Le premier PLFSS de la législature nous a été transmis avant-hier soir seulement.
Comme vous le savez, la première lecture à l'Assemblée nationale a donné lieu à deux reprises à la mise en oeuvre de la procédure prévue au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution : tout d'abord, pour faire adopter la troisième partie du PLFSS, relative aux recettes de l'année à venir et aux conditions générales de l'équilibre financier, avant même le début de son examen ; et ensuite au cours de l'examen de la quatrième partie, afin de faire adopter les dépenses de l'année à venir ainsi que l'ensemble du texte.
En revanche, la première partie, relative aux comptes de l'exercice clos et la deuxième partie, qui rectifie les prévisions pour l'année en cours, n'ont pas donné lieu à cette procédure et ont toutes deux été rejetées par l'Assemblée nationale. Nous allons donc examiner un texte tronqué et riche d'incertitudes.
Une fois n'est pas coutume, cette incertitude débute dès l'examen des comptes de l'exercice clos, c'est-à-dire 2021.
En effet, le Gouvernement présente des comptes en très net redressement après le déficit historique enregistré en 2020, au plus fort de la crise de covid-19 et alors que les recettes de la sécurité sociale subissaient notamment les conséquences de l'activité partielle. Cependant, la Cour des comptes conteste vivement le mode de calcul retenu par le Gouvernement pour les cotisations sociales dues par les travailleurs indépendants. Elle considère que 5 milliards d'euros de recettes enregistrées en 2021 auraient dû l'être en 2020, ce qui modifie dans les mêmes proportions les résultats de ces deux années. Pour ce motif, elle a refusé de certifier les comptes 2021 de la branche recouvrement, considérant qu'ils ne donnent « pas une image fidèle du déficit du régime général en 2021 et de son évolution entre 2020 et 2021 ».
Certes, au bout du compte, la « photographie » de la situation financière de la sécurité sociale est la même. Néanmoins, le « film » de ces deux années n'est pas du tout identique. Selon la Cour, le redressement de 2021 ne s'élève qu'à 5,5 milliards d'euros, au lieu de 15,5 milliards. Et le déficit de 2021 tutoierait encore celui de 2010, qui était le plus élevé de l'histoire avant l'arrivée de la covid-19.
Considérant qu'il est de bon aloi d'adopter des comptes exacts, c'est-à-dire ceux dont le certificateur affirme qu'ils sont exacts et donnent une image fidèle des comptes, je vous proposerai de rétablir l'article 1er dans la rédaction préconisée par la Cour.
Pour ce qui concerne l'année en cours, en revanche, je vous proposerai de rétablir les articles 3 et 4 dans leur version d'origine.
L'exercice 2022 appelle cependant quelques commentaires.
On constate une nouvelle baisse du déficit de la sécurité sociale par rapport à 2021 et même par rapport à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022 : la prévision rectifiée pour le déficit des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'élève à 17,9 milliards d'euros, soit 3,5 milliards de mieux que ce que nous avions voté l'année dernière. Mais cela résulte de deux mouvements très forts et d'effets opposés.
D'une part, on constate une augmentation de 19 milliards d'euros des dépenses par rapport aux objectifs votés : 9,1 milliards pour ce qui relève de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et 9,9 milliards d'euros pour les autres postes de dépenses, en particulier sous l'effet des augmentations anticipées au 1er juillet de 4 % de nombreuses prestations - dont les retraites - et de l'augmentation du traitement indiciaire à hauteur de 3,5 %.
D'autre part, on note une augmentation encore plus forte des recettes, à hauteur de 22,5 milliards d'euros par rapport à la prévision de l'année dernière, tirée par la croissance du PIB (2,7 %) et surtout une exceptionnelle croissance de la masse salariale (+ 8,6 %, après + 8,9 % en 2021).
Même si la variation du solde est positive et si elle reste relativement mesurée, l'ampleur de la variation des recettes et surtout des dépenses aurait, une nouvelle fois, justifié une consultation du Parlement en cours d'année. Le dépôt d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale doit servir à faire ratifier en temps utile de tels écarts et d'éventuelles mesures correctrices par le Parlement, et non à permettre une utilisation supplémentaire de l'article 49-3 en cours d'année.
En fin de troisième partie, le tableau d'équilibre de 2023 devrait, selon le Gouvernement, poursuivre la trajectoire de redressement débutée après le creux historique de 2020.
Malgré un niveau de dépenses inédit, qui devrait atteindre pour la première fois 600 milliards d'euros, les Robss et le FSV verraient leur déficit se réduire à un niveau plus soutenable que ces dernières années, à hauteur de 6,8 milliards d'euros. Néanmoins, cette bonne nouvelle, que j'espère voir se concrétiser, n'est pas à accueillir sans réserve.
Tout d'abord, elle repose sur des hypothèses que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) qualifie d'optimistes. D'une part, pour ce qui concerne les recettes, le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1 % et une nouvelle progression de la masse salariale de 5 %. D'autre part, pour ce qui concerne les dépenses, le Gouvernement prévoit une quasi-disparition des dépenses liées à l'épidémie de covid-19 - la provision correspondante ne s'élevant qu'à 1 milliard d'euros -, ce qui devra, là aussi, être vérifié, mais Corinne Imbert devrait évoquer ce sujet avec plus de précision.
À l'inverse, ce redressement espéré ne s'appuie sur aucune mesure figurant dans ce PLFSS.
Même s'il semble comporter beaucoup de données, le tableau figurant dans l'annexe 3 traduit en fait un message très simple. Le solde tendanciel de la sécurité sociale, du simple fait des prévisions économiques et sans aucune action des pouvoirs publics, devrait être un déficit de 7,2 milliards d'euros en 2023. En additionnant toutes les mesures, peu nombreuses, ayant un impact un peu significatif, ce solde passerait à 6,8 milliards d'euros, avec une dégradation de 500 millions d'euros due à des dépenses supplémentaires ; une amélioration de 500 millions d'euros due à des recettes supplémentaires, portée presque exclusivement par la hausse de la fiscalité du tabac, et une amélioration de 400 millions d'euros des transferts entre l'État et la sécurité sociale, portée par la prolongation de la compensation de l'exonération de cotisations en faveur des travailleurs saisonniers, au travers du dispositif des travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE). Cela dit, tout en intégrant le transfert de l'État au titre de ce dispositif, le tableau n'intègre curieusement pas la perte de recettes due à cette même prolongation du dispositif, c'est-à-dire 400 millions d'euros.
En fait, le solde des mesures est donc nul. D'ailleurs, le tableau d'équilibre qui figure dans le texte transmis par l'Assemblée nationale fait désormais apparaître un déficit de 7,2 milliards d'euros, c'est-à-dire exactement le solde tendanciel figurant en haut à droite du tableau.
En outre, au-delà de 2023, considérant l'annexe B, quadriennale, de ce PLFSS, on peut observer que le déficit relativement modeste espéré pour 2023 ne devrait pas conduire à franchir une étape sur le chemin du retour à l'équilibre, mais il constitue plutôt une embellie, avant un nouveau creusement des déficits.
Selon les prévisions du Gouvernement lui-même, la situation des comptes de la sécurité sociale devrait se dégrader dès 2024 pour retrouver des niveaux inquiétants, aux environs de 12 milliards d'euros de déficit par an, en 2025 et 2026.
Or, comme nous l'avons vu la semaine dernière, ce scénario repose sur des hypothèses de croissance optimistes et des perspectives de maîtrise des dépenses, notamment sur l'Ondam, dont nous ne savons rien. Ainsi l'annexe B, qui a aussi pour vocation de donner une visibilité et une stratégie pour l'avenir, ne fournit aucun détail sur les moyens que le Gouvernement envisage de se donner pour maîtriser les comptes. Par exemple, il est tout juste précisé que le solde de la branche vieillesse « bénéficierait de l'objectif d'élévation progressive de l'âge effectif de départ sur le quinquennat ».
Selon le HCFP, « l'hypothèse (...) de croissance potentielle (1,35 % par an de 2022 à 2027) [est] optimiste notamment parce qu'elle suppose des effets importants et immédiats de réformes (du revenu de solidarité active, des retraites, de l'assurance-chômage, de l'apprentissage...) dont ni les modalités, ni les impacts, ni le calendrier ne sont documentés ». Le HCFP en déduit que « ces hypothèses rendent particulièrement fragile la trajectoire de finances publiques présentée par le Gouvernement sur la période 2023-2027 ».
En somme, cette trajectoire qui devrait se dégrader dès 2024 est une version optimiste de l'avenir des comptes sociaux.
Je conclurai en vous présentant ce désormais traditionnel schéma de suivi de la dette sociale, qui fait apparaître la limite des autorisations de transferts à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) que le Parlement a accordé en 2020 pour les déficits 2020-2023,soit 92 milliards d'euros sur les 136 milliards accordés.
Une bonne nouvelle : du fait de la conjoncture et si les hypothèses du Gouvernement se vérifient, cette enveloppe pourrait être tenue fin 2023. Une nouvelle moins bonne : comme nous l'avons vu, les déficits devraient continuer de s'accumuler et même se creuser à partir de 2024. Dès lors, il faudra sans doute sérieusement envisager de nouveaux transferts - ou de nouvelles mesures - au cours de cette législature, ce qui pourrait ne pas être simple.
En conclusion, au travers des amendements que nous proposerons avec les rapporteurs de branche, nous souhaitons que notre commission adopte une approche responsable en rétablissant les parties de LFSS qui doivent exister, quitte à les corriger, comme en première partie ; en marquant notre refus de l'annexe B à la sincérité douteuse et à la dimension stratégique absente ; en posant nous-mêmes des jalons pour mettre en place de véritables mesures d'équilibre, en particulier sur les retraites ; et en renforçant le contrôle du Parlement, notamment dans le cas où les hypothèses optimistes du Gouvernement ne se vérifieraient pas et en cas de dépassement de l'Ondam et des dépenses d'urgence, ce que détaillera notre rapporteure pour la branche maladie.
Notre objectif à tous est évidemment la sauvegarde à long terme de ce bien commun qu'est notre sécurité sociale.