Intervention de Christian Klinger

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 2 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « santé » - examen du rapport spécial

Photo de Christian KlingerChristian Klinger, rapporteur spécial de la mission « Santé » :

Chaque année, nous émettons des doutes quant à la pertinence de cette mission « Santé », qui se trouve déséquilibrée entre l'aide médicale d'État (AME) - dont la maîtrise budgétaire n'est toujours pas assurée - et un programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » peu à peu vidé de toute substance, qui se résume à des actions de santé publique hétérogènes et résiduelles. Cependant, un élément nouveau intervient cette année puisqu'un troisième programme apparaît, doté de près de 2 milliards d'euros. Ainsi, les crédits proposés pour la mission sont deux fois et demie supérieurs à ceux votés en 2022.

Le nouveau programme 379, placé sous la responsabilité du directeur de la sécurité sociale, recueille les crédits européens de la Facilité pour la relance et la résilience destinés à la France, qui soutiennent le volet investissement du Ségur de la santé.

Selon mes informations, la création de ce programme doit intervenir dès 2022 et figurera dans le projet de loi de finances rectificative (LFR) examiné ce matin en conseil des ministres.

Le volet investissement du Ségur de la santé représente un montant total de 19 milliards d'euros, dont 6 milliards proviennent de cette facilité de relance européenne, dont les versements doivent s'échelonner entre 2021 et 2026. Une première tranche de près de 800 millions d'euros a ainsi été versée à la France en 2021. L'État l'a attribuée à l'assurance maladie au moyen d'une majoration d'affectation de la TVA, inscrite dans la LFR de fin de gestion 2021.

La création d'un programme budgétaire spécifique pour recevoir les cinq autres tranches, dont 1,1 milliard d'euros dans le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR) et 1,9 milliard d'euros dans le PLF pour 2023, semble favorable pour assurer la traçabilité de ces fonds.

Ce programme sert toutefois de simple canal de transmission à l'assurance maladie et ne redonne aucune substance particulière à la mission « Santé » en termes de politique publique.

Par ailleurs, s'agissant de la nomenclature budgétaire, je rappelle que, à l'initiative du Sénat, un programme relatif à la carte vitale biométrique a été créé dans le cadre de la mission « Santé » et qu'il s'est vu doter de 20 millions d'euros par la LFR d'août 2022.

Toutefois, nous ne retrouvons pas ce programme dans le PLF 2023. J'ai appris que des actions concourant à l'utilisation de la biométrie pour la bonne identification des assurés sociaux devaient être financées par ces crédits d'ici la fin de l'année. D'autres développements pourraient intervenir, en fonction des conclusions de la mission confiée à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) sur ce sujet. Mais le Gouvernement considère que cette réforme devrait être financée par les régimes d'assurance maladie, puisqu'ils gèrent la carte vitale à travers le programme SESAM-Vitale.

J'en viens au programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». De nombreuses actions financées par ce programme ont été transférées à l'assurance maladie au fil des années. La part restante forme un ensemble hétérogène : dépenses de contentieux, prise en charge du système de santé à Wallis-et-Futuna, subventions pour l'Institut national du cancer (INCa) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui en reçoivent aussi d'autres missions.

Néanmoins, au cours des trois dernières années, l'État a rapatrié sur ce programme, pour les besoins de la gestion de la crise sanitaire, des crédits provenant de l'assurance maladie, en créant un fonds de concours alimenté par Santé publique France. Plus de 800 millions d'euros ont ainsi été consommés en 2020 et 2021. En outre, 160 millions d'euros ont encore été inscrits sur le fonds de concours en 2022. Le rapport comporte des détails sur les opérations et dispositifs ainsi financés, comme l'achat de matériel, les évacuations sanitaires, les systèmes d'information ou les numéros verts.

Ce fonds de concours doit être mis en extinction. De plus, la répartition des missions entre l'État et Santé publique France en matière de veille sanitaire et de préparation aux crises doit être clarifiée et stabilisée.

L'inscription pour 2023 d'un crédit supplémentaire de 2 millions d'euros constituant une provision pour des évacuations sanitaires, comme celles qui ont été effectuées depuis les Antilles vers l'Hexagone au second semestre 2021, constitue de ce point de vue un timide début de rebudgétisation.

De même, dans un objectif de veille sanitaire, les dotations destinées aux systèmes d'information sont renforcées pour développer une base de données provenant des résultats d'analyses biologiques, qui doit succéder au système d'information national de dépistage (SI-DEP) financé par le fonds de concours.

Globalement, le programme 204 est doté de 216 millions d'euros, ce qui représente une légère augmentation de 1,6 %. En outre, si j'ai mentionné deux mesures nouvelles, les principaux postes de dépenses connaissent une grande stabilité.

Toutefois, je relève une diminution importante de la dotation versée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), puisque celle-ci passe de 43 à 32 millions d'euros. Il s'agit de tenir compte de la sous-consommation significative des crédits pour le dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine.

