Intervention de Vincent Segouin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 novembre 2022 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » - examen du rapport spécial

Photo de Vincent SegouinVincent Segouin, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » :

rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Le 28 septembre dernier, la commission des affaires économiques rendait son rapport sur la ferme France, un rapport alarmant qui mesurait la perte de compétitivité de notre pays sur les vingt dernières années : « Alors que le commerce international de produits agroalimentaires n'a jamais été aussi dynamique, la France est l'un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent. » Les exportations, portées par les vins et les spiritueux, augmentent, et les importations, qui représentent plus de la moitié des denrées consommées, explosent.

Ces pertes de marché sont dues à la perte de compétitivité de la « Ferme France qui, comme je le rappelle chaque année, est due à un coût du travail élevé ; à la surtransposition de règles environnementales ; à l'interdiction de construction de retenues d'eau et de moyens de prévention contre les aléas entraînant des pertes de volume ; et, surtout, à la stratégie de montée en gamme des produits agricoles et agroalimentaires menée depuis 2017, sans un raisonnement adapté par filière.

On aurait pu croire que, dans le pays où l'industrie du luxe est bénéficiaire, la stratégie de la montée en gamme soit opportune, mais c'est ignorer le besoin de consommation et le pouvoir d'achat des Français - à mon sens, nous faisons fausse route.

À titre d'exemples, on interdit la production de volailles en batterie par souci du bien-être animal et, en même temps, on importe des poulets issus de ces élevages pour la consommation quotidienne des Français ; on interdit le diméthoate pour la culture de la cerise au risque de perdre les producteurs français et, en même temps, on importe de la cerise de Turquie sans vérifier s'il reste des résidus de diméthoate dans les fruits ; on laisse détruire des réserves d'eau autorisées administrativement alors qu'en France nous ne retenons que 4 % des eaux de pluie, sachant que l'Espagne en retient 40 %. Nous pourrions encore citer beaucoup d'autres exemples. La balance commerciale est de moins en moins excédentaire et les alertes que nous lançons pour l'agriculture rappellent celles qui ont été lancées au moment des choix de désindustrialisation de la France. Nous en connaissons les conséquences et faisons machine arrière.

À la lecture du budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », nous observons une augmentation de budget de 29,88 %. Comme vient de l'expliquer Patrice Joly, il s'agit d'un budget en trompe-l'oeil. Si tout se résumait au budget, nous pourrions penser que tout va bien ; mais tous les problèmes ne se règlent pas avec de l'argent public. De plus en plus, les ministères font la course aux dotations supplémentaires, plutôt que d'essayer de maîtriser ces dotations.

L'augmentation du budget est due, en partie, à la mise en place de l'assurance récolte, qui a le mérite de définir le rôle de chacun entre l'agriculteur, l'assureur et l'État. Le budget est donc plus sincère et évitera sûrement des projets de loi de finances rectificative (PLFR) pour couvrir les risques assurables ou non assurables.

Une dépense de 560 millions d'euros est prévue pour subventionner cette assurance qui, je le rappelle, couvre les cotisations à hauteur de 70 % et les pertes au-delà de 50 % - sauf en arboriculture et en prairie, où les pertes seront prises en compte au-delà de 30 %. Ces crédits sont financés à hauteur de 120 millions d'euros par le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et de 184,5 millions d'euros par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) de la PAC ; le reste est financé par le budget.

Avec l'augmentation des aléas, nous ne sommes pas certains que ce budget soit suffisant. Cette assurance était très attendue, sachant qu'une récolte sur cinq a été perdue et que ce constat démotivait les jeunes de s'installer.

La « Ferme France » perdait de la compétitivité à cause d'un coût de travail élevé. Pour y remédier a été créé le dispositif TO-DE, qui vise à exonérer de charges sociales les emplois saisonniers. Reconduit par les députés, la pérennité du dispositif est décisive pour l'installation des jeunes employant de la main-d'oeuvre, afin qu'ils puissent établir un plan de financement prévisionnel stable et rentable.

Ce dispositif serait aussi nécessaire, de façon générale, dans l'industrie ; mais cela paraît très compliqué, tant les besoins en prestations sont importants. Cependant, il est temps d'avoir à l'esprit que les dépenses supplémentaires entravent notre compétitivité dans de nombreux domaines et accentuent le déclin de la balance commerciale.

Nous perdons de la compétitivité en imposant à nos agriculteurs des normes supplémentaires, qui n'apportent pas de rentabilité. Elles ne sont même pas revalorisées dans les prix de vente, car nos concitoyens n'ont pas un pouvoir d'achat extensible. La filière bio a eu le mérite de donner un prix à la qualité, mais cela reste un marché de niche, comme nous avons pu le constater avec la hausse de l'inflation. Tout le monde a envie de manger mieux, mais le pouvoir d'achat fixe les limites.

Nous importons et nous ne contrôlons pas aux frontières la qualité des produits en fonction des normes françaises. Nous renforçons même les effectifs pour contrôler les fermes françaises au risque de les décourager et sans plus-value. Il est temps que l'administration accompagne l'économie française.

Enfin, les agriculteurs ont financé en moyenne les cinq dernières années le CAS-DAR à hauteur de 138 millions d'euros. Ce fonds a vocation à financer la recherche notamment dans la lutte contre les aléas. Le budget plafonne à 126 millions d'euros et, considérant le faible nombre de projets, l'excédent s'avère transféré sur le solde comptable du compte. Comment le ministère de l'agriculture peut-il se satisfaire d'une telle situation ?

Le ministère doit fixer les objectifs en matière de politique agricole afin de rétablir la situation économique actuelle et retrouver à la fois notre compétitivité et notre souveraineté alimentaire. Allons-nous développer et imposer les mêmes contrôles aux produits importés qu'aux produits français, et renforcer ainsi les effectifs pour cet exercice ? Allons-nous développer la recherche pour adapter nos productions aux aléas et aux maladies ? Allons-nous avoir une politique de l'eau en accord avec la politique agricole ?

En attendant des réponses précises, je vous propose malgré tout d'accepter ce budget à trois conditions : que le plan de travaux de réhabilitation du site du Maine du ministère de l'agriculture, estimé à 22 millions d'euros soit reporté ; que les amendements augmentant les effectifs de l'ONF, les crédits du fonds Avenir Bio, soient supprimés ; que le CAS-DAR soit utilisé dans sa totalité pour la recherche et que les effectifs ou les contrôles aux frontières des produits importés soient accrus.

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