Intervention de Virginie Klès

Réunion du 21 décembre 2010 à 14h30
Représentation devant les cours d'appel — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Cela s’appelle tout simplement une enquête d’utilité publique.

J’ai donc voulu mener en quelque sorte une enquête d’utilité publique sur ce texte parce que, quand il s’agit de rendre la justice moins chère, de la rapprocher du justiciable, de favoriser l’appel, d’aider ceux qui ont besoin de la justice, ceux qui sont vulnérables et faibles, il me semble important de se replacer dans le contexte général de la justice aujourd'hui.

Dans ce contexte, cela a été rappelé mais je ne sais pas si tout a vraiment été rappelé, la réforme de la carte judiciaire est, à mon sens, le premier mauvais coup porté à la maison « Justice ». D’ailleurs, on s’en aperçoit aujourd’hui, puisque, dans certains secteurs – c’est notamment le cas à proximité de ma commune – des tribunaux qui avaient fermé sont rouverts à grands frais. Certes, on répare quelques erreurs, mais quel dommage qu’elles aient été commises ! Quel dommage que l’on soit allé trop vite et que cela doive coûter cher à tout le monde !

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui ne va pas vraiment dans le sens d’une plus grande indépendance de la justice, ne favorisera pas non plus une justice sereine. Et l’on ne peut que déplorer les atteintes qui sont portées à la justice quand, au plus haut niveau de l’État, des décisions rendues par des magistrats donnent lieu à commentaires.

Tous ces textes, toutes ces mesures tendent à favoriser la constitution en France de gros cabinets d’avocats à l’anglo-saxonne, une culture judiciaire à l’anglo-saxonne et un fonctionnement de la justice à l’anglo-saxonne, mais ce n’est pas ce à quoi nous étions habitués et, en tout cas, ce à quoi j’aspire en tant que citoyenne française.

La suppression des juges d’instruction est, certes, pour le moment, mise en sommeil, mais elle ne manquera pas, tel le monstre du Loch Ness, de ressurgir un jour. La justice se réveillera tout à coup avec un système à vitesses variables. C’est ainsi, on avance par à-coups, on fait un grand pas, on s’arrête, on recule, on oublie et on avance de nouveau, à l’image d’ailleurs de ce que nous avons vécu avec l’examen du présent texte.

Ces mouvements d’accordéon affectent les plus fragiles, les plus défavorisés. Les moyens qui sont alloués à la Protection judiciaire de la jeunesse lui permettront-ils de fonctionner demain ? Quant à l’aide juridictionnelle, ses moyens diminuent drastiquement, quoi que l’on en dise.

Et que dire du budget de la justice lui-même ?

La part que l’on réserve à la projection pluriannuelle des créations de postes de magistrat, l’anticipation qui serait nécessaire au vu de la pyramide des âges des juges, les recrutements à l’École nationale de la magistrature, tout cela me semble plus que problématique. Alors, le budget de la justice se serait bien passé de ce nouveau mauvais coup, de cette dépense qu’on lui impose aujourd’hui, que plus personne ne sait chiffrer, mais qui augmente progressivement tous les ans, chaque fois que l’on reparle de cette réforme de la représentation devant les cours d’appel !

Beaucoup ayant déjà été dit sur ce texte, je me bornerai à souligner quelques points. Nous aurons l’occasion, lors de la défense de nos amendements, d’y revenir plus longuement.

La première chose que je dénoncerai, la plus gênante peut-être, c’est de nouveau le délai insuffisant qui nous est laissé, la précipitation qui caractérise l’examen de ce texte, avec un calendrier en accordéon qui entraîne des incohérences, des erreurs, même si l’erreur est humaine…

Certains textes seront demain inapplicables, anticonstitutionnels pour une part, tout simplement parce que l’on ne veut pas prendre le temps de la réflexion, alors que de nombreuses modifications sont intervenues au cours de la navette, ne serait-ce que la réintroduction du juge de l’expropriation dans le présent projet de loi, et que, du fait de l’année de retard que nous venons de prendre, bien des choses ont également changé.

Alors n’agissons pas dans la précipitation. Prenons un, deux ou trois mois de plus, s’il le faut, pour examiner de nouveau ce texte. Donnons-nous le temps, pourquoi pas ? d’une troisième lecture, et non pas seulement d’une CMP. Quel mal y a-t-il à vouloir prendre le temps d’étudier les dispositifs que nous votons afin d’éviter les erreurs et les inéluctables mesures qui sont prises pour les réparer ensuite ?

Parlons aussi du chômage, monsieur le garde des sceaux.

Cette réforme aura pour conséquence de mettre beaucoup de salariés au chômage, en particulier des femmes, souvent peu diplômées, âgées de 40 à 45 ans, et elles auront beaucoup de difficultés à retrouver un emploi, en tout cas un emploi au même niveau de rémunération et aussi intéressant. C’est également une question dont nous aurons l’occasion de reparler.

À cet égard, l’alinéa 3 de l’article 9 entraîne aujourd'hui les avoués à dissoudre purement et simplement leurs sociétés pour pouvoir constater des moins-values et être moins taxés demain. Cette disposition les incite donc à licencier l’ensemble de leur personnel sans même savoir si, demain, une fois devenus avocats, ils ne pourront pas faire vivre leurs cabinets, même avec moins de salariés. Les délais qu’on leur impose aujourd’hui ne leur laissent même pas le temps de réfléchir à cette question.

On leur impose de liquider les sociétés, de licencier le personnel et de faire remonter des moins-values pour que, à tout le moins, cette réforme ne leur coûte pas trop cher à eux, avoués, et que l’argent ne sorte pas de leur poche.

Alors concilier atteinte aux biens privés et utilité publique me semble ici un peu difficile.

Pour ce qui est de l’utilité publique, l’objet de la réforme est, nous dit-on, de faciliter l’accès à la justice, singulièrement en appel.

Comme nous l’avons déjà longuement souligné lors de la première lecture du texte, et cela reste vrai en deuxième lecture, pour le contribuable, on le sait, l’appel sera plus difficile, plus cher et donc moins accessible financièrement.

On fait financer cette réforme voulue par l’État par les contribuables, par les justiciables. Est-ce normal, est-ce logique, est-ce bien ?

Les petits cabinets d’avocats, ceux qui subsistent encore dans nos provinces, n’auront jamais les moyens de recruter les compétences nécessaires ni de se former pour suivre leurs clients en appel. Ils devront donc, pour l’appel, renvoyer leurs clients vers les gros cabinets d’avocats, dans la Capitale ou les grandes métropoles…

Est-ce cela, rapprocher la justice du justiciable ? Est-ce cela, favoriser l’appel, favoriser l’accès à la justice ? C’est tout le contraire, et c’est encore désertifier un peu plus nos campagnes.

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