Intervention de Laurence Garnier

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 octobre 2022 à 9h00
Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables — Examen du rapport pour avis

Photo de Laurence GarnierLaurence Garnier, rapporteure pour avis :

Notre commission a été saisie pour avis, il y a un peu plus de quinze jours, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (EnR). Dans ce délai, j'ai procédé à une série d'auditions afin de déterminer si ce texte était susceptible de mettre en péril notre patrimoine culturel. J'ai entendu la direction générale des patrimoines et de l'architecture du ministère de la culture, l'Association nationale des architectes des Bâtiments de France (ANABF), l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ainsi que plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine, à savoir Maisons paysannes de France, Patrimoine-Environnement, Sites et monuments et Vieilles Maisons françaises.

Je me suis évidemment aussi appuyée sur l'expérience de la Loire-Atlantique, dont je suis élue, où l'éolien terrestre est déjà bien développé et où le premier parc éolien en mer a été mis en place au large du Croisic. J'ai également été profondément marquée par l'expérience récente de la commune de Vay. Cette commune, qui n'est pas hostile par principe aux parcs éoliens - elle en compte déjà un sur son périmètre - se voit aujourd'hui imposer par la cour administrative d'appel de Nantes un nouveau projet éolien, lequel a pourtant fait l'objet d'un avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France (ABF), du conseil municipal, du commissaire enquêteur et du préfet en raison des atteintes à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages qu'il pourrait générer.

Ces différents exemples m'ont convaincue que la transition énergétique ne pourrait pas se faire en opposant patrimoine et énergies renouvelables. Il faut au contraire parvenir à les conjuguer, sinon les atteintes portées au cadre de vie des habitants des communes impactées par des projets éoliens feront naître des mécontentements et des oppositions qui freineront systématiquement le déploiement des énergies renouvelables, sans compter qu'elles menaceront aussi notre cohésion. En effet, il est clair que le développement des éoliennes est un sujet d'oppositions entre les zones rurales, où ces projets sont majoritairement installés, et les zones urbaines, où une large part de l'énergie y est consommée.

L'objet du projet de loi est d'accélérer la production d'énergies renouvelables pour renforcer notre souveraineté énergétique. À cette fin, le texte met en place un certain nombre de dérogations pour faciliter les projets d'énergies renouvelables et les projets industriels nécessaires à cette transition énergétique : le Gouvernement les décrit comme des mesures d'urgence temporaires. Il comporte aussi des dispositions spécifiques pour contribuer au développement de l'énergie solaire et de l'éolien en mer. En outre, il fixe des règles en matière de financement des énergies renouvelables et de partage de la valeur. Même s'il ne prévoit aucune disposition spécifique relative à l'éolien terrestre, cette forme d'énergie renouvelable est bel et bien concernée par tous les dispositifs prévus dans le projet de loi.

Quel est l'impact de ce projet de loi sur le patrimoine culturel ?

À la lecture de l'exposé des motifs, on aurait pu craindre le pire. Celui-ci pointe en effet clairement la multiplicité et la complexité des procédures administratives comme l'une des principales causes du retard français en matière de développement des énergies renouvelables.

Le rapport de la mission, conduite par Damien Botteghi, relative à l'accélération et à la simplification des procédures pour renforcer l'indépendance industrielle, énergétique et agricole en France, qui a constitué une source d'inspiration pour la rédaction du projet de loi, recommandait de réduire la portée de l'avis de l'ABF, en transformant son avis conforme en avis simple pour faciliter l'installation de panneaux solaires dans les sites patrimoniaux remarquables (SPR). Mais le Gouvernement n'a heureusement pas retenu cette option.

Le projet de loi ne comprend aucun article dérogeant aux dispositifs de protection patrimoniale existants dans le but de développer les énergies renouvelables. Il ne comporte pas non plus d'éléments susceptibles d'améliorer ces dispositifs et de répondre à certaines préoccupations de la population dans le cadre du déploiement de ces projets au cours des dernières années. Cela signifie donc que les projets d'EnR, quel que soit le type d'énergie concerné, resteront soumis, en l'état actuel du texte, à l'avis de l'ABF dans les espaces protégés, au même titre que les autres projets de construction, d'aménagement ou de travaux, à savoir un avis conforme dans les abords des monuments historiques et dans les SPR et un avis simple dans les sites inscrits au titre du code de l'environnement, ainsi que dans les abords des monuments historiques lorsque le projet n'entre pas dans le champ de visibilité du monument.

