Intervention de Françoise Férat

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits de la mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, alimentation, forêt et affaires rurales » :

rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Je partage en tous points ce que vient de dire notre corapporteur Laurent Duplomb : ce budget est insuffisant d'un point de vue économique. Il l'est aussi dans ses conséquences pour le métier vécu, au quotidien, par les agriculteurs. C'est ce second aspect que je voudrais développer.

Mes préoccupations sur ce budget font écho aux questions que j'avais posées au ministre de l'agriculture, M. Marc Fesneau. Je dois dire que ses réponses, sur la prise en charge du mal-être dans le monde agricole, et en particulier chez les éleveurs, ne m'ont pas complètement rassurée.

Je me réjouis, certes, de l'existence d'une feuille de route pour la prévention du mal-être et l'accompagnement des agriculteurs en difficulté. Mais je m'interroge sur la capacité du Parlement à suivre sa mise en oeuvre, tant les acteurs impliqués sont disséminés et les crédits pour la financer, dispersés. Il est très positif que tout l'écosystème agricole soit mobilisé face à cette problématique, mais il ne faut pas que des rôles mal définis se traduisent par une érosion des responsabilités. En somme, il faut un pilote dans l'avion.

Ce que nous demandons ne coûte pas grand-chose : un tableau de bord retraçant de manière synthétique la consommation des crédits dédiés à cette feuille de route, pour en suivre l'évolution en cours d'exercice et d'une année sur l'autre, et en mesurer l'ambition.

Si un tel document avait existé, il nous aurait permis, par exemple, d'anticiper la baisse de régime de 25 % en crédits de paiement (CP) de la ligne d'aide en faveur du redressement des exploitations en difficulté, qui passe de 7,1 millions d'euros à 5,2 millions d'euros. À notre sens, ces crédits, finançant notamment l'aide à la relance des exploitations agricoles (AREA), auraient dû être maintenus à leur niveau. Et si sous-consommation il y a, elle n'est pas à mettre sur le compte d'un manque de besoins, mais bien plutôt du non-recours : la pression psychologique et l'instabilité normative subies par les agriculteurs compliquent leur accès à des aides auxquelles ils auraient droit.

Autre exemple de cette instabilité normative, le crédit d'impôt service de remplacement devait arriver à échéance en 2024. Dans la suite de mon rapport, nous avons proposé avec Laurent Duplomb de le pérenniser et de relever son taux à 66 % dans tous les cas, contre 50 % aujourd'hui, et 60 % en cas de maladie. C'est ce qu'a voté le Sénat en fin de semaine dernière. Cela coûte quelques millions d'euros, mais c'est aussi un levier majeur d'attractivité pour l'agriculture face au défi du renouvellement.

J'ajoute qu'il faut traiter toutes les causes du mal-être dans une approche globale. La couverture vétérinaire des zones rurales et la mise à niveau de notre stratégie de biosécurité face aux crises sanitaires en font partie, car la détérioration de l'état de santé de leurs bêtes, voire l'abattage préventif, plonge les éleveurs dans un grand désarroi, quand cela se présente.

Aussi, je réitère mon appel à redoubler d'efforts sur les stages tutorés d'étudiants vétérinaires en zones rurales. Nos travaux sur le mal-être en agriculture nous ont fait mesurer à quel point les vétérinaires étaient de véritables sentinelles dans ces territoires. Les services du ministère nous ont expliqué la baisse des crédits par la suppression d'une subvention aux cliniques vétérinaires d'accueil, sans que le nombre de stages tutorés diminue. Très bien, car cette subvention créait un effet d'aubaine. Mais pourquoi les crédits récupérés n'ont-ils pas été fléchés vers la création de stages tutorés supplémentaires ? Ce dispositif ne coûte presque rien et donne d'excellents résultats.

Nous avons par ailleurs été alertés par les chambres d'agriculture sur le financement insuffisamment calibré des différentes bases d'identification animale, dont elles et d'autres acteurs doivent assurer la mise en place pour se conformer à la loi de santé animale, un règlement européen entrée en vigueur en 2021. Il manque 6 petits millions d'euros pour mettre en place, entre autres, la base « opérateurs ». De ce fait, les appels d'offres ne sont pas pourvus, alors que c'est un outil essentiel de traçabilité et de surveillance, dans un contexte où les crises sanitaires redoublent d'intensité.

S'agissant de l'influenza aviaire, la recherche sur un vaccin candidat est en cours et ne devrait pas aboutir avant le printemps 2023. Nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas su désamorcer les réticences des filières, quand il était encore temps d'accélérer. Les producteurs craignaient en effet de perdre l'accès à des marchés étrangers alors que la volaille produite en France est en grande partie consommée sur le territoire national. La réponse, désormais, n'est plus budgétaire, mais se joue sur les terrains réglementaire et diplomatique dans les enceintes européennes et de l'Organisation mondiale de la santé animale (OMSA).

Mais que de temps perdu, alors que l'influenza aviaire n'est ni la première, ni la dernière épizootie à laquelle notre élevage est et sera confronté. Aussi, nous proposons, conjointement avec Marie-Christine Chauvin, présidente du groupe d'études Élevage, une multiplication par dix des fonds consacrés à la recherche sur des vaccins, de 1 à 10 millions d'euros.

Nous le proposons non pas tant pour l'influenza aviaire, que pour anticiper les crises à venir. La dimension encore largement familiale de nos élevages rend notre modèle plus vulnérable que d'autres car nos sites de production sont nombreux et les accouveurs et éleveurs sont proches, ce qui multiplie les risques de contamination. Comparée au milliard d'euros d'indemnisations depuis l'an dernier, cette hausse ne paraît pas exagérée, et surtout elle est en phase avec notre conviction que les solutions pour l'agriculture de demain sont à trouver dans la recherche et la science.

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