gouvernance de l’assurance chômage dans le texte, afin de rétablir le rôle actif des partenaires sociaux. En effet, puisque la procédure de 2018 s’est traduite par un échec, il faut revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à l’esprit de la loi Larcher, la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social.

Selon le cadre transitoire que nous avons adopté en commission, après la publication du présent texte, une concertation sera engagée par le Gouvernement en vue d’une véritable réforme de la gouvernance, de l’équilibre financier de l’Unédic et des règles d’indemnisation de l’assurance chômage. À l’issue de cette concertation, le Gouvernement interviendra par le biais d’un document d’orientation et non d’une lettre de cadrage, selon une procédure inspirée de l’article L. 1 du code du travail, donnant ainsi davantage de valeur à la négociation.

Deuxième point, la commission a limité dans le temps la liberté laissée au Gouvernement pour fixer les règles d’indemnisation des chômeurs, en avançant le délai qui lui est accordé au 31 août 2023. Cette situation étant exceptionnelle, il n’est en effet pas souhaitable de la laisser perdurer plus que nécessaire.

Troisième point, puisque cette faculté accordée au Gouvernement doit permettre de créer un principe de modulation de l’indemnisation du chômage en fonction de la conjoncture, nous avons choisi d’inscrire en toutes lettres ce principe dans le projet de loi. Nous considérons en effet comme légitime l’objectif visé : s’attaquer aux difficultés de recrutement que connaissent actuellement les entreprises, en dépit d’un taux de chômage réduit à 7, 4 %.

Selon les chiffres du ministère du travail, 60 % des entreprises rencontrent actuellement des difficultés de recrutement, ce qui a conduit un tiers d’entre elles à limiter leur activité. Chaque jour, dans nos circonscriptions, des employeurs nous disent ne pas trouver de salariés.

Selon diverses études, les conditions d’indemnisation du chômage jouent un rôle important dans la reprise d’un emploi. Élaborer une règle d’ajustement en fonction de la conjoncture semble donc souhaitable et jouerait dans les deux sens, tenant compte des périodes non seulement de croissance, mais également de récession. Il faut par ailleurs rappeler que, même après le durcissement opéré en 2019, les conditions d’éligibilité à l’assurance chômage en France restent parmi les plus favorables des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Néanmoins, en l’absence d’étude d’impact et de détails sur les modalités de la réforme, le groupe Les Républicains émet les plus grandes réserves sur sa faisabilité.

Quels seront les indicateurs permettant de déterminer si la conjoncture est bonne ou mauvaise ? À quels intervalles la situation économique sera-t-elle reconsidérée ? Vous semblez avoir rejeté, monsieur le ministre, une appréciation par territoires, mais, si l’on prend en compte la conjoncture économique nationale, pourra-t-on appliquer les mêmes règles dans ma région, les Hauts-de-France, grandement en tension, et dans d’autres territoires, alors que le taux de chômage peut varier du simple au double ? Il serait préférable que l’analyse soit faite par bassin d’emploi, voire par quartier, dans certaines villes. Nous comptons sur nos débats pour obtenir des précisions à ce sujet de la part du Gouvernement.

D’autres sujets ont été introduits dans le texte sur l’initiative de nos rapporteurs, dont je tiens à saluer la démarche pragmatique, la qualité du travail et l’investissement sur ces questions sensibles, car d’ordre social.

La question avait été posée à l’Assemblée nationale de restreindre les droits au chômage en cas de refus répétés de CDI à l’issue d’un CDD, une situation que l’on nous décrit souvent sur le terrain. Notre commission a choisi d’intégrer cette disposition et a souhaité que ce refus d’un emploi stable soit particulièrement caractérisé en fixant la suppression du droit à indemnisation à partir de trois refus. Elle a par ailleurs répondu aux observations que vous aviez formulées à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, en prévoyant une notification des refus à Pôle emploi.

Je tiens à préciser que, à titre personnel, je soutiendrai l’amendement de nos collègues Laurent Duplomb et Bruno Retailleau, qui tend à supprimer l’indemnisation du chômage dès le premier refus de CDI. En effet, dès lors que le CDI correspond à l’emploi exercé auparavant en CDD, il n’y a aucune raison d’attendre que soient proposés au chômeur un deuxième et un troisième CDI, sauf bien sûr s’il en a trouvé un autre ailleurs.

Dans le même esprit de justice par rapport aux autres demandeurs d’emploi et parce qu’il s’agit d’une source importante de dysfonctionnements pour les entreprises, la commission a complété le dispositif introduit par les députés en ce qui concerne les abandons de poste, pour sécuriser la procédure permettant d’assimiler ces derniers à des démissions.

Je dirai encore quelques mots sur les contrats courts.

La commission a supprimé la durée maximale de trente-six mois applicable aux missions accomplies en CDI, ce qui permet de sécuriser les parcours professionnels des intérimaires tout en limitant le recours aux contrats courts. Elle a également fixé à deux ans la durée de l’expérimentation autorisant la conclusion de CDD pour remplacer plusieurs salariés absents.

Notre sentiment sur le dispositif de bonus-malus créé en 2019 n’a pas changé : nous y voyons toujours un frein à l’emploi et une méconnaissance des impératifs de flexibilité auxquels sont soumis certains employeurs. Le présent texte nous a donné l’occasion de revoir le dispositif, afin de le recentrer sur les véritables cas de permittence et d’alléger son impact financier pour les entreprises.

J’évoquerai enfin la VAE, que nous avons ouverte à toute activité en lien avec une certification, en dépassant l’actuelle approche par statut, afin de donner un nouvel élan à ce dispositif insuffisamment utilisé.

Ainsi, l’examen de ce projet de loi, malgré son ambition très limitée, nous a permis de traiter plusieurs difficultés rencontrées par les entreprises ou les demandeurs d’emploi et d’affirmer notre attachement au paritarisme. Nous sommes dans l’attente d’autres mesures, relatives à la gouvernance de l’assurance chômage comme à l’emploi, car, si le taux de chômage a baissé en France, il reste largement supérieur à celui de la moyenne européenne.

Sous réserve du maintien des dispositions dont nous avons enrichi le texte, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi.

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