Intervention de Jérémy Bacchi

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits relatifs au cinéma - examen du rapport pour avis

Photo de Jérémy BacchiJérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits relatifs au cinéma :

Dans les quinze premiers jours d'octobre, la presse a recouru à des titres alarmistes qui ne vous ont pas échappé. Quelques exemples : « Crise de la fréquentation des salles : à qui la faute ? », « Panique à bord du cinéma français », « Le cri d'alarme d'un cinéma en crise »... En un mot, on pourrait à juste titre s'exclamer : « Mais qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ??? »

Je voudrais, dans le cadre de cette présentation, nuancer par un peu d'optimisme cette atmosphère bien sombre : non, le cinéma n'est pas mort, non, il n'est pas prêt de mourir, oui, les défis sont nombreux, oui, nous sommes armés pour les affronter !

Je vais commencer par le principal opérateur qu'est le CNC.

Le Centre sort de deux années « hors normes » où, un peu à l'image de son petit frère le CNM, il a été en tête de la bataille pour préserver puis redresser le secteur.

Comme je vous l'indiquais l'année dernière, le cinéma a bénéficié d'un soutien de 430 millions d'euros. Ils auront été intégralement dépensés à la fin de l'année.

Le Centre va donc revenir à un étiage plus normal en 2023, avec un budget en léger déficit et des dépenses de soutien autour de 700 millions d'euros.

Si l'on s'inscrit dans le temps long, il est remarquable de constater que tant au niveau des ressources que des dépenses, le CNC affiche une grande stabilité sur trois points :

- le niveau des ressources, qui ont su évoluer et s'adapter à la montée en puissance des plateformes ;

- le niveau des soutiens, qui demeurent également constants sur 10 ans, jouant en quelque sorte le rôle « d'amortisseurs » ;

- enfin, et contrairement aux craintes exprimées, sur la répartition de ces soutiens entre cinéma et audiovisuel.

Le maintien de cette répartition sur longue période est d'autant plus remarquable que l'audiovisuel vit ce qu'il est convenu d'appeler un « âge d'or », avec l'explosion de la demande pour les séries, genre désormais dominant. Le cinéma n'en a pas pâti en termes de soutien. A vrai dire, le principal sujet de la filière aujourd'hui est lié aux capacités de notre appareil créatif à répondre à l'ensemble des demandes, ce qui n'est pas évident tant les besoins sont criants pour les personnels techniques, les scénaristes, les comédiens... Le plan France 2030, doté de 350 millions d'euros pour l'image, cherche précisément à réduire ces goulets d'étranglement.

La combinaison de ce haut niveau de soutien sur longue période et des aides exceptionnelles durant la crise pandémique a permis au cinéma français de rattraper en 2021 toutes les productions de l'année 2020. 340 films, soit 6 par semaine, ont été produits en 2021, en hausse de 30 % par rapport à 2109, pourtant déjà une excellente année, ce qui constitue un record, voire une surchauffe.

Les perspectives pour les prochaines années sont bien entendu complexes, mais le CNC parie sur un tassement de la production, moins en termes de nombre de films produits que de montants investis.

C'est là un signe qui pourrait s'avérer à terme préoccupant s'il marquait autre chose qu'une pause conjoncturelle.

Le cinéma sort donc d'une période de forte crise transformé, en premier lieu par l'évolution de son environnement.

Je vais vous dire un mot de ce contexte, avec le dossier « éternel » de la chronologie des médias. Catherine Morin-Desailly l'avait d'ailleurs traité de manière très approfondie dans un rapport paru en 2017, qui demeure toujours d'actualité.

Pour résumer de manière simple un sujet qui ne l'est pas, le principe de la chronologie est celui de l'ouverture successive de « fenêtres » d'exclusivité : d'abord la salle, puis la vente en vidéo « physique » ou à la demande à l'acte, puis les chaînes de cinéma payantes comme Canal Plus, puis les plateformes, puis les chaînes gratuites.

Elle poursuit deux objectifs :

- d'une part, protéger la salle de cinéma, en lui réservant pendant une certaine durée l'exclusivité de l'oeuvre ;

- d'autre part, assurer le préfinancement des oeuvres cinématographiques en France. Ainsi, la position de chaque diffuseur est garantie, et est d'autant plus favorable qu'il aura contribué au financement du film.

Ce système, unique au monde, a été progressivement introduit en droit français à partir des années 70. Depuis 2009, la chronologie est négociée directement entre les parties prenantes et étendue par arrêté du ministre de la culture.

Pour la dernière négociation, on a assisté à une singularité : les pouvoirs publics ont fait le choix d'y mêler l'entrée en vigueur de la directive européenne « SMA » du 14 novembre 2018, qui permet d'imposer aux plateformes américaines telles que Netflix ou Disney + des obligations de financement d'oeuvres françaises et européennes.

La chronologie qui porte la marque de ces deux dossiers a été signée le 24 janvier 2022, étendue le 4 février et est prévue pour durer trois ans.

Dans l'ensemble, les débats ont été longs, passionnés, chacun veillant à maintenir sa position mais gardant un oeil sur celle des autres. La nouvelle chronologie a considérablement raccourci le délai pour que les oeuvres financées par les plateformes puissent être disponibles après leur exploitation en salles à 15 mois contre 36 auparavant. La place du groupe Canal Plus, premier financeur du cinéma français, a été confortée.

Pourtant, dès le 4 octobre, le CNC a convoqué une réunion pour effectuer un premier bilan, alors qu'il n'était prévu qu'en janvier.

Le principal problème posé est celui de Disney et de ses relations avec les chaînes gratuites.

Pour résumer là encore, Disney n'est pas un opérateur comme les autres. La société américaine réalise un quart des entrées en France, et a toujours placé la salle au coeur de sa stratégie. Ce n'est bien entendu pas le cas de Netflix ou Amazon Prime qui entretiennent des liens plus distendus avec le cinéma.

Disney estime que l'accord lui est défavorable sur un point. En effet, une fois le film Disney, qui par hypothèse n'aura pas reçu de financement en France, exploité en salle, il lui faut attendre 17 mois pour le rendre disponible sur sa plateforme Disney Plus. Au bout de 22 mois, Disney doit cependant retirer le film de Disney Plus afin de préserver l'exploitation des chaînes gratuites comme TF1, sauf en cas d'accord spécifique.

Ce sujet est bloquant pour Disney, qui a pour cette raison renoncé à sortir en salle son film de Noël, mais également pour les chaînes gratuites, dont les présidents se sont exprimés publiquement dans la presse.

Fondamentalement, comme vous le voyez, il s'agit d'un sujet en apparence technique, mais qui en dit long sur la complexité d'adapter notre propre système aux nouvelles conditions de production et d'exploitation. Je compte bien suivre ce sujet de près pour la commission en 2023.

2023, justement, sera-t-elle une année funeste pour le cinéma ?

Comme je vous l'indiquais en introduction, la presse et plusieurs professionnels ont soufflé un vent de pessimisme en octobre, à tel point que je m'attendais en recevant les exploitants de salles à assister à un remake de « Titanic » plus que de « La Gloire de mon père » ! La réalité est cependant bien plus nuancée, et probablement plus optimiste, comme l'ont remarqué Monique de Marco et Sylvie Robert qui ont assisté à cette audition avec moi.

Tout d'abord, quelques faits. Le cinéma a attiré en 2020 et 2021 50 millions de spectateurs de moins que sur la seule année 2019. Selon les chiffres les plus récents, l'année 2022, avec 155 millions de spectateurs, serait 30 % en dessous de 2019. C'est donc un signal que nous ne pouvons ignorer : les spectateurs ne sont pas complètement revenus en salles.

Pourtant, là encore en prenant un peu de distance, on se rend compte que le cinéma a dans le passé enregistré des résultats bien pires, sans pour autant en mourir. Ainsi, la moyenne de fréquentation dans les années 80 était de 135 millions de spectateurs par an, elle est montée à 185 dans les années 2000, et à près de 210 millions dans les années 2010.

Tout en étant incontestablement médiocre, 2022 est cependant bien meilleure que la décennie 80. Les prévisions pour les prochaines années font état d'un retour autour de 195 millions, qui traduirait donc un effritement relatif, mais un haut niveau tout de même. Sans les endosser, je veux ici citer les propos de l'ancien président de Disney, Bob Isner en septembre 2022 lors d'une intervention à la Conférence Code 2022 de Vox Media : « Je ne pense pas que les films reviennent un jour, en termes de fréquentation, au niveau qu'ils avaient avant la pandémie. [...] Cela ne signifie pas que la fréquentation des salles de cinéma va disparaître, mais elle ne reviendra pas au niveau d'avant. »

Ensuite, force est de constater que les fondamentaux du cinéma demeurent solides. Le CNC a réalisé une étude sur les raisons pour lesquelles le public ne retrouvait pas complètement le chemin des salles.

En dehors des sujets liés à la pandémie, deux éléments ont attiré mon attention :

- d'une part, le prix des places, qui est souvent cité. S'il est très élevé, parfois au-delà de 20 euros, dans certaines salles parisiennes, il s'établit en réalité en moyenne à 7 euros, parmi les plus faibles d'Europe. En réalité, il y a une fausse perception du prix, qui vient de l'écart entre ce qui est affiché et ce qui est acquitté après usage des places des comités d'entreprise, des réductions diverses et des cartes d'abonnement. Ainsi, seules 15 % des places sont vendues plus de 10 euros ;

- d'autre part, le manque d'attractivité des films est également mentionné, instruisant le procès facile d'un cinéma français qui n'intéresserait pas le public. Si l'on oublie le côté caricatural de la remarque, elle met cependant l'accent sur un point essentiel : le cinéma français, qui représente en moyenne 35 % des entrées - un cas presque unique au monde -, a besoin du cinéma américain, qui attire le public dans les salles, créant un cercle vertueux. Or, l'année 2022 a été très peu fournie en films américains : alors que la proportion est traditionnellement d'un film américain pour 2,5 films français, le rapport est 1 à 6 en 2022. En un mot, il y a eu moins de films d'outre-Atlantique, où les tournages ont été totalement interrompus en 2020 et 2021 et où de nombreux studios ont choisi de décaler les sorties. Pour autant, le très grand succès de Top Gun « Maverick » (près de 7 millions d'entrée) côtoie les 500 000 entrées « surprise » de « La Nuit du douze » de Dominik Moll ou les 1,5 million de « Novembre » de Cédric Jimenez. Dès lors, et quelle que soit la catégorie, le public revient dans les salles quand l'offre lui convient. On peut donc penser - tel est en tout cas l'avis des exploitants - que les sorties prévues en 2023, apparemment de très haute qualité pour les films français comme américains, pourraient bien permettre au cinéma de retrouver des couleurs.

Je livre d'ailleurs à votre appréciation ce petit fait : le dernier baromètre SVod Mediametrie/Harris interactive montre que les 15-24 ans se détournent déjà massivement des plateformes, au profit des vidéos courtes en ligne popularisées par TikTok, ou bien de YouTube. Cette tendance s'observe dans tous les pays européens comme aux Etats-Unis. Cette catégorie de population est également celle qui comparativement est la plus revenue vers le cinéma après la pandémie. Je crois donc profondément, et ce sera mon mot de conclusion, au caractère unique de l'expérience de la salle, qui a résisté aussi bien à la télévision dans les années 80 qu'aux plateformes. Je crois donc qu'avec notre soutien, le 7ème art pourra traverser cette période et même en sortir renforcé !

Sous le bénéfice de ces observations, je propose de donner un avis favorable à l'adoption de crédits du cinéma pour 2023.

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