Il y a quinze jours, la ministre nous a présenté, avec l'engagement et la pédagogie que nous lui reconnaissons tous, un budget 2023 en progression de 1,1 milliard d'euros pour atteindre au total 25,7 milliards d'euros. Cette hausse globale est essentiellement portée par la compensation de la hausse du point d'indice, le déploiement de la loi de programmation de la recherche (LPR) et la prorogation de mesures de soutien aux étudiants.
Quelles sont les grandes lignes des évolutions de crédits pour l'enseignement supérieur stricto sensu ?
Le programme 150, qui finance les établissements, est abondé de 700 millions d'euros supplémentaires, soit une progression de 4,8 % par rapport à 2022, fléchés principalement sur la compensation de la revalorisation du point d'indice, la poursuite de la mise en oeuvre de la LPR et des mesures nouvelles telles que la création de places en licence et master pour tenir compte de la démographie étudiante, l'élaboration de nouveaux contrats d'objectifs, de moyens et de performance, ou l'accueil des stagiaires dans les instituts nationaux supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé).
Le programme 231, qui finance la vie étudiante, est doté de 50,2 millions d'euros supplémentaires, soit une hausse de 1,6 % par rapport à 2022, destinés notamment à la compensation aux centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) du repas universitaire à un euro pour les étudiants boursiers et précaires, au financement des aides directes (bourses, aides au mérite, aides à la mobilité...) et à l'accompagnement des étudiants en situation de handicap.
Même s'il ne comporte pas de mesure « phare », ce budget en augmentation est, sur le papier, plutôt de nature à rassurer les opérateurs.
Pourtant, en audition, tous m'ont dit leur inquiétude face à une équation budgétaire 2023 particulièrement complexe.
Première raison à cela, la non-compensation du relèvement du point d'indice pour la période allant de juillet à décembre 2022, qui représente un coût supplémentaire de 180 millions d'euros pour les établissements d'enseignement supérieur. Heureusement, pour 2023, la ministre a réussi à obtenir de Bercy la compensation en année pleine ; elle en avait fait, selon ses termes, sa « ligne rouge absolue ».
Deuxième raison à l'inquiétude des opérateurs, les conséquences du choc énergétique sur leurs finances, déjà fortement contraintes - je me dois de rappeler ici l'absence de compensation du glissement vieillesse technique (GVT), qui équivaut à une charge annuelle de 50 millions d'euros.
L'annonce médiatique, par l'Université de Strasbourg d'une possible fermeture deux semaines supplémentaires cet hiver pour faire des économies d'énergie, a au moins eu le mérite d'alerter sur l'ampleur des surcoûts auxquels les établissements font face. Les universités sont concernées au premier chef puisqu'elles hébergent la très grande majorité des laboratoires et des infrastructures de recherche, particulièrement énergivores dont certaines doivent fonctionner en continu.
Jusqu'à cette polémique, Bercy n'avait sans doute pas pris la mesure du problème, d'où l'absence d'enveloppe compensatoire dans le projet de loi de finances initial.
Selon les dernières estimations disponibles, les surcoûts énergétiques pour les établissements d'enseignement supérieur, de l'ordre de 100 millions d'euros en 2022, seraient au moins multipliés par 4 en 2023.
Dès septembre, le ministère a appelé ses opérateurs à recourir à leur fonds de roulement pour financer les surcoûts.
Cette solution budgétaire d'urgence n'est cependant pas aussi « magique » qu'elle n'y paraît :
- d'abord, parce que l'état de ces fonds est très hétérogène d'un établissement à l'autre et qu'il ne faudrait pas pénaliser « les bons élèves » qui ont su constitué des réserves ;
- ensuite, parce qu'une partie de ces fonds est souvent déjà gagée sur des projets d'investissement en cours ou à venir, qu'il n'est pas question de compromettre ;
- enfin, parce qu'il ne saurait être touché à la réserve de précaution correspondant au seuil prudentiel de 15 jours de fonctionnement.
Seul peut donc être ponctionné, pour absorber une partie des surcoûts actuels, le fonds de roulement « dormant », c'est-à-dire la partie des fonds non fléchée et donc disponible.
Au regard de l'importance des surcoûts estimés et des différences de capacités de trésorerie des établissements, Bercy a accepté de travailler sur un dispositif de compensation, que la ministre nous a annoncé lors de son audition et qu'elle a précisé jeudi dernier.
