Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Laurence Garnier sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Ce texte, renvoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sera discuté en séance publique à compter du mercredi 2 novembre prochain.
Nous allons prendre connaissance avec beaucoup d'intérêt, ma chère collègue, de votre analyse et de vos propositions sur ce texte, la question des modalités d'installation des éoliennes sur nos territoires, qu'elles soient terrestres ou marines, constituant désormais un sujet de préoccupation majeur pour de nombreux élus locaux, en particulier ruraux.
Notre commission a été saisie pour avis, il y a un peu plus de quinze jours, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (EnR). Dans ce délai, j'ai procédé à une série d'auditions afin de déterminer si ce texte était susceptible de mettre en péril notre patrimoine culturel. J'ai entendu la direction générale des patrimoines et de l'architecture du ministère de la culture, l'Association nationale des architectes des Bâtiments de France (ANABF), l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ainsi que plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine, à savoir Maisons paysannes de France, Patrimoine-Environnement, Sites et monuments et Vieilles Maisons françaises.
Je me suis évidemment aussi appuyée sur l'expérience de la Loire-Atlantique, dont je suis élue, où l'éolien terrestre est déjà bien développé et où le premier parc éolien en mer a été mis en place au large du Croisic. J'ai également été profondément marquée par l'expérience récente de la commune de Vay. Cette commune, qui n'est pas hostile par principe aux parcs éoliens - elle en compte déjà un sur son périmètre - se voit aujourd'hui imposer par la cour administrative d'appel de Nantes un nouveau projet éolien, lequel a pourtant fait l'objet d'un avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France (ABF), du conseil municipal, du commissaire enquêteur et du préfet en raison des atteintes à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages qu'il pourrait générer.
Ces différents exemples m'ont convaincue que la transition énergétique ne pourrait pas se faire en opposant patrimoine et énergies renouvelables. Il faut au contraire parvenir à les conjuguer, sinon les atteintes portées au cadre de vie des habitants des communes impactées par des projets éoliens feront naître des mécontentements et des oppositions qui freineront systématiquement le déploiement des énergies renouvelables, sans compter qu'elles menaceront aussi notre cohésion. En effet, il est clair que le développement des éoliennes est un sujet d'oppositions entre les zones rurales, où ces projets sont majoritairement installés, et les zones urbaines, où une large part de l'énergie y est consommée.
L'objet du projet de loi est d'accélérer la production d'énergies renouvelables pour renforcer notre souveraineté énergétique. À cette fin, le texte met en place un certain nombre de dérogations pour faciliter les projets d'énergies renouvelables et les projets industriels nécessaires à cette transition énergétique : le Gouvernement les décrit comme des mesures d'urgence temporaires. Il comporte aussi des dispositions spécifiques pour contribuer au développement de l'énergie solaire et de l'éolien en mer. En outre, il fixe des règles en matière de financement des énergies renouvelables et de partage de la valeur. Même s'il ne prévoit aucune disposition spécifique relative à l'éolien terrestre, cette forme d'énergie renouvelable est bel et bien concernée par tous les dispositifs prévus dans le projet de loi.
Quel est l'impact de ce projet de loi sur le patrimoine culturel ?
À la lecture de l'exposé des motifs, on aurait pu craindre le pire. Celui-ci pointe en effet clairement la multiplicité et la complexité des procédures administratives comme l'une des principales causes du retard français en matière de développement des énergies renouvelables.
Le rapport de la mission, conduite par Damien Botteghi, relative à l'accélération et à la simplification des procédures pour renforcer l'indépendance industrielle, énergétique et agricole en France, qui a constitué une source d'inspiration pour la rédaction du projet de loi, recommandait de réduire la portée de l'avis de l'ABF, en transformant son avis conforme en avis simple pour faciliter l'installation de panneaux solaires dans les sites patrimoniaux remarquables (SPR). Mais le Gouvernement n'a heureusement pas retenu cette option.
