Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, a été transmis lundi soir au Sénat.
La part de ce texte dans les prélèvements obligatoires et dans les dépenses publiques - 600 milliards d'euros en 2023 -, et par conséquent son impact macro-économique, justifie la saisine pour avis, comme chaque année, de la commission des finances.
La crise sanitaire a provoqué en 2020 un déficit record de la sécurité sociale de l'ordre de 40 milliards d'euros, alors qu'elle finissait à peine d'absorber les conséquences du choc de la crise financière de 2008-2009.
Les années 2021 et 2022 représentent à elles deux 42 milliards d'euros de déficit supplémentaire. C'est 13 milliards de moins qu'on ne le prévoyait il y a un an, mais cela demeure considérable.
Cette situation moins dégradée qu'attendu tient au dynamisme des recettes, lié à une forte progression de l'emploi et de la masse salariale. Les dépenses ont également davantage augmenté que prévu, mais moins vite que les recettes.
Premièrement, l'effet des surcoûts imputables à la crise sanitaire représente encore 30 milliards d'euros sur les années 2021 et 2022. C'est 9 milliards de plus qu'envisagé il y a un an, avant la reprise des contaminations dues au variant omicron.
Deuxièmement, face au changement de contexte économique, marqué par une montée de l'inflation, les prestations sociales et les rémunérations de la fonction publique hospitalière ont été revalorisées cet été. C'est une dépense supplémentaire de plus de 8 milliards d'euros par rapport à la loi de financement initiale.
Au total, le déficit, concentré sur la branche maladie ces trois dernières années, se réduit lentement. Il atteindrait environ 18 milliards d'euros en fin d'année 2022.
Je précise que les résultats des exercices 2021 et 2022 sont retracés dans la première et la deuxième partie du projet de loi. Elles ont été amendées puis supprimées par les députés, et n'ont pas été incluses dans l'engagement de responsabilité du Gouvernement. Le texte qui vient au Sénat est donc privé de ces deux premières parties et ne comporte que les parties recettes et dépenses de l'exercice 2023.
S'agissant de 2023, le projet de loi prévoit très peu de mesures nouvelles. L'évolution des recettes et des dépenses est quasi exclusivement déterminée par les hypothèses macro-économiques pour 2023 et par des paramètres inchangés par rapport à cette année.
En ce qui concerne les recettes, la seule mesure nouvelle significative concerne le relèvement d'environ 5 % des prix du tabac le 1er mars prochain. C'est une recette de 400 millions d'euros en 2023 et de 500 millions d'euros en année pleine.
L'évolution des recettes découle donc surtout de la hausse de la masse salariale que le Gouvernement établit à un peu moins de 5 %. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge cette hypothèse « plausible », mais nous savons qu'il existe un aléa sur la prévision de croissance et que des signes de ralentissement apparaissent.
L'objectif de dépenses pour 2023 se caractérise, quant à lui, par une évolution particulièrement modérée, surtout dans un contexte d'inflation. Les dépenses augmenteraient de 2 % seulement, deux fois moins vite que les recettes.
Comme l'a souligné le HCFP, ce ralentissement des dépenses repose sur une estimation optimiste de l'évolution de la situation sanitaire, puisque le Gouvernement propose d'abaisser la provision à moins de 1 milliard d'euros l'an prochain, alors que les surcoûts sont encore de 11,5 milliards en 2022.
Hors effet crise sanitaire, les dépenses progressent de 4 %, à peu près comme les recettes. De manière plus précise, ce sont les dépenses des branches vieillesse et famille qui progressent davantage que la moyenne, malgré des hypothèses de revalorisation des prestations pour l'an prochain sensiblement inférieures à l'inflation. Pour les retraites, c'est l'effet démographique de l'augmentation du nombre de pensionnés. Pour la branche famille, cela résulte de la majoration de 50 %, à compter de ce 1er novembre, de l'allocation de soutien familial attribuée à 800 000 familles monoparentales.
En outre, un transfert de charges de 2 milliards d'euros est opéré vers la branche famille par l'article 10 du projet de loi. Il correspond aux dépenses d'indemnité journalière de maternité pour la période postérieure à la naissance, soit une période de 10 semaines sur les 16 semaines du congé maternité.
Il s'agit évidemment d'alléger artificiellement les dépenses de la branche maladie, qui couvrait depuis l'origine les frais liés à la maternité, en utilisant les excédents de la branche famille.
En effet, l'une des caractéristiques de ce projet de loi est que les dépenses d'assurance maladie seraient en baisse de 3,5 milliards en 2023, le déficit de la branche passant de 20 à moins de 7 milliards.
Le Gouvernement table sur une baisse de 10,5 milliards des dépenses sur les mesures dérogatoires liées au covid. Il allège la charge de la branche maladie de 2,1 milliards d'euros : 2 milliards sont reportés sur la branche famille et 100 millions sont transférés à la branche accidents du travail. Telles sont les uniques raisons de la diminution du déficit de l'assurance maladie en 2023.
Différents facteurs contribuent à alourdir les dépenses d'assurance maladie en 2023, notamment pour les hôpitaux : les revalorisations générales ou spécifiques des rémunérations, l'inflation et l'accroissement tendanciel des dépenses de soin pour des pathologies liées au vieillissement ou associées à des traitements coûteux.
