Intervention de Julien Bargeton

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits relatifs aux livre et industries culturelles - examen du rapport pour avis

Photo de Julien BargetonJulien Bargeton, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux livre et industries culturelles :

Comme nous le pressentions l'année dernière, les industries culturelles ont fait montre d'une très belle résistance durant la crise, soutenue il est vrai massivement par les pouvoirs publics. Fort logiquement, avec le retour à une vie plus normale, elles ont progressé en 2022 de près de 10 % en chiffre d'affaires, pour s'établir à 18,2 milliards d'euros. La tendance pour le futur demeure très prometteuse.

Je vais vous présenter successivement les quatre grandes familles de ce programme : le livre et la lecture, la Bibliothèque nationale de France, la musique et les jeux vidéo.

Premier point, le secteur du livre et de la lecture.

La crise pandémique a été, vous vous en rappelez, l'occasion de marquer l'attachement des français au livre et aux libraires qui les font vivre. L'année 2021 s'était logiquement avérée spectaculaire, l'année 2022 devrait enregistrer un léger tassement des ventes de l'ordre de 5 %. Ce qu'il faut retenir cependant, c'est que 2022 devrait être bien meilleur que 2019, avec une progression des ventes de l'ordre de 15 %. Il n'est donc pas interdit de dire que la crise a renforcé le secteur. A ce propos, je note avec une grande satisfaction le succès du Pass Culture dans le domaine du livre. Il a permis aux libraires d'augmenter leur chiffre d'affaire de près de 100 millions d'euros, et pas uniquement pour acquérir des mangas, même si ce genre reste dominant avec 51 % des ventes - en baisse cependant de 24 points en 2021, signe peut-être que les lecteurs élargissent leur horizon... Par ailleurs, 60 % des jeunes achetant un manga avec le Pass repartent avec un autre livre.

En dépit de ce constat très positif, tout n'est pourtant pas rose dans le monde des livres.

D'une part, au niveau conjoncturel, j'ai interrogé la ministre sur l'impact de la hausse des prix du papier, dont notre collège collègue Michel Laugier a relevé l'acuité pour la presse la semaine dernière. La ministre a indiqué s'être saisie de la question avec le CNL, j'espère donc que nous pourrons disposer d'éléments prochainement.

L'inflation ne se limite cependant pas au papier, elle implique aussi des hausses de rémunération. Or je rappelle que les libraires ne dégagent que de très faibles marges, de l'ordre de 2 %, qui peuvent être littéralement « dévorées » par la hausse des salaires.

Comme vous le voyez donc, la conjoncture pourrait rapidement dégrader la situation.

D'autre part, un dossier plus structurel pose problème, celui des relations entre les auteurs et les éditeurs.

Nous le savons, il s'agit d'une relation complexe, souvent passionnelle, en tout cas qui porte en elle de fortes oppositions.

C'est également un dossier à rebondissements.

Pour tracer un portrait à grands traits, des négociations se tiennent de manière continue depuis 2013, pour régler des questions en apparence techniques, comme par exemple la périodicité et la nature des informations que doit apporter l'éditeur à l'auteur. Le Sénat a pris ses responsabilités, avec la proposition de loi de Laure Darcos sur l'économie du livre qui a gravé dans le marbre de la loi les dispositions de l'accord signé entre les organisations représentatives du 29 juin 2017.

Pourtant, les relations se sont dernièrement tendues, autour d'un sujet si j'ose dire crucial, celui de la rémunération, à tel point qu'il est devenu « bloquant » dans les relations entre les partis. Les auteurs souhaitent obtenir des conditions plus favorables, dans la lignée des propositions du rapport de Bruno racine en 2020, les éditeurs ne souhaitent pas ouvrir ce chantier qui leur parait mettre en péril l'exercice même de leur métier. Très récemment, un accord pourtant technique n'a pas pu être signé comme prévu le 24 octobre. C'est là le principal défi du secteur dans les années à venir.

Deuxième point, la Bibliothèque nationale de France.

La BnF représente à elle seule 70 % des crédits du programme. Sa dotation évolue de 3,9 % en 2023, conformément aux engagements pris.

Nous nous réjouissons du très grand succès populaire de sa réouverture le 17 septembre, à l'occasion des Journées européennes du patrimoine. Je peux vous dire que les équipes de l'établissement, très mobilisées autour de ces travaux, apprécient à sa juste mesure les files d'attente pour accéder à la splendide salle de lecture et la satisfaction des nouveaux usagers.

La BnF est pourtant face à une année 2023 difficile. Les trois quart de son budget sont consacrés au fonctionnement. Le site de Tolbiac possède 500 000 m² de surface vitrée, ce qui nécessite chauffage en hiver et climatisation en été, pour l'accueil des usagers, mais également pour assurer la conservation des documents précieux. Pour vous donner un ordre d'idée, la BnF consomme la même quantité d'électricité qu'une ville de 20 000 habitants.

Selon les premières estimations, le surcoût lié à la hausse des prix de l'énergie serait de 3,6 millions d'euros en 2023, ce qui est beaucoup pour un budget très contraint, et frappera inévitablement les initiatives qui pouvaient être envisagées.

Il reste à espérer que cette crise n'aura pas de conséquence sur le chantier du nouveau centre de stockage. Plus de 70 villes avaient déposé leur candidature, c'est finalement Amiens qui a été retenu. Le projet s'élève à l'heure actuelle à 96 millions d'euros, dont 40 à la charge des collectivités. A terme, il accueillera le Conservatoire national de la presse, auquel je suis très attaché.

Comme vous le voyez donc, entre grands projets, gestion du quotidien et flambée des prix, la BnF va devoir faire face à des défis d'ampleur en 2023, comme hélas de nombreux établissements publics.

