Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous nous apprêtons à examiner le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale de la législature.
L’examen du texte par l’Assemblée nationale a été réalisé dans des conditions particulières – vous ne me contredirez pas. Les députés ont tout d’abord rejeté les première et deuxième parties du texte relatives, respectivement, aux comptes du dernier exercice clos et à la rectification des prévisions de recettes et aux objectifs de dépenses de l’année 2022.
Le Gouvernement a ensuite engagé à deux reprises sa responsabilité en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution : une première fois sur la troisième partie du texte, relative aux recettes de l’année à venir, avant même d’avoir commencé l’examen de cette partie ; une seconde fois sur la quatrième partie, relative aux dépenses de l’année à venir et sur l’ensemble du PLFSS, après avoir examiné quelques articles concernant, pour l’essentiel, la branche autonomie.
Il en résulte que le PLFSS pour 2023 nous arrive tronqué, vidé de ses deux premières parties, ce qui est assez inédit, que le Gouvernement n’a pu rétablir lorsqu’il a engagé sa responsabilité sur les parties suivantes. Surtout, le débat parlementaire lui-même a jusqu’à présent été tronqué.
Au regard des enjeux financiers et politiques particulièrement importants des projets de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons la responsabilité de faire vivre, au Sénat, des débats complets sur le PLFSS pour 2023.
Soyez sûrs, mesdames, messieurs les ministres, que ces débats seront à l’image du Sénat, c’est-à-dire sérieux et respectueux, mais aussi exigeants et parfois en contradiction avec votre approche.
Comme l’ont souligné les ministres, les comptes de la sécurité sociale s’améliorent depuis le trou d’air historique de l’année 2020, pic de la crise sanitaire, économique et sociale provoquée par l’épidémie de covid-19. De ce point de vue, le Gouvernement considère que l’année à venir devrait de nouveau marquer une progression, avec un déficit réduit à 7, 2 milliards d’euros. Cela reste significatif pour des comptes censés être équilibrés, mais nous sommes loin des quelque 39, 8 milliards d’euros de 2020, record historique de déficit des comptes sociaux. Nous en acceptons l’augure.
Toutefois, notre commission a exprimé son inquiétude face aux chiffres que vous nous présentez.
Inquiétude, tout d’abord, quant à la crédibilité des comptes pour 2023. Le tableau d’équilibre repose en effet sur des hypothèses que le Haut Conseil des finances publiques qualifie d’optimistes : d’une part, le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1 % et une nouvelle progression de la masse salariale de 5 % ; d’autre part, il prévoit une quasi-disparition des dépenses liées au covid-19, la provision correspondante ne s’élevant qu’à 1 milliard d’euros, ce qui nous semble un peu faible. Nous avons l’intention de vous donner les moyens de vérifier ce dernier point.
Vous comptez d’ailleurs uniquement sur cette vision optimiste de la conjoncture économique et sanitaire pour « tenir » les comptes et non sur les mesures que vous prendrez. À cet égard, il est significatif que le solde transmis par l’Assemblée nationale soit égal au solde tendanciel, c’est-à-dire à celui que l’on constaterait si aucune mesure n’était prise dans le cadre de ce PLFSS.
Notre inquiétude vaut aussi pour l’avenir. En effet, si l’on se projette au-delà de 2023, au travers de l’annexe B, quadriennale, de ce PLFSS, on peut observer que le déficit relativement modeste espéré pour 2023 devrait être, non pas une étape sur le chemin du retour à l’équilibre, mais seulement une embellie avant un nouveau creusement des déficits : selon vos propres prévisions, la situation des comptes de la sécurité sociale devrait se dégrader dès 2024, avec un déficit de 8, 8 milliards d’euros, jusqu’à atteindre un niveau plus inquiétant encore, autour de 12 milliards d’euros par an en 2025 et 2026.
Or ce scénario repose, là encore, sur des hypothèses de croissance optimistes et des perspectives de maîtrise des dépenses, notamment en ce qui concerne l’Ondam, dont nous ne savons rien.
L’annexe B, qui vise également à donner une visibilité et une stratégie pour l’avenir, n’apporte aucun détail sur les moyens que le Gouvernement envisage de se donner pour maîtriser les comptes. Il y est tout juste précisé, par exemple, que le solde de la branche vieillesse « bénéficierait de l’objectif d’élévation progressive de l’âge effectif de départ sur le quinquennat ».
Le Haut Conseil des finances publiques déplore également que vos prévisions supposent des « effets importants et immédiats de réformes » dont « ni les modalités, ni les impacts, ni le calendrier ne sont documentés ».
En somme, cette trajectoire, qui devrait se dégrader dès 2024, n’est, hélas ! qu’une version optimiste de l’avenir des comptes sociaux. Il est donc à craindre que les déficits ne continuent de s’accumuler et que de nouveaux transferts à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) ne doivent être envisagés à l’avenir.
Dans ce contexte, la commission des affaires sociales a adopté une approche responsable. Nous proposerons tout d’abord de rétablir les parties de loi de financement de la sécurité sociale qui doivent exister, quitte à les corriger, comme en première partie.
Nous marquerons ensuite notre refus de la vision que le Gouvernement présente de l’avenir de la sécurité sociale à l’annexe B, à la sincérité douteuse et dépourvue de dimension stratégique.
Nous poserons nous-mêmes les jalons de véritables mesures d’équilibre, en particulier sur les retraites, mais aussi en proposant quelques recettes supplémentaires.
Nous renforcerons, enfin, le contrôle du Parlement, notamment dans le cas où les hypothèses optimistes du Gouvernement ne se vérifieraient pas – par exemple, en cas de dépassement significatif de l’Ondam et des dépenses d’urgence.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les ministres, nous serons, tout au long de ce débat que nous espérons riche, des interlocuteurs à la fois exigeants et constructifs, mais aussi, le cas échéant, des contradicteurs.