Je présente pour la dernière fois aujourd'hui mon rapport sur un budget dont je suis rapporteur spécial depuis longtemps. En considérant ce projet de loi de finances pour 2023, j'éprouve une petite satisfaction. En effet, depuis près d'une dizaine d'années, nous considérons qu'en matière d'enseignement scolaire nous devons nous intéresser au qualitatif plus qu'au quantitatif. Cela nous a notamment opposés à la politique menée pendant le quinquennat du président Hollande, qui jouait la quantité.
Jean-Michel Blanquer, quant à lui, a essayé de prendre en compte deux idées émises par le Sénat, la première consistant donc à ne pas sacrifier le qualitatif. La seconde, à laquelle nous pouvons tous souscrire, quelles que soient nos options politiques, et que le Sénat a soutenue de façon systématique, vise à mettre l'accent sur l'école primaire. En effet, la réussite scolaire se joue dès le premier degré, qui a toujours été un peu sacrifié rue de Grenelle tant il est vrai que, dans ce beau ministère, il vaut mieux être agrégé qu'instituteur.
Pour que ces deux visions s'imposent, les comparaisons avec les pays européens et ceux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont joué un rôle important. Ainsi, les débats franco-français sur le sujet ont fini par être tranchés depuis l'extérieur. Le travail des ministres successifs a été considérablement facilité dès lors qu'ils acceptaient de ne plus considérer la France comme le centre de tout, se mettant alors à comparer le pays aux autres en termes de coûts et de résultats. Notre école est la meilleure du monde et nous commémorons religieusement les hussards noirs de la République ! Mais les temps ont changé et le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) fixe la norme plus sûrement que Le Grand Meaulnes, pour lequel nous continuons de nourrir le plus profond respect. Finalement, ce classement Pisa nous a aidés à débattre de façon apaisée des meilleures manières de faire fonctionner notre enseignement scolaire.
J'éprouve une autre petite satisfaction, que vous devez partager en tant que membres de la commission des finances. En effet, nos rapports sur le recrutement des enseignants de mathématiques et sur les rémunérations des enseignants en Europe ont autorisé certains à considérer la revalorisation des salaires du corps enseignant non plus comme un acte d'allégeance à un syndicalisme conservateur, mais comme une mesure de bon sens, qui permettrait à nos jeunes de se retrouver face à des enseignants meilleurs et plus motivés .
Je ne suis pas un soutien fanatique du Gouvernement - je ne suis pas non plus d'ailleurs un opposant fanatique. Cependant, j'ai de la considération pour la contribution de Jean-Michel Blanquer au Grenelle de l'éducation.
Par ailleurs, le despotisme éclairé qui imprègne tant notre République a permis au président Macron, en vacances à Marseille, de découvrir que l'école française n'allait pas très bien et de prendre des dispositions. Il a ainsi lancé une opération d'innovation reposant notamment sur l'idée - notre commission l'a toujours défendue - de l'autonomie des établissements et de la responsabilité affirmée de leurs chefs. Cette idée est encore très expérimentale et on en mesure mal les contours, comme souvent lorsqu'elles font l'objet de déclarations ayant pour vocation de passionner l'opinion le temps d'un journal télévisé. Il est difficile d'identifier ensuite leur cheminement. En effet, je rappelle que l'éducation nationale compte plus d'1,2 million de personnes rémunérées et que 860 000 enseignants font face à leurs élèves, qu'ils soient du secteur public ou du secteur privé sous contrat. Ainsi, chaque idée géniale émise au sommet traverse un temps d'hystérésis avant de parvenir à la base et d'obtenir des résultats effectifs. Cependant, mieux vaut que ces orientations soient bonnes que mauvaises et ces idées d'autonomie, de responsabilité et de liberté pour les établissements créent un climat intéressant.
Revenant au budget, je ferai deux premières remarques.
D'abord, en ce qui concerne les effectifs, si l'on écarte le problème des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sur lequel je reviendrai, nous observons une sorte de stabilité puisque le schéma d'emploi connait une très légère baisse de 1 600 postes pour un effectif de 860 000.
Néanmoins, en ce qui concerne le qualitatif, je note une forte croissance des dépenses salariales puisqu'elles augmentent de 3,6 milliards d'euros, s'élevant à près de 59 milliards d'euros. Un tiers de cette hausse, soit 1,2 milliard d'euros, correspond à la revalorisation de 3,5 % du point d'indice, qui pèse sur les budgets et bénéficie à tous les fonctionnaires de l'État et des collectivités locales.
Ensuite, des mesures catégorielles de hausse des rémunérations traduisent la volonté de soutenir particulièrement la situation matérielle des enseignants. Elles correspondent à la mise en oeuvre des mesures du Grenelle, à une revalorisation « socle » des rémunérations et à une revalorisation conditionnelle. Ces mesures représentent 1,1 milliard d'euros, ce montant étant significatif. Enfin, une dernière enveloppe de 770 000 millions d'euros sera consacrée au glissement vieillesse technicité (GVT).
