Comme chaque année, le projet de loi de finances fournit une évaluation du prélèvement sur recettes du budget de l'État qui est versé au profit de l'Union européenne. Plus largement, l'examen de l'article fixant le montant de ce prélèvement est l'occasion de faire le point sur les relations financières de la France avec l'Union européenne.
Avant de vous présenter mon rapport, je voudrais insister sur les limites méthodologiques de cet exercice.
Tout d'abord, comme chaque année, le calendrier budgétaire qui s'applique concomitamment en France et à l'échelle européenne fait que le montant sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer constitue, si j'ose dire, « une évaluation de l'évaluation ». Dès lors, avant même son examen, l'article 25 du projet de loi de finances était dépassé, puisque quelques jours seulement après la parution des documents budgétaires, la Commission européenne a présenté un budget rectificatif supplémentaire pour 2022. Elle a également modifié son projet de budget pour 2023 par lettre rectificative, alors que ce projet initial était soumis au trilogue entre Commission, Conseil et Parlement européen. Une telle procédure est traditionnelle, mais la lettre rectificative revêt cette année une ampleur particulière. En effet, au printemps, le choix avait été fait de reporter à l'automne la traduction sur le budget de l'Union des conséquences de l'agression russe de l'Ukraine et de la crise énergétique qui en a résulté, source principale d'une inflation d'un niveau que nous avions oublié, à savoir 10 % dans l'ensemble de l'Union en septembre.
Au total, ce n'est que le 11 novembre, au mieux, que nous connaîtrons le montant exact du budget de l'Union européenne pour 2023. Le Gouvernement tirera les conséquences sur le montant du prélèvement sur recettes au cours de la suite de la discussion budgétaire, comme il l'avait fait l'année dernière en nouvelle lecture, mais sans doute pour un montant nettement supérieur.
Ma seconde limite méthodologique porte sur ce qui est communément appelé les « retours » dont bénéficie la France au titre des politiques européennes. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, j'avais souligné que la France restait l'un des principaux bénéficiaires en volume des dépenses de l'Union européenne, en deuxième place derrière la Pologne. Malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous présenter des chiffres plus récents, car, comme l'indique le jaune annexé au projet de loi de finances de cette année, « En l'absence de données actualisées par la Commission à temps pour la publication de ce jaune au titre de l'année 2021, [...] les données 2021 seront retracées dans le jaune annexé au projet de loi de finances 2024 ».
J'en viens maintenant au coeur de mon rapport.
Je rappelle rapidement que le montant du prélèvement sur recettes constitue l'élément essentiel de la participation de la France au budget européen, auquel il faut ajouter les droits de douane nets pour obtenir le montant total de notre contribution. La France prend toute sa place au sein d'autres mécanismes - extrabudgétaires - européens, qui dépendent d'autres missions budgétaires. Comment ne pas penser, cette année, à la Facilité européenne pour la paix (FEP), particulièrement sollicitée depuis le déclenchement de l'agression russe en Ukraine ? Les crédits qui concernent la FEP sont inscrits aux budgets dédiés à l'action extérieure de l'État et à la défense.
J'en reviens au prélèvement sur recettes proprement dit, dont la part assise sur le revenu national brut, qui constitue en quelque sorte la variable d'ajustement, représente désormais entre les deux tiers et les trois quarts du total.
L'année dernière, nous avions évoqué les perspectives budgétaires de l'Union européenne pour les années à venir, en soulignant la croissance prévisible du prélèvement sur recettes du cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 à celui des années 2021-2027. Cette augmentation a été évaluée à 7 milliards d'euros par an environ.
Néanmoins, l'exécution budgétaire 2022 montre, à ce jour, une diminution de plus de 1,4 milliard d'euros. Cette diminution est le signe d'une conjoncture plus favorable, dont les effets bénéfiques en termes de recettes sont supérieurs aux dépenses supplémentaires notamment liées à la crise ukrainienne. Au demeurant, les effets du retour d'une inflation forte ne sont pas forcément ceux que l'on attend : elle se traduit parfois par une diminution des crédits de paiement, car elle conduit au report ou à l'annulation de certains programmes.
Pour 2023, l'évaluation du montant du prélèvement laisse apparaître une légère diminution par rapport à la prévision actualisée pour 2022, soit 24,586 milliards d'euros au lieu de 24,942 milliards d'euros. Ce chiffre ne tient pas compte de la lettre rectificative du 5 octobre, qui prévoit une augmentation du budget de l'Union de 758 millions d'euros en crédits d'engagement et de 2,39 milliards d'euros en crédits de paiement.
Vous trouverez dans la note de présentation une analyse détaillée de l'évolution des restes à liquider, dont l'accroissement, année après année, souligne la difficulté persistante à engager rapidement les crédits, le retard au démarrage se répercutant sur l'ensemble du cadre financier pluriannuel. De manière générale, et cela est vrai également pour la politique de cohésion et des fonds structurels, la mobilisation des crédits alloués à la France n'est pas encore suffisamment forte. Des montants importants de crédits du CFP 2014-2020 sont encore non consommés alors qu'ils doivent l'être d'ici fin 2023.
