Intervention de Daniel Gremillet

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - crédits « énergie » - examen du rapport pour avis

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet, rapporteur pour avis de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » :

Le projet de loi de finances pour 2023 intervient dans un contexte inédit de crise énergétique, qui bouleverse les hypothèses macroéconomiques et les prévisions budgétaires.

Les crédits « Énergie » de la mission « Écologie » s'élèvent à 17 milliards d'euros pour 2023. Ils sont complétés par le plan de relance depuis 2021, rattaché à la mission « Plan de relance », et par le plan « France 2030 » depuis 2022, rattaché à la mission « Investissements d'avenir ».

Toutefois, cet apparent effort budgétaire doit être relativisé. La hausse de 40 % du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » est due à un redéploiement de crédits, et non à leur revalorisation.

La baisse de 42 % du programme 345 « Service public de l'énergie » s'explique par la flambée des prix des énergies, et non par des économies.

L'engagement des crédits « Énergie » ne dépasse pas 15 % pour le plan d'investissement et 25 % pour le plan de relance, loin de ceux annoncés.

Avec 360 millions d'euros, le compte d'affectation spéciale (CAS) « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (FACÉ) est stable.

Le Gouvernement entend prolonger le bouclier tarifaire, pour un coût global de 45 milliards d'euros et un coût net de 20 milliards d'euros environ. Sont prévus un blocage ou une compensation des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz, un amortisseur électricité au-delà de ces tarifs réglementés, des aides pour l'électricité et le gaz pour les collectivités territoriales et les entreprises énergo-intensives, ou encore un chèque ou une remise sur les combustibles et les carburants.

Cette prolongation du bouclier tarifaire m'inspire plusieurs commentaires. Son évaluation préalable est insuffisante, car elle a été introduite par des amendements gouvernementaux aux textes financiers.

S'agissant des bénéficiaires, ils sont ciblés. Les tarifs réglementés de vente ne concernent que 28 % de la consommation d'électricité et 8 % de celle de gaz ; ils disparaîtront le 1er juillet pour le gaz. Et aucune condition d'éligibilité n'est précisée pour l'amortisseur électricité...

Concernant les volumes, ils sont insuffisants. Même atténuée, la hausse des tarifs réglementés sera de 15 % en 2023. De plus, les chèques et remises sont l'équivalent d'un plein, guère plus.

Pour ce qui est des modalités, elles sont perfectibles. Si l'électricité est bien prise en compte, ce n'est pas le cas des autres énergies. Ainsi, il est prévu une baisse de la taxe intérieure de consommation pour l'électricité, mais pas pour le gaz.

Enfin, au-delà de ces mesures conjoncturelles, le manque de solutions structurelles est patent. À l'échelon national, n'ont été désignés ni les fournisseurs de secours et de recours en gaz ni les correspondants solidarité-précarité, pourtant utiles pour protéger les consommateurs. À l'échelon européen, le découplage du prix de l'électricité et de celui du gaz est encore attendu.

Le Gouvernement propose d'abaisser la fiscalité énergétique de 9 %. C'est une bonne nouvelle, mais les incitations fiscales sont elles aussi en baisse, de 4 %.

J'identifie donc plusieurs points de vigilance à ce sujet.

La taxation de la rente inframarginale ne doit pas pénaliser les installations renouvelables ou en cogénération.

Le taux réduit de TVA à 5,5 % sur la rénovation énergétique doit continuer de bénéficier aux travaux liés.

La prise en compte de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) dans les exonérations de taxe foncière est prématurée.

L'évolution proposée des redevances hydroélectriques n'est pas admissible, car elle conduit à supprimer une souplesse administrative adoptée par notre commission dans la loi « Climat-Résilience » de 2021, ainsi que des recettes perçues par les collectivités territoriales.

Enfin, la production de biogaz et de bioénergies est très taxée et la conversion des véhicules et des chaudières est peu soutenue.

C'est pourquoi j'ai proposé une quinzaine d'amendements fiscaux, à titre personnel, dont l'examen se poursuit.

J'en viens aux crédits « Énergie » de la mission « Écologie », qui sont limités pour réussir la décarbonation de notre économie.

Premier domaine : la transition énergétique. Compte tenu de la flambée des prix, les charges de service public de l'énergie, qui sont des dispositifs de soutien public aux énergies renouvelables et à la lutte contre la précarité énergétique, sont négatives en 2023 ; c'est une première. Pour l'État, elles ne constituent plus des charges, mais des recettes ; pour les opérateurs, elles ne sont plus perçues, mais rétrocédées.

La situation est telle de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), en charge de leur estimation, a publié deux délibérations. En juillet, elle a évalué les gains à 16 milliards d'euros pour les énergies renouvelables et les coûts à 1 milliard d'euros pour le bouclier tarifaire. En novembre, elle a estimé ces gains à 35 milliards d'euros et ces coûts à 3 milliards d'euros. Or, le Gouvernement n'a pas intégré cette hypothèse macroéconomique dans sa prévision budgétaire. Il en résulte un budget manquant de cohérence, de lisibilité et de fiabilité ; je le déplore.

Dans ce contexte, les crédits posent trois questions.

La première est de savoir jusqu'où l'évolution du prix de l'électricité modifiera la prévision de budget, car une augmentation de 10 euros du prix du mégawattheure représente 0,6 milliard d'euros.

La deuxième question est de savoir dans quelle mesure la situation financière des opérateurs freinera l'essor des énergies renouvelables, car les rétrocessions annoncées auront un impact sur leur trésorerie et leurs recettes et, in fine, sur leurs investissements.

La dernière est savoir comment les gains, liés à des dépenses structurelles et issues en totalité d'énergies renouvelables, seront utilisés par l'État, car la tentation pourrait être de les allouer au financement du bouclier tarifaire, composé de dépenses conjoncturelles et en faveur pour partie d'énergies fossiles. Selon moi, c'est plutôt vers la relance du nucléaire qu'il faudrait les flécher : les 35 milliards d'euros de gains annoncés couvrent les deux tiers du coût des six réacteurs nucléaires EPR2 (European Pressurized Reactors 2).

Autre point, si le fonds chaleur renouvelable bénéficie de 520 millions d'euros, c'est d'ores et déjà insuffisant au regard de la dynamique des projets proposés.

Enfin, les fonds de revitalisation des territoires et d'accompagnement des salariés touchés par les fermetures de centrales - en l'espèce les quatre centrales à charbon et la nucléaire de Fessenheim - ne bénéficient d'aucune autorisation d'engagement. C'est d'autant moins acceptable que ces fonds ont été créés à l'initiative de notre commission, suite à la loi « Énergie-Climat » de 2019.

Deuxième domaine : la rénovation énergétique. Si MaPrimeRénov' monte en puissance, sa massification n'est pas atteinte : en 2021, les crédits versés ont été inférieurs de 44 % à ceux du crédit 'd'impôt pour la transition énergétique (CITE) en 2018, et les bénéficiaires inférieurs de 73 %.

De plus, MaPrimeRénov' n'atteint pas ses objectifs : en 2021, 378 828 primes ont été attribuées, contre un objectif de 500 000.

Surtout, MaPrimeRénov' exclut des bénéficiaires : seules 3 619 primes ont été versées à des propriétaires-bailleurs et 162 à des copropriétaires. Pire, l'éligibilité des ménages intermédiaires et supérieurs expire d'ici à fin 2022.

Troisième domaine : la précarité énergétique. Si le chèque énergie monte lui aussi en puissance, sa généralisation doit progresser : en 2021, les montants perçus ont été inférieurs de 15 % aux tarifs sociaux en 2017 et le nombre des bénéficiaires inférieur de 6 %.

En outre, le chèque énergie connaît des difficultés d'application. Les 31 000 personnes en situation d'intermédiation locative ne peuvent l'utiliser seules. Les droits liés sont peu opérants en l'absence d'un système de télétransmission. Le courrier d'accompagnement doit être simplifié pour être plus intelligible.

Enfin, le chèque énergie est peu mobilisé face à la crise énergétique. La revalorisation exceptionnelle appliquée en 2022 n'est pas reconduite en 2023 et son extension spécifique au fioul ne dépassera pas le mois d'avril prochain.

Quatrième domaine : la mobilité propre. Là aussi, le constat est mitigé : le montant de la prime à la conversion et du bonus automobile est en baisse de 8 % par rapport à 2020, et les crédits alloués à la prime sont quatre fois inférieurs à ceux du bonus.

L'instabilité normative de ces dispositifs est manifeste, la prime ayant été resserrée le 1er juillet dernier et le bonus devant l'être le 1er janvier prochain.

Cela nuit à leur déploiement : de 2018 à 2022, 983 222 primes ont été attribuées, soit moins que l'objectif d'un million fixé sur le quinquennat.

Dernier point : les opérateurs. Cette année, l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) disposent des moyens humains et financiers renforcés, ce dont je me félicite puisque nous avions proposé une telle revalorisation l'an passé.

En revanche, le Médiateur national de l'énergie (MNE) est confronté à un afflux de litiges et n'est plus en mesure de respecter le délai de résolution de 90 jours. Il a besoin de trois équivalents temps plein travaillés (ETPT). De son côté, la CRE doit contrôler le bouclier tarifaire et suivre les projets renouvelables. Elle a besoin de 10 ETPT. Je fais miennes ces demandes raisonnables, justifiées par la crise énergétique.

Je dirai un mot sur les crédits « Énergie » extérieurs à la mission « Écologie ».

Premier point : le plan de relance. Sur les 14 milliards d'euros alloués à la transition énergétique, seuls 2 milliards d'euros sont engagés cette année.

Aussi, plusieurs sujets de préoccupation existent. Tout d'abord, la maquette budgétaire est complexe. De plus, l'énergie nucléaire ne représente que 470 millions d'euros soit 3 % du total. Certaines énergies renouvelables - l'hydroélectricité, les biocarburants, biogaz - ne sont pas soutenues. Enfin, les crédits s'achèvent en 2023, laissant en suspens le financement d'investissements structurants, dont les aides à la rénovation énergétique et les appels d'offres en matière d'hydrogène. Je plaide donc pour conforter ce plan et lui trouver un substitut l'an prochain.

Deuxième point : le plan d'investissement. Sur les 12 milliards d'euros attribués à la transition énergétique, seuls 3 milliards d'euros sont engagés cette année.

Ici aussi, des préoccupations sont palpables. Tout d'abord, l'évaluation préalable est faible. De plus, l'énergie nucléaire ne représente qu'un milliard d'euros, soit 8, % du total. Les 450 millions d'euros alloués au SMR (Small Modular Reactor) Nuward doivent être relevés à la hauteur des projets concurrents, et les 550 millions d'euros attribués aux réacteurs de rupture étendus aux différentes technologies - la fusion et la fission - et à l'ensemble du cycle - les combustibles et les déchets. C'est d'autant plus crucial que l'activité nucléaire du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est en baisse, avec une baisse des crédits de 30 millions d'euros, sur la période 2020-2023, après une baisse de 70 millions d'euros sur la période 2017-2021.

S'agissant du soutien à l'hydrogène, il doit bénéficier en priorité au nucléaire et surtout être complété : si 1,7 milliard d'euros est attribué aux projets européens, il manque tout de même 1,6 milliard d'euros. Enfin, le soutien aux transports doit intégrer les biocarburants et le soutien aux technologies, le biogaz. J'appelle à compléter ce plan, pour en faire le levier de la relance du nucléaire.

Dernier point : le compte d'affectation spéciale CAS FACÉ. Alors qu'il présente un excédent, de 17 millions d'euros, ce dernier est capté par l'État. Les collectivités territoriales demandent à raison la revalorisation du fonds, au moins à hauteur de l'inflation. Je souhaite que ce fonds soit relevé pour utiliser cet excédent et suivre ainsi l'inflation.

En dépit des réserves que j'ai indiquées et compte tenu de la gravité des enjeux, j'émets un avis favorable sur ce budget, qui est un budget de crise, à inscrire dans la durée.

Pour le parfaire, plusieurs amendements me semblent cependant nécessaires.

Le premier vise à garantir l'éligibilité des collectivités, des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises (TPE-PME) et des associations à l'amortisseur électricité.

Le deuxième entend augmenter de 800 000 euros les crédits de fonctionnement de la CRE, pour appliquer et contrôler le bouclier tarifaire.

Le troisième propose de prolonger l'éligibilité des ménages intermédiaires à MaPrimeRénov'.

Le quatrième vise à allouer 30 millions d'euros au fonds de revitalisation des territoires touchés par les arrêts des centrales.

Le cinquième tend à augmenter de 120 millions d'euros le chèque énergie, pour allouer 30 euros de plus par ménage, notamment aux ménages ruraux consommant du gaz, du bois ou du fioul.

Enfin, le dernier amendement prévoit de relever de 80 millions d'euros le fonds chaleur renouvelable, pour suivre la dynamique des projets.

Je vous invite à adopter ces amendements qui sont de nature à réduire la précarité énergétique, qui constitue, cet hiver, mais aussi pour les prochains, un lourd sujet tout en consolidant notre transition et notre souveraineté énergétiques.

Je ne doute pas que l'examen du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui s'achève, et le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, qui s'annonce, seront l'occasion de consolider structurellement notre législation, au-delà de ces mesures budgétaires et fiscales de court terme.

Un engagement est aussi nécessaire au sein de l'Union européenne (UE), car les États membres font face aux mêmes défis : réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre et sortir en totalité du gaz russe d'ici à 2030.

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