Le projet de loi ne comprend aucun article dérogeant aux dispositifs de protection patrimoniale existants dans le but de développer les énergies renouvelables. Il ne comporte pas non plus d'éléments susceptibles d'améliorer ces dispositifs et de répondre à certaines préoccupations de la population dans le cadre du déploiement de ces projets au cours des dernières années. Cela signifie donc que les projets d'EnR, quel que soit le type d'énergie concerné, resteront soumis, en l'état actuel du texte, à l'avis de l'ABF dans les espaces protégés, au même titre que les autres projets de construction, d'aménagement ou de travaux, à savoir un avis conforme dans les abords des monuments historiques et dans les SPR et un avis simple dans les sites inscrits au titre du code de l'environnement, ainsi que dans les abords des monuments historiques lorsque le projet n'entre pas dans le champ de visibilité du monument.
Par ailleurs, les services régionaux d'archéologie préventive conserveront la possibilité de prescrire des diagnostics et des fouilles et pourront, le cas échéant, demander que la consistance du projet soit modifiée afin d'en réduire l'impact sur les vestiges.
Les enjeux patrimoniaux ont été clairement pris en compte dans le cadre de l'instauration, par l'article 11, d'une obligation d'équipement des parkings extérieurs de plus de 2 500 mètres carrés en ombrières photovoltaïques sur au moins la moitié de leur surface. Les gestionnaires de parkings qui feraient face à des contraintes patrimoniales ne seront pas soumis à cette obligation. En outre, l'obligation ne dispensant pas du dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme, l'ABF pourra contrôler, avec son avis conforme, la bonne intégration de ces dispositifs dans les espaces protégés.
Je ne vous cache pas que plusieurs autres dispositions inquiètent les associations de sauvegarde du patrimoine, mais elles n'entrent pas dans le champ de compétence de notre commission. Deux articles sont ici visés.
Premièrement, l'article 3 autorise à recourir à la procédure de modification simplifiée du plan local d'urbanisme (PLU) au lieu de la procédure de révision actuellement nécessaire afin de réduire un espace boisé classé dans le but de permettre l'installation de projets d'EnR. Cette question relève de la commission des affaires économiques, chargée à la fois des questions liées aux forêts et à l'urbanisme.
Deuxièmement, l'article 4 reconnaît aux projets d'EnR le caractère de « raison impérieuse d'intérêt public majeur ». À cet égard, je souhaite vous rassurer sur le fait que cette notion, tirée du droit de l'Union européenne, n'emporte aucune conséquence sur la protection du patrimoine culturel. Elle permet exclusivement de déroger aux règles en matière de protection des espèces protégées et de leur habitat. Elle n'est employée dans aucun autre code pour fonder d'éventuelles dérogations. J'ai bien évidemment alerté le rapporteur de la commission saisie au fond, Didier Mandelli, sur ces différents points.
Au final, nous pouvons être rassurés par la préservation de l'équilibre existant entre développement des EnR et protection du patrimoine. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) avait prévu des dérogations à l'avis conforme, mais le Gouvernement n'a pas réitéré ici cette démarche. Cela dit, il faudra nous montrer vigilants pendant la discussion parlementaire, car certains amendements pourraient viser à transformer en avis simple l'avis conforme des ABF ou à revenir sur certains dispositifs de protection patrimoniale, vécus comme des freins au développement des énergies renouvelables.
À mon sens, la mise en place de telles dérogations ne serait pas justifiée : elle aurait un impact marginal sur l'accélération des projets d'EnR, tout en ayant des effets désastreux à long terme sur la qualité de vie de nos concitoyens et sur notre attractivité touristique en ce qu'elle porterait atteinte à la mise en valeur de notre patrimoine. J'en veux pour preuve les effets du passage à l'avis simple concernant la dégradation des sites inscrits au titre du code de l'environnement. En effet, cet avis ne permet pas de faire face à des situations dans lesquelles s'exerce une certaine pression.