S'agissant de la maîtrise des dépenses, le Gouvernement fait principalement porter l'effort sur le médicament et les produits de santé, à travers une baisse des prix et une clause de sauvegarde plafonnant la progression du chiffre d'affaires des laboratoires pharmaceutiques, qui entraînent des économies d'un montant de 1,1 milliard d'euros. L'article 27 prévoit également la possibilité d'abaisser les tarifs des actes de biologie médicale si les partenaires ne trouvent pas d'accord avec l'assurance maladie, ce qui permettrait d'économiser au moins 250 millions d'euros, ces dépenses ayant fortement augmenté avec les dépistages du covid.
D'autres économies attendues sont peu documentées, comme celles qui concernent les actions relatives à la pertinence des actes et des prescriptions.
Par ailleurs, plusieurs dispositions du texte, dont certaines ont été ajoutées par l'Assemblée nationale, visent à renforcer la lutte contre les abus et les fraudes : une possibilité limitée de prescription des arrêts de travail par téléconsultation ; des pouvoirs de sanction renforcés pour les directeurs de caisses primaires ; une procédure de déconventionnement d'urgence étendue aux pharmacies et aux entreprises de transport sanitaire ; des pénalités majorées incluant le coût de gestion de la fraude ; et le versement de certaines prestations sur des comptes obligatoirement situés en France ou en Europe. Toutefois, il reste difficile d'évaluer le rendement de ces différentes mesures.
Au total, le déficit de 17 milliards d'euros pour 2022 serait réduit à 7 milliards en 2023, cette baisse correspondant à une diminution annoncée des surcoûts liés à la crise sanitaire. Hors crise, le déficit resterait identique à celui de 2022, sous réserve de la réalisation des hypothèses de progression de l'emploi et de la masse salariale.
Selon la trajectoire associée au projet de loi, le déficit de la sécurité sociale se creuserait de nouveau à partir de 2024, pour se situer entre 12 et 13 milliards d'euros à partir de 2026.
Ces prévisions me paraissent inquiétantes à plusieurs titres. D'abord, le déficit persiste et s'accentue alors que les hypothèses de croissance, d'emploi et de recettes sont optimistes, comme l'a démontré le rapporteur général au sujet de la loi de programmation des finances publiques.
Ensuite, les prévisions relatives aux dépenses d'assurance maladie sont elles aussi optimistes, leur augmentation annuelle s'établissant entre 2,6 à 2,7 %, ce qui demeure inférieur à la croissance majorée de l'inflation. Ce résultat supposerait une maîtrise des dépenses particulièrement efficace, mais les instruments choisis pour y parvenir ne sont pas détaillés.
Enfin, la trajectoire des dépenses de retraites, qui connaitra une nette dégradation dès 2024, est d'autant plus préoccupante que le Gouvernement indique avoir en partie pris en compte - à un niveau qu'il ne souhaite pas révéler - les effets d'une nouvelle réforme.
Le Président de la République juge désormais indispensable de relever l'âge de départ à la retraite alors qu'il en écartait l'idée en 2017. Je rappelle que le Sénat a été constant sur ce point puisque, depuis 2014, il inscrit dans chaque PLFSS des mesures allant dans ce sens. Constamment repoussée, cette réforme sera en tout état de cause engagée trop tardivement pour avoir un effet sensible sur le rythme de progression des dépenses liées aux retraites d'ici à 2027.
Le projet et les projections pluriannuelles présentés se placent donc dans une perspective de comptes sociaux dégradés durant plusieurs années. Le schéma de financement des déficits, arrêté en 2020, assure leur reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) jusqu'à l'exercice 2023 inclus, avec une échéance d'amortissement fixée en 2033. Des déficits persisteront au-delà, et ils seront sans doute supérieurs aux 11 à 12 milliards d'euros annuels figurant dans les prévisions du Gouvernement. La question de leur financement se posera donc inévitablement dès 2024.
En résumé, le PLFSS pour 2023 comporte peu de mesures visant à rééquilibrer les comptes sociaux. De plus, l'amélioration annoncée pour l'an prochain n'est due qu'à une quasi-disparition escomptée des mesures spécifiques à la gestion du covid. Enfin, les déterminants des déficits persistent et sont sans doute sous-évalués.
Ainsi, le texte ne paraît pas acceptable en l'état. Il comporte des dispositions très contestables, comme la ponction sur la branche famille quand le fléchissement de la natalité exigerait une politique familiale plus ambitieuse. La commission des affaires sociales, saisie au fond, proposera donc la suppression de cette disposition. Elle souhaite également que les organismes complémentaires contribuent à la maîtrise des dépenses d'assurance maladie.
Enfin, le rapporteur pour la branche vieillesse, René-Paul Savary, réaffirmera la position claire adoptée par le Sénat ces dernières années quant à la nécessaire modification des paramètres du départ en retraite.
C'est sous réserve de ces principales modifications proposées par la commission des affaires sociales que nous pourrions émettre un avis favorable sur le projet de loi.