J'en viens à présent à des problèmes qui ont déjà été évoqués, n'ont pas été réglés et continueront, j'en suis sûr, de préoccuper mes successeurs. Il s'agit d'abord de la difficulté de recrutement. Ainsi, en 2018, 135 000 candidats se présentaient encore aux concours de la fonction publique de l'éducation nationale. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 90 000, soit 50 % de moins. Plus grave encore, les postes ont été pourvus en 2018 à hauteur de 95 % par les candidats ayant été admis, mais ils ne sont plus couverts qu'à 83 % en 2022. En outre, la durée des études supérieures ne cesse d'être allongée et il faut désormais avoir obtenu un master 2 pour se présenter à ces concours, ce qui contribue à compliquer le recrutement des enseignants. Il existe des solutions qui ne sont pas faciles à mettre en oeuvre, certains problèmes relevant de questions de société.
À ce titre, je voudrais évoquer deux sujets pour poser le débat. D'abord, il existe des différences de recrutement entre les matières. En effet, certaines formations comme les mathématiques, la chimie ou les sciences physiques, ouvrent de nombreux débouchés dans le secteur privé, plus attractif en termes de salaires, poussant ainsi les étudiants à se détourner de la fonction publique. Certes, ce problème touche moins les étudiants de latin et grec...
Ensuite, le coût et l'agrément de la vie ne sont pas les mêmes partout en France et, si l'Île-de-France peut faire figure de meilleur territoire pour conduire une brillante carrière, il reste l'un des plus chers et l'un des plus difficiles pour tous les métiers du service public.
Le recrutement régional et le recrutement par matières posent donc la question de la différenciation des revenus. Certains pays européens l'acceptent par matières et d'autres, comme l'Allemagne, le pratiquent par territoires. De notre côté, nous appliquons l'unité et cela aboutit parfois à des situations assez cocasses. Ainsi, quand seuls les enseignants les mieux payés peuvent se permettre d'accepter des postes dans des régions comme l'Île-de-France, c'est là que l'on trouve le plus de jeunes, ces postes étant les plus difficiles et les moins choisis par les enseignants expérimentés.
Par ailleurs, si l'on compare les salaires de nos enseignants à ceux des autres pays européens, seuls les professeurs français du secondaire, quand ils sont en deuxième, voire en troisième partie de carrière - en classe exceptionnelle - reçoivent des salaires comparables aux moyennes européennes. Les autres sont en dessous, voire nettement en dessous quand il s'agit des enseignants du primaire. Ainsi, en 1990, un professeur des écoles débutant touchait 1,8 fois le SMIC, contre 1,5 fois aujourd'hui. En fin de carrière, un agrégé de classe exceptionnelle touchait alors 4,6 fois le SMIC, contre 3,3 fois aujourd'hui. Quand la mécanique vous rapproche du salaire minimum, il devient difficile de se sentir motivé et heureux ; c'est une affaire de statut.
Pour faire face à ces difficultés, nous avons recours aux primes et nous sommes le pays d'Europe qui en compte le plus, quatorze étant identifiées. Elles représentent entre 9 % et 15 % du salaire, ce qui est très inférieur à ce qu'elles peuvent représenter au ministère de l'intérieur par exemple. Les enseignants, cadres A du ministère de l'éducation nationale, ont donc des revenus comparables à des cadres B du ministère de l'intérieur. Là encore, ces différences n'incitent pas vraiment à se présenter aux différents concours.
Par ailleurs, les heures supplémentaires offrent aussi une solution. Elles ont un impact significatif, mais profitent plutôt à ceux qui sont déjà les mieux payés. Ainsi, un enseignant en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) touche en moyenne trois heures et demie supplémentaires, alors que dans les collèges la moyenne est d'une heure et quart pour chaque enseignant. La formule des heures supplémentaires est bonne puisqu'elle permet d'apporter un peu de souplesse. En effet, elles permettent d'avaler des bosses et des difficultés liées à l'évolution démographique et à la résistance opiniâtre que mènent les élus locaux comme nous, puisque nous faisons tout pour maintenir nos collèges ouverts quels que soient les effectifs. Ce faisant, nous ne tenons pas compte d'une réalité : les jeunes ne sont plus forcément présents là où nous sommes élus. Ainsi, le Sud-Ouest, l'Occitanie ou la Bretagne ont des besoins grandissants, mais ce n'est pas le cas du Grand Est, que je représente, où la population évolue de façon négative. Comme nous n'augmentons pas le nombre global des enseignants, pour des raisons légitimes, il faut trouver des solutions partielles et les heures supplémentaires en apportent une. Il faudrait néanmoins élargir la marge de manoeuvre en la matière.
J'en viens aux effets bénéfiques du Grenelle. L'équipement en matériel informatique a été bien accueilli, la prime d'attractivité a eu le mérite de viser les jeunes enseignants débutants, en particulier dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP), et la prime de soutien aux chefs d'établissements était bienvenue.
En ce qui concerne les orientations affichées par le Président de la République cet été, une formule assez spectaculaire a été retenue : pas moins de 2 000 euros net par mois pour tous les enseignants. Il s'agit d'une belle opération de communication, mais l'augmentation de 10 % va coûter 1,9 milliard d'euros en année pleine. En outre, j'aimerais connaitre la répartition du socle dans le détail, pour savoir si l'on s'attaque enfin au retard que connaissent les enseignants en début de carrière en termes de salaires, ce retard représentant la faiblesse principale de notre système de rémunération.
Par ailleurs, le « pacte » représenterait jusqu'à 10 % des revenus supplémentaires de l'enseignant, en contrepartie d'engagements pour les enseignants volontaires. Cette enveloppe s'élèverait à 900 millions d'euros en année pleine, en fonction du nombre d'enseignants qui y participeraient.
On ne connait ni la répartition du socle ni les contreparties du pacte et, si je suis plutôt favorable à ces deux mesures, j'aimerais que le ministre s'explique.
En ce qui concerne la question des salaires, je rappelle que l'Allemagne paye ses enseignants en moyenne 50 % de plus que la France. Cependant, elle leur demande 35 heures de présence effective dans les établissements. Avec des durées de cours comparables à celles de notre pays, il s'agit donc pour eux d'assurer des missions d'encadrement des élèves afin d'atteindre ces 35 heures hebdomadaires, sachant que le nombre de semaines travaillées par an est à peu près similaire au nôtre.
Je tiens aussi à évoquer la préprofessionnalisation. Je regrettais plus tôt dans mon propos que l'on mette cinq ans pour accéder aux concours de l'éducation nationale. Cette mesure permet à des étudiants stagiaires d'être déjà présents dans l'enseignement ; elle me semble bonne et commence à être significative.
J'en arrive au problème des AESH, qui tient en particulier à l'absence de lien entre la décision prise par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et l'éducation nationale - élèves, enseignants et établissements. Or nous faisons face à une inflation spectaculaire, puisque le nombre de bénéficiaires a pratiquement doublé en dix ans, pour atteindre 400 000 élèves aujourd'hui. Parmi les 333 000 employés de l'éducation nationale qui ne sont pas enseignants, on compte 123 000 AESH, qui ne travaillent pas à temps plein. Leur statut a été amélioré, mais un problème de cohérence demeure entre la politique des MDPH et les capacités de l'éducation nationale à accueillir et à gérer financièrement ce dispositif. L'école inclusive représente un budget de 4 milliards d'euros pour environ 400 000 élèves, qui méritent d'être soutenus, mais qui devraient l'être dans le cadre d'une meilleure coopération entre ceux qui prescrivent et ceux qui organisent.
Sur un tout autre sujet, je prends note d'un motif de fierté. En effet, l'éducation nationale a accueilli 20 000 élèves ukrainiens, essentiellement en Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Midi. Cet accueil a entrainé un recrutement de contractuels ukrainiens - ils sont à mes yeux essentiels -, afin que ces élèves conservent un lien avec leur monde culturel d'origine, puisqu'ils ont vocation à revenir en Ukraine, selon le souhait exprimé par les familles.
Enfin, nous l'avons évoqué tout à l'heure avec Gabriel Attal, nous observons un début d'évolution quant à la réforme des lycées professionnels. Je signale qu'une concurrence assez sévère ne devrait pas manquer de s'établir entre le statut de l'apprenti, qui est un salarié, et celui du stagiaire, qui travaille en alternance et reçoit des gratifications qui ne sont pas nécessairement compétitives. J'ignore quelle est la stratégie à suivre, mais nous avons la chance d'accueillir le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, qui pourra donner son avis.
Après avoir bien réfléchi, je vous propose d'adopter ces crédits. Cependant, il faudra poser en séance publique des questions auxquelles le ministre doit répondre. D'abord, il faudra poser une première question visant à obtenir des explications sur deux sujets : la répartition du socle et les contreparties du pacte, notamment pour savoir si, comme l'a évoqué le président Macron, on s'apprête à proposer aux chefs d'établissements des enseignants plus disponibles pour des tâches différentes.
La seconde question que je voudrais poser au ministre concerne l'élitisme républicain. J'en suis issu, j'ai passé les concours administratifs : sans ces lycées ou établissements sous contrat, mon parcours aurait sans doute été différent. Je souhaite que le ministre conserve ces établissements qui tirent notre système vers le haut. Il ne faut pas les supprimer au prétexte qu'ils concentreraient les meilleurs élèves. Ce n'est pas ainsi qu'on aidera les autres. Lorsque je dirigeais la région Lorraine, j'ai ouvert, en lien avec le directeur de Science Po-Paris, les premières filières en province d'accès direct à Science Po dans les lycées professionnels. Cela a fonctionné. Mais lorsque l'on a la chance de disposer de professeurs de classes préparatoires de grand talent, d'élèves motivés et de familles prêtes à les soutenir, il ne faut pas se priver d'un tel système. Ce n'est pas en sacrifiant la rive gauche que l'on aidera la Seine-Saint-Denis ! Je serai donc attentif aux propos de notre ministre. Mon expérience me montre que le diable se cache dans les détails, mais on ne le découvre souvent que lorsque l'on n'est plus ministre...