Intervention de Frédérique Espagnac

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 novembre 2022 à 16h35
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « économie » et article 43 et compte de concours financiers « prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - examen du rapport spécial, amendement 1

Photo de Frédérique EspagnacFrédérique Espagnac, rapporteure spéciale sur la mission « Économie » et sur le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » :

Nous souhaitons tout d'abord aborder les compensations financées par la mission « Économie » et versées à La Poste au titre de ses différentes missions de service public.

Trois compensations sont pérennisées pour 2023.

En premier lieu, la compensation pour financer le transport postal de la presse par La Poste est maintenue et sera de 40 millions d'euros en 2023. De même, la dotation pour le service postal universel sur l'ensemble du territoire national ne connait pas de modification et sera de 500 à 520 millions d'euros en 2023. Enfin, comme l'année dernière, une dotation au fonds postal national de péréquation territoriale est prévue pour la mission d'aménagement et de développement du territoire de La Poste, qui consiste à maintenir des points de contact dans l'ensemble du pays. Cette dotation devait initialement être maintenue à 74 millions d'euros.

Néanmoins, la réforme proposée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en 2023 aboutit à une baisse du produit de l'abattement sur celle-ci dont bénéficie par ailleurs le fonds de péréquation. En conséquence, le Gouvernement a intégré au texte transmis par l'Assemblée nationale une hausse complémentaire de 31 millions d'euros de la compensation.

Surtout, en 2023, une nouvelle compensation au groupe La Poste intègre la mission « Économie ». En effet, la Banque postale est chargée par la loi d'une mission d'intérêt général d'accessibilité bancaire. Elle se matérialise par l'obligation pour cet établissement d'ouvrir gratuitement à toute personne qui le demande un Livret A fonctionnant comme un quasi-compte courant. Cette mission vise un objectif d'insertion bancaire et sociale en permettant aux personnes dont les besoins spécifiques ne sont pas couverts par les autres dispositifs d'avoir accès à un support bancaire simple dont le mode de fonctionnement est adapté à leurs besoins : montant minimum des retraits faible et absence de moyens de paiement notamment.

En 2021, la Banque postale recensait environ 1 million de clients relevant de la mission d'accessibilité bancaire. Cette mission représente un coût pour la Banque postale, qui s'explique par la consommation accrue de services de guichet liée, d'une part, à l'absence de moyens de paiement associés à ce type de livrets A et, d'autre part, au besoin d'un accompagnement humain renforcé.

En contrepartie de cette mission d'intérêt général, la Banque postale reçoit donc une compensation. Celle-ci est jusqu'ici débudgétisée : c'est le fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations qui en assume la charge. Cette compensation suit une trajectoire dégressive pour inciter la Banque postale à assurer l'efficience de sa mission : d'un montant de 338 millions d'euros en 2021, elle sera de 303 millions en 2023 et s'établira à 252 millions d'euros en 2026.

L'article 43 du projet de loi de finances (PLF) pour 2023 prévoit la budgétisation de cette compensation au sein du budget général de l'État, et plus précisément de la mission « Économie ».

Cette réforme nous apparaît opportune pour plusieurs raisons.

Premièrement, elle soulage le fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations d'une charge importante qui ne rentre pas dans le cadre de sa mission principale, le financement du logement social. Deuxièmement, la budgétisation de la compensation met en cohérence l'objectif du dispositif, une mission d'intérêt général, et le financeur, l'État. Elle offre en outre une plus grande portée au vote des crédits par le Parlement. Troisièmement, nous observons qu'en principe, la réforme sera globalement neutre pour l'État d'un point de vue budgétaire ; en effet, l'État pourra prélever le surplus de fonds propres que génèrera le fonds d'épargne à la suite de cette réforme. Nous resterons toutefois particulièrement vigilants quant à l'effectivité de la neutralité budgétaire de cette réforme.

Nous proposerons l'adoption de l'article 43 sans modification.

Outre ces sujets de compensation au groupe La Poste, nous avons également souhaité centrer une partie de nos travaux sur le plan France Très haut débit (FTHD).

Le programme 343 porte en effet une part substantielle de la participation de l'État au financement du plan, qui devrait s'élever au total à 3,64 milliards d'euros d'ici fin 2023. Ce plan vise à contribuer à atteindre l'objectif d'une couverture intégrale du territoire en fibre optique à l'horizon 2025 en subventionnant les réseaux d'initiative publique (RIP), qui sont mis en oeuvre dans les zones dans lesquelles le déploiement n'est pas rentable pour les opérateurs. Les RIP sont des réseaux de très haut débit mis en place dans le cadre de projets des collectivités territoriales, qui doivent s'associer à l'échelle départementale pour bénéficier d'un soutien de l'État, via le FTHD.

Il ressort de notre analyse que ce plan a eu des conséquences très positives sur les déploiements du très haut débit dans les zones concernées. La dynamique est forte avec près de 1 500 000 nouvelles prises de fibre optique déployées sur le premier semestre 2022 dans les RIP, soit 64 % des déploiements sur l'ensemble du territoire sur la période.