J'ai longuement échangé avec les représentants de l'ABF et de l'Inrap, leurs interventions ne constituent pas un réel frein aux projets d'EnR, ni à leur déploiement rapide. Les ABF délivrent leurs autorisations en moyenne en 34 jours et seuls 10 % des demandes font l'objet d'un refus. En matière d'archéologie préventive, les prescriptions de diagnostics et de fouilles restent modestes, les services régionaux d'archéologie préventive limitent au maximum les prescriptions de fouilles à la suite de diagnostics pour ne pas ralentir le lancement des projets.
Ni la direction générale des patrimoines ni les ABF n'ont manifesté d'opposition de principe au développement des EnR. Les refus opposés à la pose de panneaux photovoltaïques dans les espaces protégés s'expliquent principalement par le caractère standardisé des installations projetées, souvent peu adaptées au bâti ancien et difficilement intégrables dans le paysage architectural. Une instruction de la ministre de la culture est en cours d'élaboration sur la question du photovoltaïque dans les espaces protégés. Destinée aux ABF, elle devrait permettre d'homogénéiser leurs pratiques dans l'instruction de ce type de demandes et de donner aux collectivités territoriales et aux particuliers davantage de visibilité sur les attendus.
Dans ces conditions, il serait particulièrement regrettable que de telles dérogations soient mises en place : si les projets d'EnR souffrent aujourd'hui d'un déficit d'acceptabilité, c'est précisément parce qu'ils ne prennent pas suffisamment en compte le cadre de vie et l'opinion de l'échelon local. Le retard français en matière d'énergies renouvelables tient autant au manque d'adhésion des populations locales qu'à certaines procédures administratives jugées contraignantes. Compte tenu de l'attachement des populations à leur patrimoine et à leur cadre de vie, déroger aux règles de protection du patrimoine serait au contraire un élément susceptible d'accroître les résistances à l'encontre de ces projets. Il serait plus opportun de faire en sorte d'améliorer la prise en compte de l'impact des projets d'EnR sur le cadre de vie en amont de la décision. Or, aujourd'hui, le diagnostic architectural et paysager des études d'impact est souvent bâclé et ne permet pas d'appréhender correctement les effets réels des projets. Les services du patrimoine et de l'archéologie m'ont dit n'être pratiquement jamais associés à l'élaboration des projets en amont du dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme, alors qu'ils sont investis d'une mission de conseil qui les rend aptes à répondre, le cas échéant, aux sollicitations des porteurs de projets. Leur expertise serait pourtant utile dès ce stade pour disposer d'un premier diagnostic et pour orienter ou adapter la localisation ou l'emprise du projet vers une zone dans laquelle l'impact serait moindre.
Le renforcement du dialogue en amont pourrait constituer un réel gain sur le temps total de la procédure, en raccourcissant ensuite les délais d'instruction de la demande d'autorisation d'urbanisme, en réduisant le risque de refus et en limitant les contestations ultérieures.
Ne l'oublions pas, sous l'effet des progrès technologiques, les éoliennes ont considérablement évolué au cours de la dernière décennie. Si ces évolutions ont permis d'accroître significativement leur puissance, elles ont aussi des impacts de plus en plus importants sur les paysages. Avec l'augmentation de la hauteur des mâts, elles sont visibles depuis des zones de plus en plus éloignées. Le repowering, c'est-à-dire l'opération qui consiste à remplacer une installation par une autre de plus grande puissance, a souvent des effets désastreux sur les paysages, dans la mesure où des projets qui avaient été élaborés intelligemment à une certaine échelle auront un tout autre impact.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai deux amendements visant à répondre à ces problématiques : le premier vise à étendre l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens terrestres de grande dimension entrant dans le champ de visibilité d'un monument historique ou d'un site patrimonial remarquable dans un périmètre de 10 kilomètres autour de celui-ci, et le second tend à interdire, à compter des prochains appels d'offres, les projets éoliens maritimes situés à moins de 40 kilomètres des côtes afin d'en limiter l'impact visuel.
Au demeurant, il faut faire en sorte de mieux associer l'échelon local à la prise de décision pour réduire l'impact des installations sur le cadre de vie et faciliter leur déploiement sur le territoire. De ce point de vue, on peut s'interroger sur l'opportunité des dispositions de l'article 2 visant à étendre la participation du public par voie électronique, dans la mesure où il est difficile d'apprécier dans quelle mesure la dématérialisation des procédures de consultation du public constitue un progrès ou une régression d'un point de vue démocratique. Ces évolutions devraient principalement concerner les projets photovoltaïques au sol de petite taille et non les autres types de projets en matière d'EnR.
