La charge de la dette étant en forte augmentation, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » et des comptes spéciaux rattachés sont ceux qui augmentent le plus. C'est par eux que je commencerai puisqu'ils me donnent la rare occasion d'accorder un satisfecit au Gouvernement.
Depuis la crise de la dette grecque, nous accordions des prêts à la Grèce et elle nous versait des charges d'intérêts que nous lui rétrocédions, ce qui revenait à lui accorder un prêt à taux zéro. C'est une bonne nouvelle, le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participation de la France au désendettement de la Grèce » sera clôturé au 31 décembre 2022.
Le compte de concours financiers (CCF) « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » est renommé « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». Cela fait deux ans que j'ai mis en évidence le décalage entre l'ancienne appellation et l'octroi de nombreuses avances qui s'apparentaient à des prêts. Je me félicite de ce changement de sémantique.
En ce qui concerne les crédits de la mission, le seul point positif est l'ouverture en loi de finances des crédits au titre de la contribution française au capital du mécanisme européen de stabilité (MES) dans le cadre du programme 336. En revanche, je le dénonçais déjà l'année dernière et je le dénonce encore aujourd'hui très fortement, les modalités de calcul de la dette Covid mélangent capital et charges d'intérêt et donc l'isolement budgétaire à travers le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 » n'a aucun sens. Il s'agit d'un programme d'affichage sans justification budgétaire, que l'Agence France Trésor gère d'ailleurs avec l'ensemble de la dette.
Autre artifice comptable, la reprise de la dette de SNCF Réseau, qui ne figure pas parmi les crédits dévolus à la charge de la dette alors qu'elle le devrait. Or les charges d'intérêt s'élèveront à près de 1 milliard d'euros en 2023 - avec Emmanuel Macron, le milliard est devenu l'unité de compte monétaire ! -, précisément 900 millions d'euros.
Je souhaite ici établir une comparaison avec le budget général. Les dépenses du budget général se situent à hauteur de 443,9 milliards d'euros, dont 27,3 milliards d'euros pour les dépenses d'investissement et 416,6 milliards d'euros pour les dépenses de fonctionnement, ce qui correspond à un déficit primaire, c'est-à-dire le déficit budgétaire retraité des intérêts de la dette, de 108,6 milliards d'euros. L'amortissement de la dette à moyen et long termes, en remboursement du capital, s'élève à 155,5 milliards d'euros. Les émissions de dettes à moyen et long termes à 270 milliards d'euros. Nous qui avons géré des collectivités, nous savons que notre dette doit correspondre exactement aux dépenses d'investissements réalisés, or nous voyons ici que nos émissions de dettes, qui pour une part significative viennent amortir une dette déjà émise, vont représenter l'équivalent de dix fois ce que nous investissons !
Avant, plus on s'endettait, moins on payait cher : la théorie de l'évaporation suit celle du ruissellement. La corrélation négative entre la charge de la dette et l'endettement effectif a évolué. Exposée aux mouvements de l'inflation, la charge de la dette a diminué de 25,8 % entre 2012 et 2020, mais elle augmente de 45,5 % de 2020 à 2023. Il s'agit d'une explosion inattendue. J'attire votre attention sur la hausse tout aussi impressionnante des taux d'intérêt, au cours des six derniers mois : jamais ils n'ont tant augmenté en si peu de temps, il s'agit d'une hausse historique. L'État prévoit une stabilisation l'année prochaine, une hypothèse à laquelle je ne crois pas trop.
En 2021, la charge de la dette s'élevait à 36,3 milliards d'euros. Plusieurs effets se sont conjugués pour aboutir à une charge de la dette de 49,4 milliards d'euros en 2022 : l'effet volume, provenant du déficit supplémentaire, de 1,3 milliard, l'effet taux de -300 millions d'euros, l'effet inflation - 10 % de la dette environ sont indexés sur l'inflation - de 12 milliards d'euros, et un effet calendaire. L'effet inflation est massif en 2022 en raison de la hausse de la provision pour indexation du capital des titres indexés, mais sera plus favorable en 2023 (-2,2 milliards d'euros) en raison d'une inflation moins forte qu'en 2022, l'effet taux devenant défavorable. Il s'ajoutera à l'effet volume dont l'augmentation (+1,5 milliard d'euros) indique l'absence d'effort accompli sur la maîtrise de la dépense publique par le Gouvernement.
Malgré la volatilité du contexte, nous pouvons miser sur une décélération de l'inflation en 2023, si la récession que nous pressentons se confirme. Il en a toujours été ainsi dans l'histoire économique.
Grosso modo, tous ces crédits sont très évaluatifs. Si les taux remontaient de 10 %, si l'inflation s'accélérait, la France honorerait de toute façon ses engagements.
J'évoquerai maintenant un sujet dont nous avons beaucoup entendu parler cette année : la hausse des crédits des obligations assimilables du Trésor indexées sur l'inflation (OATi) et des obligations assimilables du Trésor indexées sur l'indice des prix de la zone euro (OAT€I). De nombreux acheteurs de notre dette ont besoin d'être couverts par l'inflation. La Caisse des dépôts et des consignations est l'un des plus grands propriétaires d'OATi, les intérêts des livrets A sont en partie indexés sur l'inflation. Les OATi offrent une excellente gestion de l'actif et du passif. Le programme, qui porte la réputation d'être trop cher, s'avère utile et neutre sur le long terme. Ainsi, son impact budgétaire est longtemps resté neutre de 1999 à 2013, mais il a généré beaucoup de recettes entre 2013 et 2021, jusqu'à ce que l'inflation nous fasse revenir, cette année, au point zéro.
Un dernier sujet, les prêts garantis par l'État (PGE), pose un problème. Avec la loi d'écoulement, le remboursement aura lieu avec deux ans de décalage par rapport à la première échéance. Or en cas de défaut de paiement, les autres échéances sont payées par la garantie d'État. Le calibrage opéré en loi de finances pour 2022 s'est avéré large. Sur les 3,5 milliards d'euros votés, le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022 prévoit d'annuler 2 milliards d'euros. La somme de 2 milliards est conséquente et nous sommes dans le flou en ce qui concerne cette opération. Il n'est pas interdit de penser qu'à hauteur de 2,48 milliards d'euros pour 2023, le budget se révèle, a contrario, trop optimiste. Aussi, nous avons beaucoup de doutes, et je souhaiterais examiner le calibrage du PGE pour 2023 jusqu'au dernier moment.
À ce stade, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.