Je voudrais profiter de l'examen du montant du prélèvement sur recettes pour faire le point sur l'instrument NextGenerationEU, dont le principal support est la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR).
Comme vous le savez, NextGenerationEU est principalement financé par les deux volets de la facilité pour la reprise et la résilience - subventions pour 390 milliards d'euros en valeur 2018 et prêts pour 360 milliards d'euros -, auxquels il convient d'ajouter des financements supplémentaires des programmes de l'Union, à hauteur de 83,1 milliards d'euros. La France, comme d'autres pays qui bénéficiaient de conditions de financement sur les marchés plus favorables que celles de l'Union, a fait le choix de ne pas recourir au volet prêts de la FRR. L'enveloppe de subventions pré-allouée à chaque État membre a été établie sur la base d'une clé d'allocation prenant en compte à la fois des critères structurels reflétant la fragilité relative des économies - taux de chômage, évolution du revenu national brut... - et des critères dynamiques reflétant l'impact conjoncturel de la crise sanitaire. Ce dernier critère sert à calculer la part variable des allocations nationales, qui représente 30 % du total.
C'est en application de ces règles que les enveloppes nationales de subventions ont été modifiées par la Commission le 30 juin dernier. La France ayant enregistré une croissance plus forte que prévu au cours de la période 2020-2021, son enveloppe a été revue à la baisse de 1,9 milliard d'euros, soit un peu plus de 4 % du total de ce dont elle devait bénéficier au titre de la FRR. Pour les mêmes raisons, la Belgique et les Pays-Bas ont vu leur enveloppe diminuer d'un montant voisin, ce qui représente respectivement une baisse de 25 % et 20 % du montant initial. À l'inverse, l'Espagne et l'Allemagne vont bénéficier d'une augmentation de 10 % de leur enveloppe, ce qui représente un surcroît de subventions égal respectivement à 7,7 et 2 milliards d'euros.
Selon les informations que j'ai pu recueillir, cette diminution ne devrait pas entraîner d'abandon d'opérations prévues dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR). Il nous faudra néanmoins rester vigilants sur ce point, car la Commission européenne n'a pas encore indiqué comment se fera cet ajustement.
Vous trouverez dans la note de présentation le calendrier prévisionnel des demandes de versement ainsi qu'un tableau présentant des exemples de cibles et jalons atteints par la France à l'appui de sa demande de premier versement. On peut dire que la France s'est pleinement approprié le processus de validation. Elle a été, peu de temps après l'Espagne, le deuxième pays à avoir présenté un PNRR et à avoir obtenu un préfinancement et une première tranche de subventions.
Pour en terminer avec la FRR, je vous rappelle que la Commission a présenté un nouveau plan, nommé RePowerEU (« redonner de la puissance à l'Union européenne »), afin d'assurer son indépendance vis-à-vis des énergies fossiles russes d'ici 2027 et, avant cela, de réduire de deux tiers les importations de gaz russe dès cette année. Pour atteindre ces objectifs, les États membres auront la possibilité de modifier leur PNRR ou d'y consacrer une part des dotations de la politique de cohésion ou des fonds de la politique agricole commune (PAC). La Commission a également proposé qu'un surcroît de subventions, à hauteur de 20 milliards d'euros, soit financé par la mise aux enchères, dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission (SEQE), des quotas actuellement détenus dans la réserve de stabilité du marché.
Cette proposition me permet d'évoquer un second point de vigilance pour les années à venir, c'est-à-dire la question toujours non résolue des nouvelles ressources propres. La Commission devait présenter, au cours du premier semestre 2021, des propositions en ce sens. Jusqu'à présent, ce dossier a simplement fait l'objet d'un rapport d'étape ainsi que d'une première délibération lors du Conseil Ecofin du 17 juin 2022. En tout état de cause, il est exclu que ces nouvelles ressources puissent être mises en oeuvre d'ici début 2023.
En outre, l'introduction de ces nouvelles ressources propres permettrait de dégager jusqu'à 17 milliards d'euros de recettes annuelles au cours de la période 2026-2028 ; mais cette recette demeurerait inférieure aux besoins de financement liés, d'une part, au remboursement du plan de relance européen, pour 15 milliards d'euros annuels, et, d'autre part, à la mise en place du Fonds social pour le Climat, pour 9,7 milliards d'euros en moyenne chaque année, sans oublier la nouvelle ambition affichée en matière énergétique à travers RePowerEU.
Au troisième trimestre 2023, la Commission européenne devrait formuler de nouvelles propositions. Celles-ci devraient inclure une nouvelle proposition d'assiette harmonisée pour l'impôt sur les sociétés (« BEFIT »), projet évoqué, sous une autre forme, dès le début des années 2000. Il s'agissait alors de parvenir à une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) au sein de l'Union.
Quoi qu'il en soit, gardons en mémoire qu'en l'absence de ressources propres solides, la France serait appelée en remboursement de la part subventions de la FRR, à hauteur d'environ 2,4 milliards d'euros par an.
Mes chers collègues, concernant le prélèvement sur recettes, en l'état actuel des données disponibles, je recommande à la commission l'adoption sans modification de l'article 25 du projet de loi de finances pour 2023. Cet article n'a pas été modifié par le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.