Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la justice pour 2023 est présenté dans la foulée des États généraux de la Justice, qui ont rendu leurs conclusions le 8 juillet 2022.
Certes, ces États généraux ont permis de renouer un dialogue perdu entre les acteurs de la justice et les pouvoirs publics. Le budget, sur les trois dernières années, bénéficie d’une augmentation significative de ses crédits. Nous devrions nous féliciter de cette prise de conscience, mais, derrière les effets d’annonces, la réalité est hélas plus compliquée.
Les difficultés structurelles des juridictions sont considérables, et notre système judiciaire est à bout de souffle. La justice française est l’une des plus mauvaises élèves de l’Union européenne. Elle compte trois procureurs pour 100 000 habitants, contre 12 en moyenne dans les États membres. Son budget demeure inférieur à celui des autres pays européens comparables. Avec un budget de 5 euros par habitant consacré à l’aide juridictionnelle, la France se situe encore en dessous de la moyenne européenne, qui est de 6, 50 euros par habitant.
Un exemple très parlant illustre les défaillances et l’encombrement de notre justice : une dépêche interministérielle, datée de mai 2021, a incité les magistrats à classer sans suite de très nombreuses affaires jugées trop anciennes ou pour lesquelles aucune enquête n’a été menée. Ces injonctions illustrent tout l’échec de notre système judiciaire.
La justice française souffre également d’une sous-évaluation chronique des besoins humains dans les juridictions. À titre d’exemple, le taux de vacance des postes de greffier s’établit à 7, 2 %, soit 2, 7 points de plus qu’en 2019, avant la crise du covid-19.
Les embauches de près de 200 magistrats et 198 greffiers ne pourront, hélas, répondre aux besoins que représentent les postes non pourvus.
Sur ces postes, nous dénonçons également la méthode du Gouvernement consistant en une embauche massive de contractuels. Ces assistants de justice contractuels, en situation précaire, remplacent à bas coût les recrutements de magistrats. Cette politique de recrutement à moindre coût n’est pas une solution pérenne acceptable pour notre pays, et elle illustre la logique gestionnaire à courte vue qui s’impose de plus en plus, au détriment de la qualité de la justice rendue et de l’accès à la justice pour tous les citoyens.
Des moyens supplémentaires seront, en outre, alloués au bracelet anti-rapprochement. Or ces outils, dès leur création, ont connu de nombreux dysfonctionnements techniques, ce qui a conduit le ministère à changer de prestataire en 2022. Cet exemple montre que, en dépit de moyens supplémentaires, le pilotage fait toujours défaut…
Enfin, que dire du budget colossal alloué à la construction de nouvelles prisons ? En dépit des nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour les conditions indignes de détention, aucune réflexion n’est menée sur l’architecture des parcs actuels et sur l’entretien des établissements existants, alors que cela permettrait d’améliorer rapidement la qualité de vie des détenus et les conditions de travail des surveillants pénitentiaires.
La promesse des 15 000 places pour 2027, défendue comme remède aux problèmes chroniques de surpopulation, nous paraît inappropriée. Le taux d’occupation des places en maison d’arrêt pourrait ainsi atteindre plus de 130 % en 2023.
Les subventions aux associations, destinées à financer les activités culturelles et sportives des détenus, connaissent une diminution importante, de 25 %, alors que les activités organisées au sein de la détention participent au quotidien carcéral et s’inscrivent pleinement dans le parcours de réinsertion. Dans ces conditions, comment espérer une véritable amélioration des conditions de détention ?
Vous annoncez également, monsieur le garde des sceaux, des créations de postes de surveillant, mais nous savons tous ici que ce budget sera difficile à mobiliser, puisque cette profession souffre, en vérité, d’une grave crise des vocations, en raison notamment des conditions de travail et de rémunération, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux et des missions effectuées par ces agents.
Mes derniers mots porteront sur la protection judiciaire de la jeunesse, qui, au gré des réformes et des budgets, reste le parent pauvre de la justice. Certes, la PJJ bénéficie d’une hausse budgétaire, mais la priorité donnée par le Gouvernement est fléchée vers la création de places dans les centres éducatifs fermés ou renforcés. La culture du tout-répressif a ses limites, surtout pour ce qui est de notre jeunesse, même lorsqu’elle est délinquante.
C’est pourquoi, même si, dans son ensemble, nous saluons l’augmentation du budget de la mission « Justice », la répartition des crédits ne répond pas suffisamment aux besoins de recrutement de personnels, aux difficultés de la justice du quotidien ni au besoin d’améliorer rapidement les conditions de détention dans notre pays.
Notre groupe s’abstiendra donc sur les crédits de cette mission.