Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’évoquerai deux points dans mon intervention : la fraude documentaire et la lutte contre la radicalisation.
La fraude documentaire est un sujet majeur, qui concerne bien cette mission. À ceux qui, par pudeur ou dogmatisme, s’évertuent à nous expliquer qu’elle n’existe pas, je souhaite raconter une petite histoire.
Un individu fiché S, chef d’un réseau sophistiqué de faussaires – faux papiers d’identité, comptes bancaires usurpés, escroqueries aux prêts automobiles – a détourné 193 véhicules au moyen de 73 fausses identités, alors qu’il était mis en examen depuis 2010, et ce dans le cadre d’une affaire de financement du terrorisme !
Toujours au sujet de la fraude documentaire, permettez-moi de vous lire ce courriel assez récent, adressé par le responsable d’un commissariat de l’Orne à l’Association des maires de ce département : « Je souhaite vous sensibiliser sur le point suivant : lors de la demande de carte nationale d’identité en mairie, les usagers présentent un certificat de naissance. Ce certificat de naissance peut être vérifié par les agents via le logiciel Comedec, qui est facultatif pour les mairies, car très onéreux. » Ne croyez-vous pas, madame la ministre, qu’il serait temps que l’utilisation de ce logiciel soit gratuite ?
Par ailleurs, lorsque nous essayons, notamment à l’occasion de l’élaboration de la loi de finances, monsieur le président de la commission, d’amender les dispositifs afin d’améliorer les communications, nous voyons nos amendements être jugés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, au motif qu’ils créent des dépenses supplémentaires. Il est donc impossible aujourd’hui, si vous voulez améliorer l’efficacité d’un logiciel en raison de difficultés de communication ou dans l’échange de données, de le faire par voie d’amendement !
Madame la ministre, il faudrait tout de même que ce type d’amélioration, notamment en ce qui concerne la sécurisation des titres d’identité en mairie, puisse être évoquée avec vos services.
D’autres mesures utiles ne peuvent ainsi être adoptées par voie d’amendement, parce qu’elles constituent une dépense nouvelle. C’est dommage !
Le responsable du commissariat poursuit : « Les voyous profitent de cette faille pour se présenter dans les mairies de ces communes avec de faux certificats de naissance et une demande de carte nationale d’identité. Si l’agent de la mairie ne s’assure pas de l’authenticité du certificat de naissance, le demandeur se retrouve avec une vraie carte d’identité, mais une identité frauduleuse. »
De mon point de vue, le dispositif relève complètement de la mission « AGTE », et la situation est tout à fait réparable.
Par ailleurs, je tenais à vous signaler qu’il n’existe toujours pas de formulaire Cerfa pour les actes de naissance en France. Si le contenu de l’acte de naissance est partout le même, chaque mairie émet des documents sur son propre papier à en-tête, ce qui crée évidemment des facilités pour la fraude.
Un programme du fonds européen pour la sécurité intérieure (FSI), doté de 98 millions d’euros au titre de la programmation 2021-2027, sera reconduit. Il est destiné notamment à la lutte contre la fraude documentaire et à l’interopérabilité des systèmes d’information. Or c’est bien de cela que nous parlons. J’ajoute que la fraude documentaire est aussi favorisée par notre mauvaise communication et par le fait que nous échangeons mal les données.
Madame la ministre, je vous demande donc très officiellement de bien vouloir prendre en considération ce fonds européen de 98 millions d’euros, une enveloppe pas tout à fait anodine. Ne pourrait-on l’utiliser ? Cela éviterait au président Raynal de rendre un article 40 et nous permettrait d’améliorer les dispositifs.
En outre, on nous dit que le fichier Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF) est sur le point de disparaître au profit d’un autre fichier. Cette question relève peut-être davantage de la mission « Immigration, asile et intégration », mais elle s’inscrit pourtant dans la rubrique des titres sécurisés.
Enfin, comme chaque année, je voudrais vous dire mes doutes sur le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Ce comité n’a pas encore subi la moindre évaluation. Il distribue des fonds par-ci, par-là, dans une période particulièrement critique, car on parle moins de terrorisme, certes, mais le sujet de la radicalisation demeure tout aussi important. Il est vraiment fondamental selon moi d’évaluer les actions du CIPDR.
Dans le jaune budgétaire annexé au projet de loi de finances et dénommé Liste des commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres – un très bon document, arraché de haute lutte par le Sénat –, j’ai trouvé trace d’un conseil scientifique sur les processus de radicalisation qui s’est réuni trois fois en 2017, trois fois en 2018 et six fois en 2019. Je n’ai pu savoir s’il s’était réuni en 2020 ou 2021, la crise du covid-19 expliquant peut-être cela.
En tout cas, madame la ministre, je souhaitais vraiment attirer votre attention sur ces deux points : la fraude documentaire et l’évaluation des travaux du CIPDR.