Intervention de Monique Lubin

Réunion du 17 novembre 2022 à 10h30
Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi — Vote sur l'ensemble

Photo de Monique LubinMonique Lubin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du présent projet de loi aura été l’occasion pour le Gouvernement de montrer son vrai visage. Il n’est plus dans le « en même temps » et confirme qu’il n’est ni de gauche ni de gauche !

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’était déjà pas d’accord avec l’évolution de l’assurance chômage résultant de la réforme de 2018. C’est peu de dire que nous sommes aujourd’hui opposés à la radicalisation de ses dispositions et au sort dévolu aux partenaires sociaux !

Le texte dont nous discutons aujourd’hui qui, d’emblée, tournait le dos au paritarisme et dégradait les droits des travailleurs actait dès le début la contracyclicité qui sera inscrite dans le code du travail. Celle-ci a pourtant été un désastre dans les pays qui l’ont pratiquée, comme le Canada. Au vu de l’expérience de ce pays, l’instabilité qu’une telle disposition promet aux travailleurs et l’arbitraire qu’elle ouvre à leur détriment est, pour nous tous, une promesse de difficultés accrues dans de brefs délais.

Ce texte déjà peu enthousiasmant est arrivé au Sénat encore durci par les débats de l’Assemblée nationale. Les apports de la chambre basse aboutissent notamment à considérer comme démissionnaire tout salarié présumé fautif d’un abandon de poste et, ainsi, à le priver de toute indemnisation au titre du chômage.

Cela atteste du choix de gouverner au préjugé, en incriminant le travailleur. Aucune donnée objective, a fortiori chiffrée, n’est avancée pour étayer une telle mesure, ne serait-ce que par les rapporteurs.

Avec une telle disposition, nous risquons de compliquer la mise au jour des raisons pour lesquelles l’abandon de poste aura eu lieu. Ces raisons sont potentiellement liées aux caractéristiques inhérentes au management de l’organisation que le travailleur s’est résolu de quitter ou aux conditions de travail qui lui sont imposées.

De maigres protections ont, certes, été ajoutées dans le texte, mais elles sont très insuffisantes. En tout état de cause, devant les prud’hommes, la charge de la preuve incombera au salarié : cela revient à inscrire dans la loi la logique du pot de terre contre le pot de fer. La procédure sera de facto difficilement opérante au vu des délais et des coûts qu’elle implique.

Cerise sur le gâteau, nous avons toutes les raisons d’estimer que la mesure comporte en réalité pour l’employeur plus de risques juridiques que de garanties, à l’opposé de l’objectif des partisans du dispositif. Sous prétexte de clarifier l’abandon de poste, le régime même de la démission devient en effet équivoque !

Au Sénat, la majorité sénatoriale a encore aggravé le texte, et le Gouvernement a décidé de la suivre.

Les demandeurs d’emploi sont envisagés ici non pas comme des citoyens ayant cotisé à l’assurance chômage de manière à bénéficier d’une indemnisation en cas de perte d’emploi, mais comme des suspects en puissance, des profiteurs qui n’auraient en rien participé au financement d’une assurance perçue comme une manne pour se laisser aller à la paresse.

Il est remarquable que les amendements visant à durcir les conditions faites aux personnes en recherche d’emploi ne soient basés sur aucune – je dis bien aucune – étude rigoureuse donnant une quelconque assise aux projections que traduisent les choix de la majorité et du Gouvernement. Ce qui donne le ton ici, c’est une certaine vox populi, et certainement pas des données fiables.

Le choix de la majorité du Sénat, validée par le Gouvernement, de sanctionner une personne ayant refusé un CDD à trois reprises est ainsi désastreux.

J’ai mentionné au cours des débats l’exemple d’une personne de 50 ans qui, à cause de la fermeture de son entreprise, perdrait son emploi après trente ans de carrière alors qu’elle bénéficiait d’un salaire correspondant à son ancienneté. Cela arrive tout le temps, partout en France. Au bout de quelques mois, n’ayant pas retrouvé d’emploi équivalent à celui qu’elle a perdu, arrivant en fin de droits, cette personne accepte un emploi en deçà de ses aspirations légitimes : un emploi moins rémunéré, moins intéressant ou peut-être difficile, si bien que lorsque l’on va lui proposer un CDD, cette personne ne l’acceptera pas. La situation peut se répéter plusieurs fois avant qu’une occasion permettant une forme de « retour à la normale » pour elle ne puisse enfin être saisie.

À cet âge, n’est-il pas légitime de vouloir disposer de temps pour retrouver un emploi correspondant à une expérience, à des compétences et compatible avec son état de santé ? Je repose la question : qui sommes-nous pour graver dans le marbre des dispositions qui l’interdiront et qui mettront en difficulté des personnes dont nous ne connaissons pas la vie ?

Pour conclure, ce n’est pas légiférer dans un esprit de justice et avec le souci de notre démocratie sociale que de ramener les demandeurs d’emploi à une seule et même entité, à un seul et même préjugé, selon lequel tous seraient peu empressés de retrouver un travail et il faudrait les forcer à revenir vers l’emploi.

Il y aurait sans doute eu de belles choses à faire dans le cadre d’un projet de loi de réforme de l’assurance chômage pour aller vers une assurance chômage négociée par les partenaires sociaux, fondée sur un mécanisme assurantiel, dotée de financements propres et ouverte à ceux qui en sont exclus aujourd’hui. Tel n’est pas le cas ici. Nous nous opposerons donc à ce texte.

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