Celui-ci va prendre la forme d'une ouverture de crédits de 275 millions d'euros dans le prochain collectif budgétaire. Les montants versés aux établissements tiendront compte de la situation de chacun, notamment du poids des dépenses d'énergie dans leur budget de fonctionnement et du niveau de leurs réserves mobilisables.
Cette rallonge budgétaire est évidemment une bonne nouvelle pour les établissements, dont les représentants n'ont pas manqué de remercier la ministre pour son interventionnisme efficace. Outre le montant débloqué, la méthode choisie du « au cas par cas » semble la plus appropriée compte tenu de la diversité des situations.
Malgré ses conséquences financières, la crise énergétique est aussi le moment, pour les opérateurs, de mettre un coup d'accélérateur à leur démarche de sobriété, dont le degré d'avancement est variable d'un établissement à l'autre. Cela passe par :
- l'élaboration systématique de bilans énergétiques, bâtiment par bâtiment, accompagnée de la mise en place d'outils de suivi des consommations ;
- un pilotage plus fin dans la gestion technique des bâtiments ;
- une réflexion sur l'usage des locaux au regard de l'évolution des pratiques de travail (télétravail, visioconférence..) et des nouvelles modalités d'organisation (plateformes, open space, mutualisation des locaux...).
Un autre levier mérite, à mes yeux, d'être sérieusement étudié, celui d'une réorganisation du calendrier universitaire, consistant à moins concentrer les enseignements sur l'automne et l'hiver. Cela suppose évidemment que tous les acteurs concernés se mettent autour de la table...
Cette crise doit aussi agir comme un catalyseur pour engager, du côté du ministère, un plan ambitieux de rénovation du parc immobilier universitaire, connu pour être en partie vieillissant, vétuste, et énergivore. Un tiers de celui-ci est une passoire énergétique.
Dans le contexte de la crise sanitaire, où l'urgence était de relancer rapidement l'économie française, le Gouvernement a fait le choix de passer par la méthode de l'appel à projets pour encourager la rénovation énergétique dans l'ESR.
Je reconnais que cette initiative a permis de donner une vraie impulsion à un dossier resté trop longtemps en suspens. Malgré des délais très contraints, les universités, les grandes écoles et les Crous se sont saisis de cette opportunité, montrant leur l'intérêt pour cette problématique et leur bon niveau global de préparation. A ce jour, la moitié des projets sélectionnés, soit environ 2 000, est achevée.
Cependant, compte tenu du retard accumulé au cours des dernières décennies et de l'ampleur des besoins d'investissement - évalués à 7 milliards d'euros par le ministère, mais à plus du double (15 milliards d'euros) par France Universités -, un changement d'échelle est nécessaire. Le directeur de l'immobilier de l'Etat, que j'ai auditionné, a lui-même convenu que le fonctionnement à court terme par appels à projets ne suffisait pas et qu'une stratégie immobilière de long terme était indispensable.
Depuis plusieurs exercices budgétaires, je plaide pour le lancement d'un plan d'investissement d'envergure.
Au-delà de la nécessité d'une programmation financière pluriannuelle, ce plan devrait s'accompagner d'une réflexion de fond sur la quantité et la qualité du bâti universitaire au regard des récentes évolutions pédagogiques et sociétales, l'avenir consistant sans doute en « moins de m2 pour mieux de m2 ».
D'autres prérequis sont nécessaires : la montée en compétences des établissements en matière immobilière, l'activation de certains leviers juridiques de valorisation du patrimoine universitaire, la levée de certains verrous réglementaires comme la limitation des capacités d'emprunt des universités.
La ministre nous a indiqué être en train de travailler, avec son collègue ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à un « plan pour la rénovation énergétique et thermique ». J'accueille favorablement cette initiative, dont j'espère qu'elle sera à la hauteur du « mur » d'investissement auquel se heurte aujourd'hui l'immobilier universitaire.
J'en viens à la vie étudiante.
Bien que la rentrée 2022 se soit déroulée dans un climat beaucoup plus serein sur le plan sanitaire que les années précédentes, les restaurants universitaires sont confrontés à une tension croissante. Leur activité a augmenté, selon les sites, de 20 % à 40 % en 2021 par rapport à 2019, sous l'effet de plusieurs facteurs :
- l'attractivité du repas à un euro pour les étudiants boursiers et ceux en situation de précarité ;
- la fidélisation d'étudiants ayant commencé à fréquenter la restauration universitaire pendant la crise, notamment sous la forme de vente à emporter ;
- le contexte inflationniste qui rend le repas au tarif social de 3,3 euros très compétitif.