Le rapporteur au fond Didier Mandelli, qui est attaché à l'idée de redonner du pouvoir aux maires dans le déploiement des EnR, proposera de renforcer la planification des projets d'énergies renouvelables, celle-ci s'étant faite jusqu'ici de manière assez désordonnée et sans consultation de l'échelon local. Pour ma part, je vous soumettrai un troisième amendement visant à renforcer le pouvoir des exécutifs locaux en ce qui concerne l'implantation des projets d'EnR.
Je crois vraiment que ces différentes évolutions sont de nature à rassembler les Français sur les enjeux environnementaux, au risque, dans le cas contraire, de voir s'accroître les motifs de division.
Un peu plus d'un an après l'adoption de la loi Climat et résilience, ce texte franchit un cap dans la décarbonation de notre pays. S'il nous faut agir vite, nous devons cependant être vigilants sur l'équilibre à maintenir, y compris dans une logique d'acceptabilité de la part de la population. Ne négligeons pas la préservation de notre patrimoine. Je sais pouvoir compter sur la vigilance de notre assemblée sur ce sujet.
Nous pourrons également tirer profit des apports des nombreuses auditions qui ont été organisées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.
Les ABF nous ont alertés sur les effectifs dont ils ont besoin pour traiter dans de bonnes conditions l'ensemble des dossiers, ceux qui sont relatifs aux EnR étant appelés à augmenter de façon exponentielle. Ils ont également pointé la nécessité de renforcer l'ingénierie, particulièrement dans les zones rurales, afin d'améliorer en amont la qualité des projets. En matière d'énergies renouvelables, nous pouvons saluer la façon dont ils assurent, avec les services de l'archéologie préventive, le traitement des dossiers, car leur approche combine pragmatisme et prise en compte de la spécificité de chaque site. Ne rognons pas davantage leurs prérogatives au prétexte d'une accélération des dossiers. Ils ont encore en mémoire la loi Élan, qui a opéré un glissement de l'avis conforme vers l'avis simple dans plusieurs cas de figure. À cet égard, ils souhaitent disposer d'un bilan de la mise en oeuvre de ces dérogations. Même si le texte qui nous est proposé ne prévoit pas une extension de ces dérogations, restons très attentifs sur ce point.
L'article 11 impose l'équipement des parkings extérieurs de plus de 2 500 mètres carrés en ombrières photovoltaïques, mais cette mesure peut aussi bien concerner des parkings de supermarché que ceux du centre-ville à proximité de monuments. Il serait pertinent de préciser ce dispositif, afin de veiller à l'intérêt patrimonial. La préservation de notre patrimoine doit s'inscrire dans une approche globale au-delà des seuls sites patrimoniaux remarquables.
Pour conclure, j'évoquerai la mauvaise prise en compte du bâti ancien dans la politique de rénovation thermique. Les diagnostics de performance énergétique doivent être réalisés par des spécialistes ; les solutions techniques proposées doivent tenir compte des particularités des bâtiments construits avant le milieu du XXe siècle, elles ne doivent pas se focaliser sur les fenêtres et l'isolation extérieure. Il conviendrait de réfléchir à une évolution du mode de calcul de la performance énergétique à l'heure des objectifs ambitieux en matière de lutte contre l'artificialisation. Mieux valoriser notre bâti ancien apparaît comme une évidence.
Nous devons examiner au cours des prochains mois plusieurs textes relatifs à la politique énergétique. Or je déplore le manque de cohérence et de vision globale. Notre mix énergétique est plutôt efficace et performant, chaque production énergétique ne répondant pas aux mêmes besoins. Les dispositions visant à une accélération de l'implantation de projets d'énergies renouvelables tiennent pour partie au fait que la France a manqué durant ces quinze dernières années d'une vision globale en matière énergétique. J'estime qu'une politique énergétique se bâtit à une échéance de cinquante ans minimum.
