Intervention de Jacques Grosperrin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits « enseignement scolaire » - examen du rapport pour avis

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur pour avis sur les crédits Enseignement scolaire :

Monsieur le président, mes chers collègues, à l'occasion de ce rapport pour avis, j'ai fait le choix cette année de développer plus particulièrement, parmi toutes les thématiques que permet d'aborder la mission « Enseignement scolaire », les questions relatives à l'attractivité du métier d'enseignant. J'ai fait ce choix en lien avec une actualité qui a mis en évidence une crise de recrutement très problématique lors des concours de 2022.

Mon rapport s'inscrit sur ce point dans la continuité des travaux de nos collègues Françoise Laborde et Max Brisson sur le métier d'enseignant, et dans la complémentarité des analyses du rapporteur spécial, Gérard Longuet, sur les rémunérations.

Les crédits de la mission Enseignement scolaire pilotés par le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse (hors enseignement agricole, programme relevant du ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire) s'établiront en 2023, en crédits de paiement et à structure budgétaire courante, à 58 821,416 millions d'euros au lieu de 55 245,271 millions d'euros dans la loi de finances pour 2022 (hors contributions aux pensions de l'État), soit une hausse de 6,5 % (+ 3,57 milliards d'euros).

L'effort financier est donc réel.

J'ai toutefois identifié trois principaux points de vigilances qui devront impliquer de notre part, dans les mois à venir, un suivi attentif - je dirais même sans concession :

Premier point de vigilance : des moyens substantiels sont dédiés à la revalorisation des rémunérations des enseignants (935 millions d'euros entre septembre et décembre 2023). Au total, l'ensemble des mesures de revalorisation représentent dans le budget plus de 1,135 milliard d'euros. Mais suffiront-elles à produire le « choc d'attractivité » nécessaire ? Il faudra poursuivre cet effort pendant de longues années avant que la revalorisation reçoive une traduction concrète. Le ministre nous l'a d'ailleurs confirmé la semaine dernière.

L'objectif est qu'aucun enseignant débutant ne gagne moins de 2 000 euros : c'est un minimum avec ce niveau de diplôme !

Il y a dans ce domaine des marges de progression évidentes : la rémunération moyenne des enseignants équivaut actuellement à celle d'un fonctionnaire de catégorie B de la Police nationale ; le salaire médian est de 2 290 euros, ce qui veut dire que la moitié des enseignants gagne moins ; le déroulement de carrière est lent et aléatoire, les grades supérieurs (hors classe et classe exceptionnelle) sont atteints à un âge avancé et concernent peu d'enseignants (mon rapport détaille les chiffres : je vous y renvoie).

Deuxième point de vigilance : le schéma d'emplois prévoit une diminution de quelque 2 000 postes d'enseignants en 2023.

Les projections démographiques prévoient dans les prochaines années une baisse sensible du nombre d'élèves (environ 100 000 élèves par an). De plus, selon le ministère, les suppressions de postes s'élèveraient à 5 000 si l'on tirait toutes les conséquences de cette évolution.

Toutefois, ces 2 000 postes en moins interrogent, compte tenu des besoins liés à l'amélioration du taux d'encadrement, et des vives tensions sur les moyens humains que connaît l'éducation nationale.

Il n'est pas exclu que ces tensions, que risquent d'aggraver les suppressions de poste, fragilisent les moyens mobilisables pour des remplacements de courte durée, et affectent la participation des enseignants à des sessions de formation continue, alors même qu'il s'agit là d'un besoin essentiel - le Grenelle l'a montré.

Troisième point de vigilance : l'école inclusive.

Voici quelques chiffres pour éclairer la réflexion : il y avait plus de 430 000 élèves en situation de handicap à la rentrée de 2022 ; ce nombre augmente de 6% par an depuis 2012 ; il a augmenté de de 81% entre 2012 et 2021 ; malgré la baisse démographique à venir, les projections tablent sur un besoin croissant en ULIS (+ 2% par an) ; les notifications d'affectation en ULIS progressent chaque année de 8,6%.

2,4 milliards d'euros sont inscrits dans le PLF 2023 au titre du programme 230. Or malgré ces moyens importants, les besoins ne sont pas couverts. D'une part, les élèves ne pouvant être accueillis en établissements médico-sociaux, faute de places disponibles, sont affectés en ULIS, ce qui réduit le nombre de places en ULIS pour les élèves qui, malgré une notification d'affectation en ULIS, doivent être scolarisés en milieu ordinaire. D'autre part, le manque d'AESH est bien connu : 56 % seulement en moyenne des élèves en situation de handicap bénéficient d'un accompagnement humain. Dans l'académie de Versailles, il manquait 700 AESH à la rentrée de 2022.

4 000 postes d'AESH sont créés par le budget, mais il est évident que cette profession, marquée par une vraie précarité, reste peu attractive malgré les efforts récemment entrepris pour revaloriser les rémunérations. Sur ce point, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale pour augmenter de 80 millions d'euros les rémunérations des AESH est une bonne chose. Il reste aussi à progresser sur la prise en charge du temps de travail des AESH pendant la pause méridienne et le temps périscolaire, car le temps partiels contraint amplifie la faiblesse des rémunérations de ces personnels. La mission d'information prévue sur ce sujet au sein de notre commission vient donc à point nommé.

Je consacre un passage de mon rapport au bilan de l'accueil des 19 000 élèves ukrainiens en France depuis le début de la guerre. Je me bornerai ce matin à mentionner que, selon le ministre de l'éducation nationale, ces élèves ont un an d'avance sur les nôtres en mathématiques. Ce constat préoccupant confirme l'urgence d'un effort dans ce domaine où le système français excellait autrefois...

J'en viens aux parties du rapport consacrées à l'insuffisante attractivité du métier d'enseignant.

Évoquons tout d'abord les concours de 2022, marqués par une baisse très alarmante du nombre de candidats, surtout dans le premier degré. On compte au total 3 756 postes non pourvus : le nombre a été multiplié par trois entre 2021 et 2022.

Dans le premier degré, les difficultés se sont concentrées sur les académies de Créteil et de Versailles, dans une moindre mesure de Paris. Dans leur majorité, les autres académies semblent avoir réussi à recruter à la hauteur de leurs besoins.

Selon le ministère, le « creux » de 2022 est la conséquence mécanique des nouvelles conditions d'accès aux concours de l'enseignement, qui supposent désormais d'être titulaires d'un master. Les étudiants de master MEEF passent donc les concours en M2 et non plus en M1. L'année 2023 devrait donc, selon cette logique, être plus propice grâce à la reconstitution du vivier de candidats.

Nous devrons donc être vigilants lors des prochains concours. Pour ma part, je crains que la chute observée en 2022 ne soit pas passagère. En effet, le nombre d'inscrits en master MEEF baisse (sauf pour l'option Encadrement éducatif), ce qui traduit une diminution de l'intérêt des jeunes pour l'enseignement, même si tous les candidats aux concours ne sont pas issus de ces formations.

Je passe rapidement sur la problématique du recours aux contractuels, vous renvoyant sur ce point à mon rapport. Par-delà l'emballement médiatique inspiré par les «rendez-vous de recrutement » et les quatre jours de formation organisés en août dernier, le besoin de contractuels risque de perdurer. Nous devrons donc être attentifs à la manière dont ces personnels sont recrutés et formés.

J'en viens aux leviers à mobiliser pour enrayer le déclin de l'attractivité du métier d'enseignant.

Le ministre a parlé d'un « sentiment de déclassement ». Celui-ci a été parfaitement commenté dans le rapport de Max Brisson et de Françoise Laborde en 2018.

Parmi les enjeux de la revalorisation du métier d'enseignant, j'insiste sur la gravité des statistiques relatives aux démissions. Officiellement, on estime que les démissions représentent des proportions « peu significatives » rapportées aux effectifs globaux : 0,34% seulement des effectifs des premier et second degrés.

En réalité, le phénomène est inquiétant, non seulement parce qu'il augmente régulièrement (la courbe est très nettement ascendante), mais aussi par la forte proportion d'enseignants jeunes et en début de carrière, parfois dès l'année de stage. Le système peine donc non seulement à recruter, mais aussi à fidéliser.

En outre, rapportés aux résultats des concours, les effectifs concernés sont loin d'être anodins. Les 1 499 démissions constatées en 2020-2021 dans le premier degré équivalent à 15 % des admis aux concours de professeur d'école en 2021. Les 912 démissions en 2020-2021 de professeurs du second degré équivalent à 7,5 % des lauréats des concours de 2021.

Qu'elles concernent des enseignants chevronnés ou des débutants, les démissions s'apparentent à un véritable gâchis humain et financier, a fortiori dans le contexte actuel de crise de recrutement.

L'amélioration des débuts dans la carrière d'enseignant est donc une urgence pour rendre plus attractif un métier dont on peut comprendre qu'il peine à attirer.

Sur ce point, le « bizutage institutionnel » dénoncé dans un rapport au ministre par Jean-Pierre Obin en 2002 reste d'actualité. Pour faire simple, dans l'enseignement les conditions d'exercice les plus dures sont pour les plus jeunes.

Nous le savons, la mobilité géographique est une contrainte considérable pour les enseignants, surtout en début de carrière puisque l'ancienneté est décisive dans le barème. C'est le deuxième motif de saisine de la médiatrice de l'éducation nationale, qui connaît bien ce sujet. Faute d'avoir obtenu leur exeat, plus de 8 700 enseignants sont en disponibilité pour suivi de conjoint. Les conséquences en termes de rémunération et de retraite sont regrettables. Là encore, c'est un vrai gâchis.

Il est indispensable de travailler dans le sens d'une plus grande souplesse en matière de mutation géographique pour améliorer l'attractivité de l'enseignement. Je ne vois pas comment convaincre les jeunes de faire le choix d'un métier cumulant les inconvénients d'une rémunération relativement faible, de perspectives de carrière limitées et aléatoires, d'un temps de travail important et d'un risque d'enfermement territorial qui affecte considérablement la conciliation vie professionnelle/vie privée.

La démarche contractuelle proposée par Max Brisson et Françoise Laborde dans leur rapport de 2018 est évidemment une piste prometteuse, dont le ministère gagnerait à s'inspirer.

Un mot, pour finir, sur la formation initiale des enseignants, dont la réforme récente - concernant plus particulièrement l'année de stage - est commentée dans mon rapport. Selon des témoignages que j'ai consultés, les enseignants débutants trouvent leur formation trop théorique pour leur permettre des débuts sereins dans la carrière. Ils se sentent insuffisamment préparés aux situations auxquelles ils sont souvent confrontés. Je pense plus particulièrement à l'école inclusive et aux besoins éducatifs particuliers. En outre, je vous mets au défi de trouver sur Éduscol ou Canopé des outils pédagogiques gratuits et concrets répondant à ce besoin. Le rapport donne des exemples précis de cette lacune.

La réforme prévoit un effort en matière d'accompagnement : il était temps ! Là encore, la vigilance s'impose et nous devrons contrôler attentivement sa mise en oeuvre.

En conclusion, malgré les points de vigilance que j'ai exposés, qui devront impliquer de notre part un suivi rigoureux, je vous propose, mes chers collègues, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Enseignement scolaire, eu égard à l'effort réel qu'elle traduit, notamment à l'égard du monde enseignant, et par cohérence avec le vote émis par la commission des finances.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion