Intervention de Jean Pierre Vogel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 novembre 2022 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « sécurités » et compte d'affectation spéciale « contrôle de la circulation et du stationnement routiers » - examen du rapport spécial

Photo de Jean Pierre VogelJean Pierre Vogel, rapporteur spécial sur le programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » :

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une dotation de près d'1,1 milliard d'euros en AE et de 640,6 millions d'euros en CP sur le programme « Sécurité civile », soit une augmentation substantielle de près de 58 % en AE et de 13 % en CP par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Cette hausse est particulièrement bienvenue, au lendemain d'un été marqué par les feux de forêt d'une ampleur exceptionnelle.

Par ailleurs, ces montants ne prennent pas en compte les annonces du Président de la République le 28 octobre dernier, lesquelles ont donné lieu au dépôt d'un amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale, repris dans le texte transmis au Sénat, majorant de 150 millions d'euros en AE et de 37,5 millions d'euros en CP les crédits du programme.

Si les mesures annoncées constituent des avancées à certains égards, on peut toutefois regretter que ces annonces interviennent en plein examen du projet de loi de finances par le Parlement, ce qui nuit considérablement à la visibilité des crédits du programme, d'autant plus que certaines des mesures annoncées entrent en contradiction avec les informations transmises par le ministère de l'intérieur.

Je voudrais tout d'abord m'attarder sur l'enjeu du soutien de l'État en faveur des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), et plus particulièrement sur la concrétisation en 2023 des « pactes capacitaires » qui permettront, dans le cadre de cofinancement entre l'État et les collectivités locales, de porter des projets d'investissement dans des besoins opérationnels des Sdis, qui seront ensuite mutualisés au sein d'une même zone défense de sécurité.

La concrétisation de ces pactes capacitaires doit ainsi être saluée, et fait par ailleurs l'objet d'une attente très forte de la part des Sdis, comme j'ai pu le constater lors de mon déplacement dans les Bouches-du-Rhône.

Le montant initialement prévu pour ces pactes capacitaires, de 30 millions d'euros sur cinq ans pour 100 Sdis, dont seulement 8 millions d'euros en AE et 1 million d'euros en CP pour 2023, apparaissait toutefois particulièrement faible au regard des besoins d'investissement des Sdis. L'enveloppe de 150 millions d'euros ajoutée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale est à cet égard bienvenue, mais s'inscrit dans le cadre de la compensation de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), sur laquelle l'État s'est déjà engagé. On peut donc difficilement présenter cette enveloppe comme un renforcement de l'effort financier de l'État en faveur des Sdis, puisqu'elle repose sur un procédé de budgétisation consistant en réalité à leur réaffecter une recette qui bénéficiait déjà dans les faits à leurs principaux financeurs, à savoir les collectivités locales.

J'en viens maintenant à l'enjeu du dimensionnement et du renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile, qui a été au coeur de l'actualité lors de la saison des feux de cet été.

À cet égard, ce projet de loi de finances constitue une avancée, puisqu'il concrétise le renouvellement de la flotte des hélicoptères Dragons vieillissante, qui avait été amputée ces dernières années de plusieurs appareils, suite à des accidents. Ainsi, l'augmentation des autorisations d'engagement du programme en 2023 est en grande partie portée par la commande de 36 nouveaux hélicoptères, annoncée dans le cadre de la présentation du projet de la Lopmi, et concrétisée dans ce PLF pour 2023 par l'inscription de 471,6 millions d'euros en AE, soit environ 13 millions d'euros par appareil. Ces hélicoptères, contrairement à la flotte de Dragons actuelle, seront équipés d'une capacité de largage d'eau importante et pourraient dès lors utilement être mobilisés pour la lutte contre les feux de forêt.

La saison des feux en 2022 a également souligné la nécessité de compléter et de renouveler la flotte de Canadairs vieillissante. Notre flotte d'avions amphibies bombardiers d'eau devrait ainsi être portée à 16 appareils à l'horizon de 2027, grâce à l'acquisition de deux appareils financés à 90 % par l'Union européenne (UE), puis par l'achat de deux appareils sur fonds nationaux. Nous pouvons toutefois émettre des doutes sur la crédibilité de l'annonce du Président de la République d'un renouvellement intégral des 12 Canadairs existants à l'horizon de 2027. En effet, la chaîne de production des Canadairs vient seulement d'être relancée, et il ressort de mes auditions qu'il est très peu probable que la France puisse obtenir la livraison d'autant d'appareils dans un délai aussi court.

Je tiens enfin à attirer votre attention sur le fait que l'enjeu du renforcement des moyens aériens de la sécurité civile ne peut être envisagé sous le seul prisme capacitaire. Les problématiques de prévention du risque, de gestion des ressources humaines ou encore du dimensionnement des infrastructures nécessaires au fonctionnement opérationnel de la flotte doivent également être prises en considération.

J'ai notamment eu l'occasion de rencontrer, dans le cadre de mon déplacement à Nîmes le 13 octobre dernier, les services de la base aérienne de la sécurité civile (Basc), qui ont indiqué rencontrer des difficultés pour recruter et fidéliser des pilotes de la sécurité civile, dont la rémunération est en moyenne trois fois inférieure à celle des pilotes des compagnies aériennes commerciales. Ainsi, quel serait l'intérêt d'acquérir de nouveaux appareils, si nous ne disposons pas, par ailleurs, des ressources pour les piloter ?

Le présent projet de loi finances prévoit certes des mesures de revalorisation pour les personnels navigants, estimées à 1,5 million d'euros, mais celles-ci devront à l'avenir être doublées d'une véritable stratégie de valorisation du métier de pilote de la sécurité civile.

Je conclurai mon propos en évoquant le projet de mutualisation des systèmes d'information des SDIS, NexSIS 18-112. L'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), qui est chargée du projet, nous a fait part de difficultés, qui se sont traduites par des retards importants dans le déploiement effectif de NexSIS. Ces retards ont entamé la confiance des Sdis dans la concrétisation du projet, et ont de fait fragilisé la situation économique de l'agence, puisque les SDIS sont largement impliqués dans le financement de NexSIS par leurs contributions volontaires.

Si le déploiement effectif au sein du Sdis préfigurateur de Seine-et-Marne devrait permettre de rétablir cette confiance, il sera par ailleurs essentiel que les contributions des Sdis soient complétées par un soutien renforcé de l'État en faveur de l'agence, et notamment de ses moyens humains qui apparaissent aujourd'hui bien trop faibles.

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