Nous partageons votre position concernant le patrimoine. Restons très vigilants sur les lignes qui ont été définies dans le texte.
Assouplir les règles risque de cristalliser des oppositions. Le dialogue permet de dépasser les a priori.
Je rejoins le rapporteur au fond concernant le développement anarchique des éoliennes : nous avons besoin d'une vision plus globale de cet aménagement. Je peux comprendre que vous souhaitiez étendre l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens terrestres entrant dans le champ de visibilité d'un monument historique ou d'un site patrimonial remarquable dans un périmètre de 10 kilomètres. Vous souhaitez également interdire les projets d'éoliens maritimes situés à moins de 40 kilomètres des côtes. Toutefois, il ne suffit pas de prendre en compte la distance des côtes pour implanter les parcs. Le parc au large de Fécamp ne suscite pas de véritable opposition, contrairement à celui du Tréport, alors qu'ils sont quasiment à égale distance des côtes. Cependant, celui du Tréport est situé dans une zone de reproduction des poissons. Ne nous en tenons pas à des normes kilométriques, c'est trop administratif ! Prenons en compte la navigation, la réalité des fonds marins, notamment.
Gouverné à près de 80 % par le nucléaire, notre mix énergétique est tellement efficace que nous devons accélérer l'implantation des énergies renouvelables. La crise actuelle est aussi liée à cette impasse. Nous faisons face à court terme à l'urgence énergétique - nous avons dû rouvrir une centrale à charbon l'été dernier, et à plus long terme à la crise climatique. Certes, il faut préserver nos paysages et les 40 kilomètres au-delà des côtes, mais dans quelques années celles-ci seront profondément transformées. Nos tergiversations actuelles, par exemple sur la valeur patrimoniale d'un parking en centre-ville, paraîtront dérisoires si nous n'agissons pas rapidement en implantant des sources d'énergie décarbonée. Ce n'est pas forcément l'impact paysager qui suscite des résistances : le parc éolien du Beaujolais Vert avait été présenté comme un atout pour le territoire ; et c'est parce que nous y avons associé la population qu'il est devenu une attraction. L'argent des millionnaires sera insuffisant pour restaurer le patrimoine lorsque la crise climatique sévira.
Je remercie M. le président d'avoir obtenu la saisine pour avis de notre commission. Nous sommes peut-être le poil à gratter du Parlement et de l'exécutif, et c'est une bonne chose. Nous devrons d'ailleurs faire preuve de constance au cours du parcours législatif de ce texte. Je partage les remarques pertinentes de Céline Brulin concernant le morcellement de l'approche législative et le mix énergétique, mais j'ai une position divergente de celle de Thomas Dossus.
Je remercie la rapporteure pour avis de ses travaux dans des délais très brefs. Son rapport est équilibré, juste, rassurant, sans exclure les points de vigilance. L'objectif de développement des EnR est partagé, mais il se combine avec la nécessité de protéger notre patrimoine, des paysages magnifiques, ce qui fait la beauté de notre pays. À l'heure du développement durable, nous devons transmettre aux générations futures des paysages dans lesquels l'homme s'est inscrit. Le générique de l'émission télévisée La France défigurée mettait en avant un petit village - ma famille en est originaire - dont l'église était défigurée par un immense château d'eau. Il serait dommage qu'au XXIe siècle on ne soit pas capable d'éviter, pour les EnR, les erreurs passées dans le déploiement d'autres réseaux.
Le rapport de Laurence Garnier montre bien que notre pays a développé une forte expertise au travers des ABF. Leur rôle n'est pas remis en cause, mais la vigilance sera nécessaire sur les moyens développés pour garantir le développement des EnR et la protection de nos patrimoines. Il conviendra également de faire attention aux dérives quant au rôle plus restreint des ABF et ses conséquences depuis la mise en place de la loi Elan.
Nous soutiendrons les trois amendements de la rapporteure pour avis : l'extension de l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens terrestres situés dans un périmètre de 10 kilomètres autour d'un site patrimonial remarquable ; le déploiement des éoliennes en mer à 40 kilomètres minimum des côtes ; enfin, l'extension aux communes voisines des votes des conseils municipaux concernés. Ces mesures équilibrées visent à renforcer l'acceptabilité des projets par les élus et les populations. Ne passons pas en force, sinon les levées de boucliers seraient de plus en plus nombreuses. À forcer d'imposer, nous indisposerions !
À mon tour de féliciter notre rapporteure pour avis de son excellent travail réalisé dans un temps très contraint. Nous sommes tout à fait d'accord sur les aspects patrimoniaux : il y a des lignes à ne pas franchir, et les ABF doivent toujours être consultés. En revanche, une harmonisation des positions serait souhaitable pour l'installation de panneaux photovoltaïques intégrés au bâti neuf et à la limite des 500 mètres. Marie-Pierre Monier a raison, certains bâtis anciens ne permettront pas d'atteindre les performances énergétiques requises. La remarque de Céline Brulin sur les 40 kilomètres est pertinente pour éviter des refus systématiques. Enfin, pour ce qui est de la transmission aux générations futures, comme le disait Antoine de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants. » Pour ces raisons, nous soutiendrons les trois amendements de notre rapporteure pour avis.
Je suis ici le seul élu des Hauts-de-France, région particulièrement affectée par l'installation de l'éolien - surtout la Somme et le nord de l'Oise, où le taux de saturation est atteint. Je souscris totalement aux propos introductifs de Laurence Garnier à propos des zones rurales. J'ajoute que ce sont principalement les zones rurales « pauvres » qui sont touchées. Les éoliennes poussent là où les richesses et les entreprises font défaut. C'est le moyen pour de nombreuses municipalités d'obtenir un peu d'argent. Dans plusieurs communes de mon département, comme en Loire-Atlantique, des projets ont même été imposés contre la volonté des conseils municipaux et des populations. C'est un déni de démocratie ! Ce texte doit être l'occasion de rendre la souveraineté aux territoires. Accélérer la production d'énergies renouvelables, oui, mais pas à n'importe quel prix. Nous sommes évidemment tous attachés à la protection du patrimoine. Mais il ne faut jamais oublier l'acceptabilité par les populations concernées. Or, dans le texte initial, la population et les élus locaux n'existent pas.
De plus, on a oublié la méthanisation, qui a pourtant son importance et se développe de façon importante dans l'Oise. Les règles d'acceptabilité qui seront mises en place pour l'éolien devront aussi concerner les autres modes de production énergétique. Pour y parvenir, il faut engager un dialogue constant et rendre le pouvoir aux territoires.
« C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches », disait Victor Hugo.
Je remercie beaucoup Mme la rapporteure pour avis d'avoir porté des points importants, en particulier concernant l'archéologie préventive. Les zones choisies pour l'implantation d'éoliennes l'ont été par le passé pour des fortifications et des moulins.
J'aimerais me mettre dans la peau des élus du plateau de Millevaches, qui sont tout à fait opposés aux éoliennes : depuis deux à trois décennies, ils aménagent le paysage sans aucune aide de l'État ; ils ne supportent donc pas qu'un préfet veuille remettre en question leur travail au nom de l'intérêt collectif. Ce plateau, qui vit essentiellement du tourisme, ne doit pas être défiguré par des éoliennes. Aujourd'hui, l'opposition vient de gauche, de droite, mais aussi des zadistes de Tarnac. Ils veulent que soit entendue leur volonté de restaurer un environnement jusqu'alors préservé. Ils n'acceptent pas non plus que leurs propositions concernant d'autres énergies renouvelables, telles que la petite hydraulique, soient refusées. Les dix moulins médiévaux de la Triouzoune pourraient parfaitement fonctionner. Or la préfecture a opposé un refus absolu au projet, sans doute beaucoup plus compatible avec le respect des paysages. Cet autoritarisme est insupportable, car il met à mal la démocratie locale.