A cela s'ajoutent les difficultés de recrutement dans le secteur de la restauration - que renforce la très faible compétitivité des Crous sur le plan salarial -, les problèmes d'approvisionnement en denrées alimentaires communs à l'ensemble des acteurs de la distribution, les incidences financières de la loi EGalim, estimées à près de 10 millions d'euros par an.
Or, dans le même temps, la subvention pour charges de service public (SCSP) du réseau, hors crédits destinés au financement de mesures nouvelles, est stabilisée depuis plusieurs années autour de 300 millions d'euros. Cette stagnation devient de plus en plus problématique alors que l'activité de restauration ne cesse de croître, que le réseau poursuit son développement avec l'ouverture de nouvelles structures d'hébergement et de restauration, et qu'il se voit confier des missions supplémentaires d'accompagnement social des étudiants.
La non-indexation de la SCSP sur le volume de repas fournis est un non-sens total ! J'appelle donc le ministère à reconsidérer rapidement le financement de l'activité de restauration et, plus globalement, celui de l'ensemble du réseau.
Quelques remarques, enfin, sur la concertation relative à la vie étudiante que la ministre vient de lancer et qui comprend deux volets, un national, centré sur l'évolution du système des bourses, un territorial, intégrant l'ensemble des thématiques liées à la vie étudiante.
Comme je l'ai dit à la ministre, il me semblerait normal que les parlementaires y soient associés, le Sénat ayant pour sa part mené un travail approfondi sur le sujet en 2021, dans le cadre de la mission d'information présidée par Pierre Ouzoulias et rapportée par notre président.
Cette concertation doit être l'occasion de remettre à plat le système des aides publiques aux étudiants, aujourd'hui trop complexe et par certains aspects inefficient - certains profils d'étudiants échappent en effet à toute prise en charge.
Dans l'objectif de clarifier l'architecture actuelle et la rendre plus intelligible, la logique du « guichet unique » mérite d'être expertisée. Pour les étudiants, cette organisation présenterait l'avantage de la simplicité, de la lisibilité, de la praticité et contribuerait, in fine, à améliorer leur accès aux droits. Compte tenu du rôle central joué aujourd'hui par les Crous, ceux-ci pourraient logiquement constituer ce point d'entrée unique. Une telle évolution suppose toutefois une concertation approfondie avec les autres opérateurs, en particulier territoriaux. Les dialogues régionaux, qui démarrent sous l'égide des rectorats, devront se saisir de cette question.
Sur la réforme annoncée des bourses sur critères sociaux - promesse non tenue du précédent quinquennat - la ministre a présenté une feuille de route en deux temps : d'abord, une concertation nationale devant aboutir à un point d'étape en janvier 2023 et, si consensus il y a, à de premières mesures applicables dès la rentrée 2023, puis, une réforme plus profonde en 2024, voire en 2025.
Si le diagnostic sur les défauts du système actuel et la nécessité de le réformer sont globalement partagés, plusieurs interrogations plus ou moins clivantes sont à trancher :
- faut-il fusionner les bourses avec l'aide personnalisée au logement (APL), sachant qu'il s'agit de deux systèmes aux critères différents; gérés par deux ministères distincts ?
- faut-il territorialiser les bourses pour tenir compte des différences du coût de la vie, notamment du coût du logement, selon les territoires ?
- faut-il élargir l'assiette des bénéficiaires au profit des classes moyennes, en créant de nouveaux échelons ?
- faut-il linéariser le système, en supprimant les échelons et éviter ainsi les effets de seuil ?
- faut-il continuer à prendre en compte le revenu des parents ou « déparentaliser » le calcul des bourses comme c'est le cas dans d'autres pays européens ?
Sans vouloir préempter le débat qui commence, j'espère que la méthode et le calendrier choisis ne déboucheront pas sur des demi-mesures, mais sur des changements structurels porteurs de simplification, de rationalisation et d'efficience.
Monsieur le président, mes chers collègues, je propose à la commission, compte tenu de la hausse globale des crédits consacrés à l'enseignement supérieur dans le PLF 2023 et de l'annonce d'une enveloppe supplémentaire pour aider les établissements à faire face aux surcoûts de l'énergie, d'émettre un avis favorable à leur adoption.