Troisième point, la musique enregistrée

Après avoir été à deux doigts de disparaitre au tournant des années 2000, la musique a retrouvé une nouvelle vigueur, que l'on peut résumer en un mot, avec ses promesses, mais également ses failles : le streaming.

Ce mode d'écoute a été popularisé par Spotify à l'origine. Clin d'oeil de la « pop culture », une série suédoise sur Netflix intitulée « The Playlist » retrace avec beaucoup d'intelligence le lancement de cette plateforme. 10 millions de Français sont actuellement abonnés à un service de streaming, et la moitié des 35-64 ans disposent d'un accès payant.

Les perspectives au niveau mondial sont florissantes. Une étude de la banque Goldman Sachs rendue publique le 13 juin dernier estime que les revenus au niveau mondial devraient plus que doubler d'ici 2030, passant de 23 à 56 milliards de dollars, avec une proportion croissante financée par la publicité.

Nous ne pouvons bien entendu que nous en réjouir. Pour autant, de redoutables questions ont émergé : quelle rémunération pour les auteurs, les interprètes, les compositeurs ? Quel modèle économique pour ces plateformes qui, pour l'heure, perdent encore de l'argent ? Quelle exposition des esthétiques les plus fragiles ?

Sur ces sujets cruciaux pour toute la filière, un acteur a émergé en France, je veux bien entendu parler du Centre national de la musique (CNM), à l'origine issu d'une initiative parlementaire, avec une loi adoptée à l'unanimité des deux chambres - je salue au passage le rapporteur Jean-Raymond Hugonet qui s'est beaucoup investi sur le sujet et continue de le suivre.

Nous avons organisé une table ronde passionnante sur le CNM le 19 octobre dernier. Comme vous le savez, la question de ses moyens se pose depuis la fin d'une crise pandémique qui lui a offert une formidable légitimité par la qualité de ses interventions. Cependant, comme je vous le disais l'année dernière, cet accueil enthousiaste repose sur un malentendu : le CNM n'a pas vocation à distribuer des subventions ad vitam, il n'a pas été conçu en ce sens. Il est donc nécessaire de nous interroger, et d'interroger la profession, sur ses attentes, sur ses besoins, et d'en inférer la surface budgétaire que le Centre doit atteindre pour ne pas trahir les espoirs placés en lui à l'origine. Pour mener ce travail, comme vous le savez, j'ai été chargé d'une mission par la ministre de la culture, que j'aborde avec beaucoup d'humilité, mais également d'enthousiasme et de conviction.

Je compte bien entendu m'appuyer sur les travaux de notre commission, et je souhaite pouvoir vous présenter mes conclusions dans quelques mois.

Quatrième point, le jeu vidéo.

Là encore, notre commission a été en pointe, avec une table ronde organisée le 12 octobre dernier.

Je peux vous dire que le secteur a été sensible à cette marque de reconnaissance de notre part.

Le jeu vidéo affiche une santé presque insolente, inoxydable. L'année 2020 avait bien entendu été exceptionnelle avec la pandémie, on pouvait donc légitimement s'attendre à une baisse en 2021. Il n'en a rien été, le secteur a encore connu une progression de 1,6 %, pour s'établir à 5,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Le résultat aurait pu être encore meilleur si les consoles de nouvelles génération Xbox Serie et PS5 avaient été plus largement disponibles, mais la production a été freinée par les pénuries de composants.

Nous n'allons pas rouvrir le débat d'une culture « noble » contre une culture moins légitime, incarnée hier par la bande dessiné et la télévision, aujourd'hui par le jeu vidéo.

Notons cependant qu'il existe une très grand diversité de pratiques et donc de jeu : les petites distractions que nous pouvons pianoter sur nos téléphones dans les transports ou bien les énormes productions à plusieurs centaines de millions de dollars sur consoles et ordinateurs. Au passage, le Palais du Luxembourg a lui-même été intégralement numérisé pour les besoins d'un jeu sorti en 2014, Assassin's Creed Unity, dont vous pouvez trouver des extraits assez saisissants en ligne.

Ce qui est important cependant pour nous, comme l'a bien souligné la table ronde, c'est de conforter la place déjà mondialement reconnue de la France dans ce secteur d'avenir, qui embauche massivement des personnels qualifiés et passionnés, présent dans tous les territoires. Notre position enviable repose sur la combinaison réussie d'un système de formation adapté, avec des écoles réputées, et l'existence d'un crédit d'impôt qui nous permet de lutter à armes égales avec les autres pays, notamment anglo-saxon. Nous avons su, pour les jeux, développer et préserver une excellence française dont je souhaite qu'elle perdure.

Je dois enfin dire un mot de l'ambition portée par « France 2030 ».

Lors de la présentation de ce plan le 12 octobre 2021, le Chef de l'Etat a choisi de consacrer un objectif spécifique aux Industries culturelles et créatives, pour un montant estimé à près d'un milliard d'euros. La démarche est très proche de celle des différents PIA.

Pour l'heure, le projet le plus emblématique est celui de « Fabrique de l'Image » pour 350 millions d'euros, qui a pour objectif de mettre un terme aux « goulets d'étranglement » de la production cinématographique et audiovisuelle.

Je crois que nous pouvons nous féliciter de l'ampleur des moyens comme de la reconnaissance des industries culturelles et créatives au plus haut niveau de l'Etat.

Il est cependant essentiel que les parlementaires que nous sommes gardions un oeil sur le déroulé de programmes et sur leur impact réel.

Mes chers collègues, comme vous l'avez compris, nous pouvons porter un regard optimiste sur les industries culturelles, même si la vigilance demeure de mise, je pense notamment à la question des auteurs, à la BnF et aux perspectives du CNM.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2023.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion