Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 17 novembre 2022 à 10h30
Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi — Vote sur l'ensemble

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après le vote récent, par le Sénat, d’un amendement de report de l’âge de la retraite, ce volet du projet néolibéral relatif au fonctionnement du marché du travail marque un nouveau recul pour les droits des travailleurs. Il pervertit le système assurantiel en le mettant au service, non de la protection contre le risque de licenciement, mais d’une politique de baisse des allocations visant à affaiblir la capacité des demandeurs d’emploi de négocier des conditions d’emploi dignes.

Ainsi en est-il des dispositions qui ont été introduites au Sénat et validées par la CMP, comme la suppression des allocations après deux refus d’un CDI à l’issue de CDD : en plus d’être une usine à gaz, cette mesure perpétue la politique du soupçon et de la menace envers les chômeurs, accusés de préférer les prestations de chômage au travail, travail par lequel, on feint de l’oublier, ils ont acquis ces droits !

Opposer prestation et travail est un non-sens, mais je vous accorde, mes chers collègues, que cette petite musique de division répétée à satiété par les médias finit par pénétrer les esprits ; la majorité sénatoriale, bien sûr, y contribue, après d’autres, malheureusement…

À la faveur d’un effet de loupe sur une extrême minorité de cas, on prétend justifier un durcissement des modalités d’accès à l’assurance chômage et une diminution des allocations ou de la durée d’indemnisation, qui ont pour effet et, disons-le, pour objet de réduire les marges de manœuvre et d’arbitrage des demandeurs d’emploi en vue de les contraindre à accepter plus vite des emplois de piètre qualité.

Un tel scénario s’est vérifié au Canada, pays qui sert de modèle, où les études ont montré que la contracyclicité et le durcissement de l’accès à l’assurance chômage conduisent les chômeurs à accepter des emplois moins rémunérés, bloquant durablement leurs perspectives d’évolution de carrière.

Voilà quel est l’objectif, avec la baisse des dépenses.

Ce texte offre un blanc-seing au Gouvernement, désormais libre de moduler les règles de l’assurance chômage, après un simulacre de concertation avec les partenaires sociaux, qui sont privés de négociations, car ils sont unanimement opposés à la contracyclicité.

Il faut avancer vite pour libérer le marché du travail et reprendre leurs droits aux travailleurs !

Tout à son objectif d’un « plein emploi » apparent, fixé à 5 % de taux de chômage, le Gouvernement ignore les faits et la recherche.

Il refuse de s’interroger sur les causes réelles des tensions dans certains secteurs.

Répétons-le, en effet, 6 % seulement des 3 millions d’offres déposées auprès de Pôle emploi étaient non pourvues en 2021, soit 186 000 emplois. Or, selon Pôle emploi, « les trois quarts des recruteurs [d’une offre non pourvue] reconnaissent que les conditions de travail du poste proposé peuvent décourager le candidat ». Quant à la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), elle souligne que les difficultés d’embauche dans certains secteurs en tension sont liées aux conditions de travail dégradées et aux salaires insuffisants.

Les offres non pourvues ont donc essentiellement à voir avec la qualité de l’offre, ce qui explique que, comme le note l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les 60 % de chômeurs non indemnisés n’acceptent pas non plus ces emplois.

Cette réforme aggravera la situation de précarité de beaucoup de chômeurs : non, les allocations chômage ne « désincitent » pas au travail ; non, on ne gagne pas plus au chômage qu’en activité !

Selon l’Unédic, les personnes indemnisées par l’assurance chômage perçoivent en moyenne une allocation inférieure au seuil de pauvreté. Sept chômeurs indemnisés sur dix reçoivent une allocation durant moins d’un an. Près de la moitié des bénéficiaires de l’allocation chômage travaillent déjà partiellement et, selon la Dares, le taux de non-recours est compris entre 25 % et 42 %.

Pour eux, comme pour les 2 millions de personnes qui grossissent chaque année les rangs du « halo du chômage », cette réforme n’apporte rien ; elle aggrave leur situation.

En somme, en réduisant le problème du chômage à la notion d’aléa moral et en l’imputant à des comportements individuels calculateurs à la petite semaine, vous refusez de mettre en question ses causes structurelles, qui ont trait à la dégradation des salaires et des conditions de travail ainsi qu’à la perte de sens de nombreux emplois.

Comme l’écrivait le sociologue Charles Wright Mills, « lorsque, dans une nation, plusieurs millions de salariés sont au chômage, on a affaire à un enjeu collectif. L’énoncé correct du problème réclame l’examen préalable des institutions économico-politiques de la société, et non plus des seuls caractères propres aux individus ».

Ce projet de loi aurait pu servir la cause du travail et des droits des travailleurs, mais ses auteurs ont choisi d’endosser le raisonnement partial et intéressé du patronat, qui se lamentera ensuite de la non-motivation des travailleurs que vos réformes auront poussés à accepter des emplois non attractifs…

En France pas plus qu’au Canada, cette réforme ne résoudra la crise de l’attractivité. Le groupe écologiste votera contre.

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