Intervention de Michel Laugier

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 2 novembre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits « presse » - examen du rapport pour avis

Photo de Michel LaugierMichel Laugier :

rapporteur pour avis du programme 180 « Presse et Médias » sur le projet de loi de finances pour 2023. - La presse est marquée, d'une année sur l'autre, par la permanence d'une crise structurelle qui ne se dément pas en 2022, d'autant plus après la crise pandémique.

Vous vous en rappelez, j'ai eu l'honneur de vous présenter au mois de juillet un rapport sur la presse quotidienne régionale, que vous avez adopté à l'unanimité.

J'en rappelle les trois grands enseignements pour nous permettre de faire le lien avec l'examen des crédits aujourd'hui :

- la PQR conserve une audience extrêmement importante, avec deux-tiers de nos compatriotes qui la lisent chaque mois ;

- si elle a subi en apparence une moindre attrition des ventes que la presse quotidienne nationale, elle accuse en réalité un retard de plus de cinq ans sur cette dernière dans le développement numérique ;

- enfin, la crise inflationniste a des conséquences catastrophiques, avec des charges supplémentaires qui se chiffrent aujourd'hui à plus de 175 millions d'euros pour la seule presse quotidienne.

Cette dernière analyse sur la hausse des coûts est malheureusement commune à toute la filière de la presse.

J'y ajoute un « irritant supplémentaire » : au 1er janvier 2023, les éditeurs de presse ne pourront plus verser leur éco contribution en nature, sous forme d'encarts destinés à informer le consommateur sur la nécessité de favoriser le geste de tri et le recyclage ciblé uniquement sur le papier.

La fin de ce régime dérogatoire illustre le choix de la France et de ses collectivités locales d'intégrer la contrainte environnementale.

Il va cependant se traduire par un prélèvement estimé à 22 millions d'euros en 2023. Or rien n'obligeait la France à faire ce choix, notre pays étant au reste le seul à s'engager de cette manière, ce qui revient, comme cela m'a été souvent rappelé, à considérer « le journal comme un déchet ».

Donc, papier d'un côté, Citeo de l'autre : comment le gouvernement allait-il réagir ?

Je vais vous répondre rapidement : les crédits n'ont pas évolué en conséquence. Dans le détail, on constate certes une progression de près de 10 % sur le programme, mais elle traduit, en fait, comme je vous l'indiquais l'année dernière, les conséquences de la réforme du portage et du postage, dite réforme « Giannesini », qui doit, à terme, permettre un régime plus adapté et économe.

Pour le reste, les crédits demeurent remarquablement stables. Dans une année normale, ce serait plutôt une bonne nouvelle, dans un contexte de baisse de la diffusion, mais pas alors que le prix du papier explose.

J'entends les objections, qui possèdent leur part de vérité : toute l'économie du pays est affectée, pourquoi aider tel ou tel secteur ? La ministre s'en est d'ailleurs faite l'écho lors de son audition la semaine dernière. Je répondrai que la presse représente la démocratie, le pluralisme, et qu'elle bénéficie déjà pour cette raison d'un soutien des pouvoirs publics. Or aujourd'hui, l'édifice est lézardé.

Par ailleurs, et cela est tout aussi important, les fonds existent ! Ils ont simplement été, si j'ose le mot, « escamoté ».

Je m'explique :

- dans le cadre du grand plan de soutien à la presse, l'article 2 de la loi du 30 juillet 2020 a créé un crédit d'impôt sur le revenu accordé au titre du premier abonnement à un journal, à une publication périodique ou à un service de presse en ligne d'information politique et générale, valable jusqu'au 31 décembre 2022. Les estimations initiales étaient de 60 millions d'euros en année pleine, ce qui, compte tenu de la date et de la période, de mi 2020 à 2022, représentait un peu moins de 150 millions d'euros. Le gouvernement avait d'ailleurs amplement communiqué sur ce chiffre ;

- cependant - ce qui n'avait pas été indiqué dès le début - le dispositif nécessitait l'accord de la Commission européenne, qui ne l'a rendu que le 15 avril 2021 : l'année 2020 et une partie de 2021 se sont donc trouvées exclues du dispositif.

Puis, on a attendu l'instruction fiscale.

Ensuite, suite à une modification apportée en PLF pour 2022, une nouvelle notification a été nécessaire et le dispositif prorogé jusqu'en 2023. Conséquence de ce cheminement complexe, où je n'exclus pas une forme de « réticence institutionnelle », seuls trois millions d'euros figurent dans les documents budgétaires pour les années 2022 et 2023, et moins de la moitié aurait été dépensée.

Résultat des courses, les éditeurs, déboussolés, n'ont jamais mis en avant un dispositif complexe et changeant.

La dernière étape de cette « mascarade » a eu lieu à l'Assemblée nationale, où le gouvernement a retenu un amendement dans le cadre de l'utilisation de l'article 49-3 qui met fin au crédit d'impôt.

Ce sont donc près de 150 millions d'euros qui ont échappé aux éditeurs, et qui seraient, au moins en partie, aujourd'hui bien utiles à la presse pour compenser la hausse du prix du papier.

Sur ce sujet, aucune avancée n'a été possible donc, en dépit, peut-être, d'un fonds de cinq millions d'euros, et encore, la ministre ne semblait pas si certaine... Donc, je vous proposerai dans quelques minutes de nous abstenir sur le vote des crédits consacrés à la presse dans ce PLF.

J'ai également tenu à revenir sur l'éternel dossier des messageries. Suite à la faillite de Presstalis en juillet 2020, le marché est dorénavant composé de deux acteurs :

- France Messagerie, ancien Presstalis donc, qui est le seul à assurer la distribution des quotidiens nationaux (le « flux chaud ») ainsi que des magazines (le « flux froid »). Je rappelle que la retentissante faillite de Presstalis aura coûté sur 10 ans la bagatelle de 560 millions d'euros à l'Etat ;

- le nouveau leader, les Messageries lyonnaises de presse (MLP), qui ne distribuent que du flux « froid ».

Deux acteurs donc, sur un marché en décroissance de 8 à 10 % par an.

France Messagerie perçoit une subvention spécifique pour assurer la distribution des quotidiens, soit 27 millions d'euros via les éditeurs, et 9 millions de péréquation des MLP. Cela explique entièrement son résultat positif de 4,8 millions d'euros en 2021.

Les deux sociétés se livrent une guerre sans merci pour capter des clients, seule manière de ne pas décroître trop vite.

Vous l'avez compris, trois ans après le vote de la loi de modernisation de la presse du 18 octobre 2019, la situation demeure fragile, et je souhaite que l'année 2023 puisse être mise à profit pour réfléchir à des solutions enfin pérennes. Les Etats généraux du droit à l'information pourraient en être l'occasion.

J'évoquais à l'instant la loi de modernisation. Elle a confié d'importantes responsabilités à un nouveau régulateur, l'Arcep. Il a ainsi été mis fin à une autorégulation qui n'avait pas fait ses preuves, c'est le moins que l'on puisse dire. J'ai donc souhaité effectuer avec eux un premier bilan de leur action sur ce secteur. Je vais le résumer avec trois constats.

Premier constat, et comme nous l'avions demandé à l'époque, l'Arcep a été dotée des moyens nécessaires, avec 8 ETP pour s'occuper de la presse. Depuis le 1er janvier 2020, l'Arcep a ainsi rendu 35 décisions dans le secteur, ce qui est minime dans son activité - 0,5 % de l'ensemble des décisions.

Deuxième constat, cette faible proportion ne dit rien des difficultés qu'ont dû affronter les équipes pour s'approprier les codes et la logique d'un secteur finalement très éloigné de leurs bases habituelles dans les télécoms. L'Arcep a cherché, si je puis m'exprimer ainsi, à « mettre un peu de logique économique » dans une filière qui en manquait. Ainsi, l'Autorité a rendu de nombreuses décisions sur le nerf de la guerre, le barème des prix, qui permettait, en plus des tarifs affichés, de subvertir la philosophie de la loi Bichet en assurant aux plus gros clients des rabais et ristournes, au point de se mettre en danger. L'Arcep a enfin fait usage de son nouveau pouvoir de contrôle avec une décision rendue publique le 20 octobre, pour manquement dans la livraison d'un kiosque en Savoie. Je la cite avec un certain plaisir, car la plainte émanait des marchands de presse, qui ont été entendus, ce qui marque, je crois, le succès d'un des objectifs de la loi, qui était de rééquilibrer les relations entre messageries et vendeurs.

Troisième constat, l'Arcep mène un important chantier de clarification, avec la mise en place d'une comptabilité réglementaire qui doit permettre, probablement pas avant 2024, de mettre enfin en lumière la réalité des coûts supportés par les opérateurs.

Vous l'avez compris, nous pouvons donc estimer que l'Arcep remplit de manière satisfaisante la mission que nous lui avons confiée. Je ne vous cache pas que cela fait grincer quelques dents, mais il était nécessaire de disposer d'un acteur indépendant avec une expertise juridique et économique reconnues.

Je veux dire enfin avant de conclure dire un mot de l'Agence France-Presse, sur laquelle j'ai souhaité faire un point alors que s'achève le mandat de son président Fabrice Fries.

En 2020, dans mon rapport pour avis, j'indiquais que l'Agence se trouvait confrontée à trois grands défis : une situation financière fragile, une stratégie éditoriale à affiner et la concurrence des grands acteurs de l'Internet. Nous avons trop peu souvent en ce moment l'occasion de nous réjouir pour ne pas souligner les très belles réalisations de l'Agence ces dernières années.

Tout d'abord, et pour la première fois depuis plus de 10 ans, l'AFP affiche des résultats nets positifs, 4 années de suite, ce qui est très encourageant et n'avait rien d'évident.

Ces bons résultats ne doivent rien ni au hasard, ni à une situation générale devenue favorable - au contraire -, ni à une hausse des dotations publiques - elles demeurent stables -, mais aux capacités d'adaptation de l'AFP et de ses personnels.

Ainsi, l'AFP a réalisé un plan d'économie de 12,4 millions d'euros par an. Les travaux immobiliers et le regroupement sur le seul site de la Bourse permettent d'économiser 2,5 millions d'euros par an.

Dans le même temps, 70 journalistes ont été embauchés et, grâce à la signature d'un accord jugé satisfaisant avec Google (enfin ! peut-on dire), les journalistes percevront en 2023 la prime prévue dans le texte de loi sur les droits voisins et sur lequel David Assouline s'était beaucoup battu.

L'AFP a également su développer le secteur crucial de la vidéo, et investir dans le secteur du « fact checking » (vérification des faits), où l'Agence est leader mondial.

Bref, mes chers collègues, je crois que nous pouvons adresser un satisfecit à l'Agence et ses personnels qui ont su travailler à surmonter une situation compromise.

Cependant, il ne sera pas possible de se relâcher. L'inflation, comme dans toute l'économie, aura de lourdes conséquences, avec les augmentations de salaire qui devront l'accompagner. Il faudra également négocier avec les correspondants étrangers, soumis à des hausses de prix souvent plus violentes qu'en France.

Le nouveau président, qui sera désigné en 2023, devra poursuivre dans cette même voie, en commençant par négocier avec l'Etat le nouveau contrat d'objectifs et de moyens.

Je n'adresse pas le même satisfecit au gouvernement. Comme vous l'aurez compris, je suis très déçu que le cri d'alarme dont nous nous sommes fait l'écho en juillet n'ait pas été entendu.

Dans ce contexte, je vous propose donc de nous abstenir sur le vote des crédits de la presse dans le projet de loi de finances pour 2023.

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