Mais nous tenons à évoquer plusieurs points d'alerte s'agissant du déploiement de la fibre optique dans les autres zones.

Tout d'abord, contrairement à ce que l'on pense parfois, les difficultés d'accès à la fibre optique ne concernent pas uniquement les territoires ruraux. Dans les zones très denses, où le déploiement relève de l'initiative des opérateurs, le rythme insuffisant constaté ces derniers semestres perdure. En outre, il existe une forte disparité dans l'avancement du déploiement dans ces zones.

Par ailleurs, dans les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii), dans lesquels les opérateurs privés ont pris des engagements de déploiement vis-à-vis de l'État, ces derniers ne sont pas atteints. De plus, la dynamique de déploiement des opérateurs ralentit dans ces zones.

Enfin, nos inquiétudes portent également sur les zones d'appel à manifestation d'engagement local (Amel), dans lesquelles les opérateurs ont également pris des engagements de déploiement, sur le modèle des zones Amii. À ce jour, seulement un tiers des locaux à rendre raccordables en zone Amel l'a été et le respect des échéances prévues dans chacun des cas n'apparaît pas assuré, loin de là.

Nous considérons, dans ces conditions, que l'Autorité de régulation (Arcep) doit impérativement se saisir de son pouvoir de sanction, afin de contraindre les opérateurs à atteindre leurs objectifs en zones Amii et en zones Amel. Comme nous l'indiquions déjà l'année dernière, l'Arcep ne doit pas attendre d'être saisie par les collectivités elles-mêmes pour agir. Celles-ci ne sont pas vraiment en position de force vis-à-vis des opérateurs pour lancer une procédure de sanction de la part de l'Arcep.

Par ailleurs, alors que les réseaux sont aujourd'hui en phase de déploiement, il nous apparaît nécessaire d'anticiper les coûts liés à l'entretien des réseaux, ainsi qu'à la réalisation des raccordements complexes.

Le financement de ces raccordements complexes doit permettre de sécuriser l'éligibilité de tous nos concitoyens à la fibre. C'est l'alerte que nous avions lancée l'année dernière. Le Gouvernement a annoncé en fin d'année dernière la mobilisation de 150 millions d'euros de crédits pour financer ces raccordements complexes, dont 89 millions d'euros en 2022. La seconde tranche de ce plan est prévue dans le présent budget pour 2023, pour 61 millions d'euros. L'appel à projets correspondant a été lancé en avril 2022.

Si nous nous satisfaisons de l'ouverture de crédits d'un montant identique à ce que nous avions proposé par amendement l'année dernière, nous serons vigilants quant aux résultats obtenus et sur le fait de savoir si ce montant sera suffisant.

Nous souhaitons également aborder un troisième sujet, que nous connaissons bien au Sénat : le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac). Alors que les difficultés touchent de plein fouet l'économie de nos territoires, l'artisanat et le commerce, nous proposons un amendement n° 1 visant à rétablir, au sein de la mission, le Fisac, pour un montant de 30 millions d'euros.

Face à la situation actuelle, il me semble qu'il faut nettement distinguer ce qui relève des dispositifs d'urgence pour sauver les entreprises, notamment en matière énergétique, et les outils d'intervention qui permettent d'aider spécifiquement à la création, à la transmission, au maintien ou à la modernisation des entreprises et des commerces dans les territoires les plus fragiles.

Le Fisac doit permettre aux commerces des territoires d'être préservés et surtout de se moderniser en développant de nouveaux outils. Je pense notamment aux artisans qui pourraient renforcer leur recours aux dispositifs numériques.

Nous voudrions par ailleurs évoquer le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers et à des organismes privés ».

En 2023, les crédits de ce compte s'établissent à 275 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 495 millions d'euros en crédits de paiement. Ces crédits financent notamment les prêts du fonds de développement économique et social (FDES), pour 75 millions d'euros en 2023, auxquels s'ajouteront des reports de crédits.

Sur ce sujet du FDES, nous souhaiterions d'ailleurs que les conséquences de la prolongation de l'encadrement temporaire des aides d'État pour 2023, résultant de la décision de la Commission européenne du 28 octobre 2022, soient tirées, s'agissant du dispositif des prêts bonifiés. En effet, la décision de la Commission européenne ouvre la porte à la prolongation en 2023 du dispositif des prêts bonifiés au bénéfice des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) touchées par les conséquences économiques de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En l'état, le projet annuel de performance du programme 877 correspondant ne prévoit pas la prolongation du dispositif, alors que des crédits non consommés demeurent. Ils étaient de 158 millions d'euros à l'été 2022, sur les 500 millions d'euros de dotation initiale. Nous encourageons donc le Gouvernement à prolonger l'application de ces prêts bonifiés en 2023 en utilisant les crédits non consommés en 2022, sans qu'il n'y ait besoin d'adopter un amendement.

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