Par ailleurs, les services régionaux d'archéologie préventive conserveront la possibilité de prescrire des diagnostics et des fouilles et pourront, le cas échéant, demander que la consistance du projet soit modifiée afin d'en réduire l'impact sur les vestiges.

Les enjeux patrimoniaux ont été clairement pris en compte dans le cadre de l'instauration, par l'article 11, d'une obligation d'équipement des parkings extérieurs de plus de 2 500 mètres carrés en ombrières photovoltaïques sur au moins la moitié de leur surface. Les gestionnaires de parkings qui feraient face à des contraintes patrimoniales ne seront pas soumis à cette obligation. En outre, l'obligation ne dispensant pas du dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme, l'ABF pourra contrôler, avec son avis conforme, la bonne intégration de ces dispositifs dans les espaces protégés.

Je ne vous cache pas que plusieurs autres dispositions inquiètent les associations de sauvegarde du patrimoine, mais elles n'entrent pas dans le champ de compétence de notre commission. Deux articles sont ici visés.

Premièrement, l'article 3 autorise à recourir à la procédure de modification simplifiée du plan local d'urbanisme (PLU) au lieu de la procédure de révision actuellement nécessaire afin de réduire un espace boisé classé dans le but de permettre l'installation de projets d'EnR. Cette question relève de la commission des affaires économiques, chargée à la fois des questions liées aux forêts et à l'urbanisme.

Deuxièmement, l'article 4 reconnaît aux projets d'EnR le caractère de « raison impérieuse d'intérêt public majeur ». À cet égard, je souhaite vous rassurer sur le fait que cette notion, tirée du droit de l'Union européenne, n'emporte aucune conséquence sur la protection du patrimoine culturel. Elle permet exclusivement de déroger aux règles en matière de protection des espèces protégées et de leur habitat. Elle n'est employée dans aucun autre code pour fonder d'éventuelles dérogations. J'ai bien évidemment alerté le rapporteur de la commission saisie au fond, Didier Mandelli, sur ces différents points.

Au final, nous pouvons être rassurés par la préservation de l'équilibre existant entre développement des EnR et protection du patrimoine. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) avait prévu des dérogations à l'avis conforme, mais le Gouvernement n'a pas réitéré ici cette démarche. Cela dit, il faudra nous montrer vigilants pendant la discussion parlementaire, car certains amendements pourraient viser à transformer en avis simple l'avis conforme des ABF ou à revenir sur certains dispositifs de protection patrimoniale, vécus comme des freins au développement des énergies renouvelables.

À mon sens, la mise en place de telles dérogations ne serait pas justifiée : elle aurait un impact marginal sur l'accélération des projets d'EnR, tout en ayant des effets désastreux à long terme sur la qualité de vie de nos concitoyens et sur notre attractivité touristique en ce qu'elle porterait atteinte à la mise en valeur de notre patrimoine. J'en veux pour preuve les effets du passage à l'avis simple concernant la dégradation des sites inscrits au titre du code de l'environnement. En effet, cet avis ne permet pas de faire face à des situations dans lesquelles s'exerce une certaine pression.

J'ai longuement échangé avec les représentants de l'ABF et de l'Inrap, leurs interventions ne constituent pas un réel frein aux projets d'EnR, ni à leur déploiement rapide. Les ABF délivrent leurs autorisations en moyenne en 34 jours et seuls 10 % des demandes font l'objet d'un refus. En matière d'archéologie préventive, les prescriptions de diagnostics et de fouilles restent modestes, les services régionaux d'archéologie préventive limitent au maximum les prescriptions de fouilles à la suite de diagnostics pour ne pas ralentir le lancement des projets.

Ni la direction générale des patrimoines ni les ABF n'ont manifesté d'opposition de principe au développement des EnR. Les refus opposés à la pose de panneaux photovoltaïques dans les espaces protégés s'expliquent principalement par le caractère standardisé des installations projetées, souvent peu adaptées au bâti ancien et difficilement intégrables dans le paysage architectural. Une instruction de la ministre de la culture est en cours d'élaboration sur la question du photovoltaïque dans les espaces protégés. Destinée aux ABF, elle devrait permettre d'homogénéiser leurs pratiques dans l'instruction de ce type de demandes et de donner aux collectivités territoriales et aux particuliers davantage de visibilité sur les attendus.

Dans ces conditions, il serait particulièrement regrettable que de telles dérogations soient mises en place : si les projets d'EnR souffrent aujourd'hui d'un déficit d'acceptabilité, c'est précisément parce qu'ils ne prennent pas suffisamment en compte le cadre de vie et l'opinion de l'échelon local. Le retard français en matière d'énergies renouvelables tient autant au manque d'adhésion des populations locales qu'à certaines procédures administratives jugées contraignantes. Compte tenu de l'attachement des populations à leur patrimoine et à leur cadre de vie, déroger aux règles de protection du patrimoine serait au contraire un élément susceptible d'accroître les résistances à l'encontre de ces projets. Il serait plus opportun de faire en sorte d'améliorer la prise en compte de l'impact des projets d'EnR sur le cadre de vie en amont de la décision. Or, aujourd'hui, le diagnostic architectural et paysager des études d'impact est souvent bâclé et ne permet pas d'appréhender correctement les effets réels des projets. Les services du patrimoine et de l'archéologie m'ont dit n'être pratiquement jamais associés à l'élaboration des projets en amont du dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme, alors qu'ils sont investis d'une mission de conseil qui les rend aptes à répondre, le cas échéant, aux sollicitations des porteurs de projets. Leur expertise serait pourtant utile dès ce stade pour disposer d'un premier diagnostic et pour orienter ou adapter la localisation ou l'emprise du projet vers une zone dans laquelle l'impact serait moindre.

Le renforcement du dialogue en amont pourrait constituer un réel gain sur le temps total de la procédure, en raccourcissant ensuite les délais d'instruction de la demande d'autorisation d'urbanisme, en réduisant le risque de refus et en limitant les contestations ultérieures.

Ne l'oublions pas, sous l'effet des progrès technologiques, les éoliennes ont considérablement évolué au cours de la dernière décennie. Si ces évolutions ont permis d'accroître significativement leur puissance, elles ont aussi des impacts de plus en plus importants sur les paysages. Avec l'augmentation de la hauteur des mâts, elles sont visibles depuis des zones de plus en plus éloignées. Le repowering, c'est-à-dire l'opération qui consiste à remplacer une installation par une autre de plus grande puissance, a souvent des effets désastreux sur les paysages, dans la mesure où des projets qui avaient été élaborés intelligemment à une certaine échelle auront un tout autre impact.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai deux amendements visant à répondre à ces problématiques : le premier vise à étendre l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens terrestres de grande dimension entrant dans le champ de visibilité d'un monument historique ou d'un site patrimonial remarquable dans un périmètre de 10 kilomètres autour de celui-ci, et le second tend à interdire, à compter des prochains appels d'offres, les projets éoliens maritimes situés à moins de 40 kilomètres des côtes afin d'en limiter l'impact visuel.

Au demeurant, il faut faire en sorte de mieux associer l'échelon local à la prise de décision pour réduire l'impact des installations sur le cadre de vie et faciliter leur déploiement sur le territoire. De ce point de vue, on peut s'interroger sur l'opportunité des dispositions de l'article 2 visant à étendre la participation du public par voie électronique, dans la mesure où il est difficile d'apprécier dans quelle mesure la dématérialisation des procédures de consultation du public constitue un progrès ou une régression d'un point de vue démocratique. Ces évolutions devraient principalement concerner les projets photovoltaïques au sol de petite taille et non les autres types de projets en matière d'EnR.

Le rapporteur au fond Didier Mandelli, qui est attaché à l'idée de redonner du pouvoir aux maires dans le déploiement des EnR, proposera de renforcer la planification des projets d'énergies renouvelables, celle-ci s'étant faite jusqu'ici de manière assez désordonnée et sans consultation de l'échelon local. Pour ma part, je vous soumettrai un troisième amendement visant à renforcer le pouvoir des exécutifs locaux en ce qui concerne l'implantation des projets d'EnR.

Je crois vraiment que ces différentes évolutions sont de nature à rassembler les Français sur les enjeux environnementaux, au risque, dans le cas contraire, de voir s'accroître les motifs de division.

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