Dans certaines régions - le Puy-de-Dôme, la Corrèze, la Haute-Savoie, les Pyrénées-Atlantiques, entre autres -, les installations sont très souvent construites sur des sections de communes qui sont soumises à des règles d'usage particulières. Des conflits majeurs perdurent entre les « sectionnaux » et les communes sur l'installation des éoliennes. On est en train de saborder des institutions fondamentales pour redynamiser ces territoires. N'utilisons pas les éoliennes pour détruire un cadre tricentenaire !
Je remercie également la rapporteure pour avis et souligne que les ABF ne prennent pas en compte les nouveaux matériaux. D'après les remontées des maires ou des fédérations de collectivités, nombre de bâtiments classés pourraient être rénovés de façon plus respectueuse du développement durable. Je regrette que cette question ne puisse être traitée dans le cadre du projet de loi, faute de relever de son périmètre, mais notre commission pourrait s'y pencher à l'avenir. La rigidité des ABF ne contribue pas à l'apaisement des tensions qui se sont déjà fait jour il y a quelques années. Il est essentiel que ces derniers fassent évoluer leur doctrine pour répondre à l'urgence énergétique.
Mme la rapporteure déplorait la faible association des ABF à l'élaboration des projets d'énergies renouvelables. Mais quand bien même seraient-ils consultés en amont par les porteurs de projets, pourraient-ils répondre à ces demandes compte tenu du problème d'effectif qu'ils rencontrent ? La faiblesse des effectifs nous est signalée lors de chacune des auditions menées dans le cadre du projet de loi de finances.
Olivier Paccaud a parlé de l'installation d'éoliennes sur les territoires pauvres. J'évoquerai pour ma part l'isolation extérieure des maisons anciennes : en Alsace, des maisons à pans de bois sont actuellement recouvertes de polystyrène. Des aides financières sont attribuées pour ces travaux, mais l'ingénierie fait actuellement défaut pour accompagner les particuliers ou les collectivités.
Nous voterons les amendements de la commission, à l'exception de celui qui interdit l'implantation des éoliennes en mer à moins de 40 kilomètres des côtes. L'application pratique en Bretagne, notamment dans la baie de Saint-Brieuc et au cap Fréhel, est impossible eu égard aux enjeux économiques. Déjà à 33 kilomètres, il faut plus d'une heure trente pour poser une éolienne ! Une distance à quinze ou vingt kilomètres me paraîtrait plus raisonnable.
Je suis, comme Max Brisson, élue de la région Nouvelle-Aquitaine, qui ne compte pas une seule éolienne. Pourquoi ? Parce que les contraintes à l'implantation sont trop fortes : météo, armée, opposants, tels que les chasseurs. Je suis très impatiente que nous en implantions pour développer les énergies renouvelables. Mais interdire l'implantation à moins de 40 kilomètres, c'est impossible chez nous en raison des nombreux hauts fonds.
Les avis et les refus systématiques des ABF sont trop contraignants, notamment pour le photovoltaïque sur des toitures. Il en est de même pour l'isolation en façade, avec l'interdiction de nouveaux matériaux. Quant au rapport au paysage, nous sommes tous habitués aux châteaux d'eau et aux 100 000 kilomètres de lignes à très haute tension ! Il faut juste aller au-delà de nos perceptions visuelles et alléger la réglementation.
Je sais le travail réalisé par Laurence Garnier. J'insisterai sur l'écoute des élus locaux, qui est essentielle. Ne mettons pas sous cloche le chantage à l'intéressement pour certaines communes. L'achat du silence des riverains est désormais monnaie courante, ce qui me scandalise.
Sur les ABF, je comprends qu'il faille aller très loin dans la protection du patrimoine, mais une harmonisation des critères d'appréciation s'impose sur l'ensemble du territoire, surtout si l'on s'oriente vers un avis conforme.
Madame Monier, il faut effectivement aller vite tout en étant vigilant, y compris au cours de la navette parlementaire. Cette ligne de crête entre protection de notre patrimoine, notamment de ses paysages, et développement des énergies doit être tenue. La charge de travail des ABF est importante, puisque 180 architectes rendent chaque année 400 000 avis. Nous en sommes d'autant plus conscients qu'une charge de travail supérieure pourrait leur incomber en cas d'avis conforme.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la rénovation du bâti ancien. Ce sujet est d'une grande importance, a fortiori du fait des contraintes liées au « zéro artificialisation nette ». Il faudra travailler à la réhabilitation et à la valorisation de notre patrimoine ancien, tout en luttant contre le réchauffement climatique. Une nouvelle réglementation environnementale RE2020 impose à cet égard de prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre dès la construction des immeubles. Nous n'en mesurons pas encore les effets, mais cela ne saurait tarder. La réflexion sur ce sujet mériterait d'être approfondie.
Madame Brulin, la règle des 40 kilomètres provient de la ligne d'horizon, qui serait de l'ordre de 33 kilomètres. Vous avez raison, il convient de préserver la faune marine. Pour autant, celle-ci se reconstitue différemment et s'adapte. La distance vise à protéger des effets visuels, et uniquement sur les projets dont les appels d'offres n'ont pas encore été attribués. C'est le progrès technologique de l'éolien flottant qui nous permet aujourd'hui de poser cette exigence.
Monsieur Dossus, 85 % des Français décrivent leur cadre de vie idéal comme étant rural. Il est de notre responsabilité de préserver ces paysages et de ne pas commettre les erreurs du passé.
Monsieur Brisson, la question est celle de l'équilibre, avec cette ligne de crête et des lignes rouges à ne pas franchir.
La question des ABF vous a tous beaucoup fait réagir. Une instruction du ministère de la culture en cours d'élaboration vise à homogénéiser ces pratiques parfois déconcertantes.
Monsieur Paccaud, vous avez raison, les enjeux sont aussi financiers pour les communes, les habitants et les agriculteurs aux revenus fragiles. Il est primordial de ne pas imposer les projets contre les élus et la population. Tel est le sens de mon amendement, identique à celui de Didier Mandelli. Il concerne également la méthanisation, même si je n'en ai pas parlé explicitement.
Monsieur Ouzoulias, l'archéologie préventive est un sujet extrêmement important, les vestiges pouvant être affectés par les opérations successives de repowering des éoliennes existantes. Dans le cadre d'un repowering, les nouvelles éoliennes ne sont pas implantées à l'emplacement des anciennes. Il faut réfléchir aux conséquences à l'horizon de 100 ans du parc d'éoliennes, lesquelles ont une durée de vie de quinze ans. Dans cette réflexion, la démocratie locale est primordiale. En effet, les habitants et les élus locaux, qui aiment leur territoire, sont les mieux placés pour le défendre. Et l'éloignement nourrit la défiance...
EXAMEN DES ARTICLES
Avant l'article 1er
L'amendement CULT.1 vise à permettre aux conseils municipaux de s'opposer à la demande d'autorisation d'urbanisme qui n'aurait pas tenu compte en amont de leurs observations initiales.
L'amendement CULT.1 portant article additionnel est adopté.
Après l'article 6
L'amendement CULT.2 prévoit d'étendre l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens de grande dimension entrant dans le champ de visibilité, soit d'un monument historique, soit d'un site patrimonial remarquable, et situé dans un périmètre de 10 kilomètres autour de celui-ci.
L'amendement CULT.2 portant article additionnel est adopté.
Après l'article 12
L'amendement CULT.3 prévoit de retenir un seuil de 40 kilomètres pour l'implantation des parcs éoliens en mer. Ce seuil tient compte des progrès technologiques de l'éolien flottant et ne s'appliquera qu'aux appels d'offres lancés à compter de l'entrée en vigueur de la loi.
L'amendement CULT.3 portant article additionnel est adopté.
Les amendements que nous venons d'adopter seront présentés demain matin à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je vous propose d'autoriser Mme la rapporteure pour avis à procéder aux ajustements qui se révéleraient nécessaires lors de cette réunion et à redéposer en vue de la séance publique les amendements que la commission saisie au fond ne souhaiterait pas retenir.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 10 h 15.