À la fin du mois de septembre, j'ai présenté à la commission les résultats d'un contrôle effectué à ce sujet cette année. Un nouvel ajustement de la dotation - d'autres ayant eu lieu depuis 2019 - paraît cohérent avec les prévisions de consommation. Mais il n'a pas vocation à être pérennisé au-delà de 2023. Le Gouvernement entend revenir dès 2024 au niveau de crédits de cette année, dans l'hypothèse d'un recours plus important au dispositif d'indemnisation.

Comme les années précédentes, le programme 204 finance aussi un grand nombre d'actions extrêmement dispersées, pour des montants généralement faibles. Elles paraissent loin de disposer d'une masse critique suffisante pour prétendre produire un réel impact quant aux objectifs de santé publique poursuivis.

Le nouveau programme recueillant les crédits européens mis à part, l'AME demeure l'élément principal de la mission « Santé ». Au cours de la période 2020-2022, deux facteurs ont joué sur le recours à ce dispositif.

En premier lieu, la crise sanitaire a entraîné une baisse des entrées sur le territoire, mais aussi une diminution du nombre de sorties et des prolongations exceptionnelles de droits. Nous avons observé une moindre consommation de soins pendant le confinement. Cependant, un financement a été garanti aux hôpitaux au niveau des ressources reçues de l'AME en 2019, même en cas de moindre activité.

En second lieu, des modifications législatives et réglementaires ont été adoptées. D'une part, elles restreignent le bénéfice de l'assurance maladie pour les étrangers qui ne sont plus en situation régulière, prévoyant une réduction de 12 à 6 mois du maintien des droits après l'expiration des titres de séjour, avec un effet de report sur l'AME. D'autre part, elles imposent des conditions supplémentaires pour l'accès à l'AME : condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois et délai d'ancienneté de neuf mois pour l'accès à des soins programmés, sauf accord du contrôle médical. J'ai constaté que l'effet de ces différentes mesures n'a pas été évalué a priori, ni mesuré a posteriori.

En outre, le nombre de bénéficiaires continue d'augmenter, passant de 335 000 début 2020 à près de 400 000 fin juin 2022. Ainsi, la dépense a baissé de 5 % en 2020 en raison du confinement, mais elle a augmenté de près de 10 % en 2021.

En 2023, le Gouvernement propose une majoration de 133 millions d'euros des crédits d'AME, qui portera exclusivement sur l'AME de droit commun, c'est-à-dire hors soins d'urgence délivrés aux non-bénéficiaires. Le montant total de l'AME dépasse ainsi 1,2 milliard d'euros, dont 1,14 milliard est consacré à l'AME de droit commun, ce qui représente une hausse de 13,2 % par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2022.

Cette programmation se fonde sur une prolongation de l'évolution tendancielle du nombre d'étrangers en situation irrégulière, observée avant la crise sanitaire, et l'on peut s'en étonner à plusieurs titres. D'abord, le Gouvernement veut renforcer l'exécution des mesures d'éloignement et annonce un projet de loi pour 2023.

De plus, des mesures de contrôle et de lutte contre la fraude ont été mises en place en 2020 et 2021. Il n'est pas envisagé de les renforcer.

Enfin, la dotation de l'AME de droit commun pour 2023 dépasse de près de 200 millions d'euros la prévision d'exécution pour 2022, alors même que l'État dispose désormais d'une créance sur l'assurance maladie au titre de l'AME, qui pourrait atteindre 45 millions d'euros fin 2022.

Par ailleurs, il faut bien reconnaître que les modifications législatives et réglementaires apportées il y a deux ans n'ont pas produit d'impact significatif et paraissent insuffisantes pour maîtriser la charge budgétaire de l'AME.

Ces éléments conduisent à reposer la question, plusieurs fois abordée dans notre assemblée, de l'étendue des soins pris en charge par l'AME. À ce titre, je rappelle que dans la plupart des pays européens, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans le cadre de programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement pour les étrangers en situation irrégulière. Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue une exception par rapport aux pays voisins. Celle-ci semble difficile à justifier dans un contexte d'augmentation continue et non maîtrisée de la charge budgétaire qu'elle constitue.

En conclusion, les fortes réserves exprimées ces dernières années sur la cohérence et le pilotage de cette mission « Santé » restent valables.

La création d'un programme budgétaire pour diriger vers l'assurance maladie les fonds européens de soutien à l'investissement en santé paraît plutôt opportune.

La forte majoration des crédits d'AME semble difficilement justifiable. Je vous proposerai donc deux amendements. L'un vise à réduire ces crédits de 350 millions d'euros pour les ajuster à une évolution maîtrisée du nombre de bénéficiaires, l'autre à redéfinir le périmètre de la prise en charge par l'État des soins délivrés aux étrangers en situation irrégulière en modifiant le code de l'action sociale et des familles pour transformer l'aide médicale d'État en aide médicale de santé publique.

Je propose donc l'adoption des crédits de la mission, assortis de ces modifications.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion