Intervention de Laurent Duplomb

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits de la mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb, alimentation, forêt et affaires rurales » :

rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Nous rapportons une année de plus sur le budget de l'agriculture, et nous constatons que le Gouvernement ne parvient plus, après avoir parlé du « quoi qu'il en coûte », à faire redescendre le budget de l'État des sommets qu'il a atteints en 2020.

C'est ce que nous constatons pour l'agriculture, puisque les crédits de la mission augmentent de 900 millions d'euros. La facilité aurait été de donner un satisfecit au Gouvernement pour cette forte augmentation nominale. Mais, derrière les effets d'annonce, nous avons voulu, avec mes collègues Françoise Férat et Jean-Claude Tissot, étudier le budget avec rigueur. Et nous nous sommes aperçus que la réalité était tout autre.

Sur ces 900 millions d'euros de hausse, plus de 400 millions d'euros relèvent de la budgétisation de l'exonération en faveur des travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE), c'est-à-dire une mesure de périmètre. Ne restent plus que 500 millions d'euros.

Aux 500 millions d'euros restants, il faut encore retirer 200 millions d'euros qui correspondent à une hausse nominale, mais non réelle du budget. Avec l'inflation anticipée de 5 % pour 2023, le budget a en effet gonflé mécaniquement et artificiellement de 200 millions d'euros.

Alors vous allez me dire que 300 millions d'euros de hausse réelle, c'est encore beaucoup. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés à une analyse purement quantitative des crédits. Car un bon budget agricole, ce n'est pas un budget en hausse ou un budget élevé, c'est un budget qui répond aux besoins de notre agriculture, de nos paysans et de nos entreprises, et un budget qui traduit les engagements pris par le Gouvernement.

Et s'agissant de ce dernier point, que penser ? Vous voyez peut-être où je veux en venir... À quoi correspond, pour l'essentiel, la hausse réelle de 300 millions d'euros ? Au financement, sur le budget de l'État, de la réforme de l'assurance récolte, à hauteur de 250 millions d'euros.

Et de l'assurance récolte, que dire ? Ce projet de loi de finances (PLF) est le premier rendez-vous budgétaire depuis mars 2022. Autant dire que le Gouvernement se savait attendu au tournant par le Sénat. Cette loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, dont j'étais rapporteur, acte une victoire acquise de haute lutte au Sénat pour les agriculteurs, sur quatre taux : le seuil de la franchise, abaissé à 20 % de pertes de récolte ; le taux de cofinancement de l'assurance par les pouvoirs publics, porté à 70 % ; le seuil de déclenchement de l'intervention de l'État, ramené à 50 % de pertes ou à 30 % selon les récoltes ; et la prise en charge des pertes par l'État au-dessus de ce seuil, de 90 % pour les exploitants ayant souscrit à l'assurance.

Le Président de la République s'est engagé formellement sur ces taux, à l'occasion des Terres de Jim. Or, les 680 millions d'euros qui devraient en résulter ne figurent pas dans ce budget. Seuls 560 millions d'euros sont programmés : 255 millions d'euros par ce budget, 185 millions d'euros par le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et 120 millions d'euros par la taxe sur les conventions d'assurance, payée par les agriculteurs eux-mêmes. Manquent 120 autres millions d'euros.

Le Gouvernement nous dit qu'il pourra, « peut-être », aligner les 120 millions d'euros restants à travers une « clause de rendez-vous ». Mais les agriculteurs ont rendez-vous tous les ans avec les effets du changement climatique ! Pourquoi ne pas aligner 680 millions d'euros d'entrée de jeu, quitte à annuler d'éventuels crédits non consommés en cours d'exercice ? N'oublions pas qu'un budget est aussi un instrument de communication et que le succès de la réforme dépend essentiellement du taux de pénétration de l'assurance à l'intérieur du système agricole et des exploitations, qui dépend lui-même de la capacité des pouvoirs publics à susciter la confiance des agriculteurs. Et comment leur donner confiance si, dès le premier exercice, on leur promet 680 millions d'euros, mais que 560 millions d'euros seulement sont programmés ?

Et ce ne sont pas les retards du Gouvernement dans la préparation de l'entrée en vigueur du nouveau régime au 1er janvier 2023 qui vont ramener cette confiance.

Le rapport sur la moyenne olympique n'a toujours pas été remis au Parlement, alors que nous savons tous que c'est un problème de fond de l'assurance récolte.

Le recours devant un comité départemental d'expertise contre les évaluations indicielles de pertes de récolte n'est toujours pas mis en place, alors que nous constatons, cette année, dans le cadre du système des calamités, qu'il y a des problèmes dans les évaluations indicielles par relevés satellitaires.

Non seulement le Gouvernement n'aligne pas d'entrée de jeu les sommes promises, mais on serait porté à croire qu'il fait tout pour ne pas avoir à les aligner par la suite.

C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de ne pas adopter les crédits de cette mission.

La liste des refus passés ou anticipés du Gouvernement à nos propositions, pourtant constructives et pragmatiques, est malheureusement longue.

Le Gouvernement s'est opposé à la proposition des filières animales et végétales - après les avoir laissées travailler près de huit mois sur cette proposition - d'un coup de pouce à l'épargne de précaution pour celles qui s'engagent dans la contractualisation afin de lisser leurs coûts et leurs revenus. Une proposition dont le coût budgétaire aurait été très faible et qui aurait favorisé une contractualisation entre ces filières, sur trois ans seulement puisque nous demandions une expérimentation, ce qui aurait permis d'enclencher un système vertueux contribuant à stabiliser les prix.

Le Gouvernement s'est opposé au relèvement du seuil d'imposition au réel simplifié et du seuil d'exonération des plus-values, que nous avons malgré tout réussi à faire adopter au Sénat, pour tenir compte de l'inflation. Comment l'expliquer, alors que nous savons qu'avec celle-ci l'augmentation des prix de vente des produits agricoles fait mécaniquement augmenter les recettes sur les exploitations, donc le chiffre d'affaires (CA), et que ces seuils s'appliquent au CA ?

Il a fallu attendre le passage du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) au Sénat pour voter la pérennisation du TO-DE, alors que les entreprises expriment un besoin de plus de prévisibilité. Comment expliquer, après que le Président de la République eut annoncé, au selon de l'agriculture de cette année, la pérennisation du dispositif TO-DE, que la proposition du Gouvernement ait été de le maintenir une seule année de plus ? Un amendement du groupe Les Républicains, à l'Assemblée nationale l'avait prolongé jusqu'en 2026. Mais les agriculteurs souhaitaient sa pérennisation. Nous les avons entendus.

La vingtaine d'auditions que nous avons menée a conforté nos craintes sur les risques de décroissance liée à l'inflation énergétique : hausse du coût des intrants pour la prochaine campagne, difficile reconnaissance du statut d'énergo-intensif pour l'industrie agroalimentaire, risques de coupures de courant pour les filières périssables, manque de moyens des chambres d'agriculture et de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Le budget est insuffisant en la matière.

Rappelons enfin que l'article 8 de ce projet de loi poursuit l'assèchement de notre filière levure en coproduits sucriers, pour faire du bioéthanol. Or, la souveraineté alimentaire et la souveraineté énergétique doivent aller de pair, l'une ne pouvant se faire aux dépens de l'autre.

Heureusement, les résultats agricoles et agroalimentaires de cette année 2022 sauvent pour le moment nos agriculteurs. Mais la vague risque d'être d'autant plus violente qu'elle arrivera à retardement, et ce budget ne l'anticipe pas.

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