Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 21 décembre 2010 à 14h30
Représentation devant les cours d'appel — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Trois ministres de la justice ont accompagné cette chronique funèbre.

Je pensais, monsieur le garde des sceaux, que vous alliez clôturer ce dossier dans des conditions moins brutales et moins chaotiques.

En fait, tout cela se terminera par un vote conforme et par un débat tronqué au moyen de l’article 40 et de la règle de l’entonnoir, en l’absence de toute véritable discussion sur les amendements. Et cela, alors même que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement nous parlait à l’instant de dialogue constructif et vantait l’enrichissement que pouvait apporter le Sénat aux textes du Gouvernement.

Grâce au doyen Gélard et au vote du Sénat le 23 décembre 2009, l’exécution de cette profession a au moins évité ce qui eût été une véritable spoliation de 440 avoués, doublée du licenciement par l’État de 1 850 collaborateurs.

On ne soulignera jamais assez l’originalité du procédé : liquidation par l’État d’une entreprise en bonne santé, dégageant des bénéfices, suscitant de l’impôt local et national, et embauchant du personnel ! Originalité d’une liquidation ordonnée par le chef de l’exécutif, et dont le coût sera essentiellement payé par le contribuable, et par le justiciable, aussi, qui aura à sa charge une taxe et des frais pour plus de 1000 euros.

Intérêt du justiciable, que de réformes inopportunes, mal préparées sont perpétrées en ton nom !

Si chacun a compris que la décision était irréversible, il n’en reste pas moins qu’il est encore temps de dire fermement que cette réforme, seule réalisation phare découlant du rapport Attali, en sa décision 213, méritait d’être conclue définitivement par la prise en compte de quelques observations légitimes.

Selon M. le rapporteur, la transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur ne constitue pas, elle non plus, une raison valable. La suppression des avoués à la cour relève d’une logique. Il aurait été plus pertinent qu’elle se réalise en 1972 ; ce ne fut pas le cas. Elle pouvait se réaliser dans la clarté, sans la brutalité qui fut employée par Mme Dati, alors même qu’en 2009 la Chancellerie avait laissé délivrer des diplômes à de jeunes avoués.

Deux conditions devaient être remplies : tout d’abord, une indemnisation juste, donc intégrale, pour les avoués, une solution équitable pour chaque collaborateur ; ensuite, une date de prise d’effet de la réforme permettant une période de transition, donc d’adaptation, suffisante. Aucune de ces conditions ne fut remplie.

Heureusement qu’il y eut le travail du doyen Gélard, et je tiens à nouveau à le saluer. Ce fut haro sur la profession d’avoué, à commencer par les avocats qui, frustrés de leur débâcle devant les notaires et les experts comptables, ont trouvé enfin un petit gibier livré prêt à être dévoré.

Le risque dans cette réforme serait qu’elle n’aboutisse pas à la réalisation d’objectifs partagés : qualité du droit, accélération de la procédure, accès du justiciable au droit. Nous sommes de ceux qui considèrent que l’évolution de la procédure d’appel était inéluctable et nécessaire, mais dans le cadre d’une approche complète englobant les questions de la dématérialisation, de la fusion, de la spécialisation et d’un véritable tarif répétible.

En ce qui concerne l’accélération de la procédure, reportez-vous à l’étude d’impact : le nombre des appels augmentera d’au moins 15 %, tandis que les effectifs des magistrats resteront constants. Aussi, les dossiers ne seront pas traités plus rapidement.

Pour ce qui est de la simplification de la procédure, le justiciable pourra désormais s’adresser à un professionnel unique, nous dit-on. Mais c’était déjà le cas dans l’immense majorité des dossiers, le justiciable s’adressant directement à l’avocat.

Quant à la réduction du coût de la justice d’appel, notre excellent rapporteur considère avec sagesse que ce motif est « discutable », en raison notamment de la taxe.

Monsieur le garde des sceaux, je me dois, à ce stade, de renouveler mon interpellation sur le problème fondamental de l’aide juridictionnelle dans la procédure d’appel, problème occulté par vos prédécesseurs de toutes sensibilités. Il s’agit là de la défense du justiciable démuni.

Il existait une indemnité d’aide juridictionnelle, ridicule, de quatorze unités de valeur pour chacun des professionnels. Allez-vous les cumuler, les réévaluer dans l’avenir ?

Je reste aussi convaincu que la réforme, telle qu’elle est engagée, va inéluctablement et rapidement, mais, je l’espère, non durablement, entraîner une baisse de la qualité du droit devant les cours d’appel. Les avoués connaissant parfaitement la jurisprudence et évitant nombre d’appels voués à l’échec, jouaient certainement le rôle d’un très bon tamis. De plus, connaissant les arcanes de la procédure d’appel, ils corrigeaient et évitaient nombre d’événements procéduraux, et assuraient un lien de proximité entre tous les intervenants.

Ceux qui rêvent aujourd’hui d’une justice totalement dématérialisée, de la généralisation de la visioconférence, oublient, en parfaits technocrates, que la justice est d’abord une question de relations humaines, et nécessite l’écoute, la vision et l’intelligence non d’une machine mais d’un homme.

Nous avons déposé une série d’amendements qui portent globalement sur trois problèmes : l’indemnisation des avoués, le sort des salariés et la période charnière. Nous savons cependant que cela ne servira strictement à rien et que, comme je l’ai dit, tous les moyens – article 40, entonnoir - seront mis en œuvre, car tout est bon pour étouffer le débat et aller vite.

Ce n’est pas une bonne chose.

Sur l’indemnisation, en particulier celle des avoués les plus jeunes, qui vont avoir une vraie difficulté de carrière, la question des plus-values est extrêmement importante, et je salue encore l’intervention du doyen Gélard sur ce point. Nous avons encore besoin sur ce sujet de réponses claires.

Je précise, monsieur le garde des sceaux, que, dans la note transmise par votre ministère, il est mentionné « pour plus de détails, nous tenons à votre disposition une fiche explicative ». Nous l’attendons encore ! Voilà encore une promesse non tenue, encore une fiche occulte…Peut-être la recevrons-nous bientôt !

Concernant le sort des salariés, vous nous dites que le ministre a offert 164 postes de catégorie C en 2010 ; on nous en avait annoncé 380. Notre collègue Alain Anziani a parfaitement décrit la situation et ce qui s’est passé pour écarter les candidats ou pour les dégoûter.

Aujourd’hui, le droit de déposer un dossier est un véritable leurre. À ma connaissance, aucune convention n’a été signée entre l’État, la Chambre nationale des avoués et les représentants des salariés.

Pour ce qui est du reclassement, aucune aide spécifique n’est prévue. Monsieur le garde des sceaux, l’État s’aligne-t-il sur Molex ? Voilà la bonne question !

En ce qui concerne la période charnière, tout a déjà été dit sur le décret Magendie. Vous savez parfaitement qu’il ne peut être efficient et sécurisé avant le 1er janvier 2013. Dire l’inverse ne correspond pas à la réalité ! Il est significatif que la Chancellerie ait demandé le renouvellement de la convention NIO ADESIUM pour un an.

La réalité, c’est que la plateforme e-barreau n’est pas globalement opérationnelle, et tout le monde le sait ! Vous vous arc-boutez sur la date du 31 mars en raison d’annonces antérieures. La sécurisation des procédures impose un changement de calendrier.

Encore une fois, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est la méthode de la rupture qui a été privilégiée dans ce dossier, ici pour détruire une profession qui consentait manifestement à disparaître, mais qui, légitimement, attendait que vous l’enterriez au moins avec les honneurs !

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