Intervention de Serge Babary

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Serge BabarySerge Babary, rapporteur pour avis :

Madame la Présidente, mes chers collègues, la mission « Économie » comporte ceci d'étonnant qu'elle ne contient plus aucun crédit directement consacré au commerce. C'est une tendance que nous avons observée depuis plusieurs années, et sur laquelle nous avions alerté régulièrement, mais qui est désormais tout à fait concrète, puisque le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) a entièrement disparu. Il n'y a donc plus d'aide directe au commerce dans cette mission, d'autant que les annonces - frugales ! - de la ministre à la suite des Assises du commerce seront financées par redéploiement de crédits, et ne sont donc pas retracées dans le budget.

Cela ne signifie certes pas qu'aucune politique publique n'est tournée vers le commerce : l'ANCT agit, la Banque des territoires également, par exemple. Mais deux constats regrettables s'imposent. Premièrement, cet éparpillement des crédits entre différentes missions de différents ministères nuit fortement à la lisibilité de l'action conduite. Et deuxièmement, surtout, le montant dédié au commerce reste infinitésimal par rapport à ceux consacrés aux start-ups ou à l'industrie... et ce, malgré le poids très important du secteur commercial en termes d'emplois et, plus profondément, en termes de lien social dans notre pays. Je vous proposerai donc un amendement permettant le retour du Fisac, ou dispositif équivalent.

Ceci étant dit, j'ai donc consacré mes travaux de rapporteur à d'autres aspects de cette mission « Économie », c'est-à-dire aux moyens de la DGCCRF et à ceux des associations de consommateurs.

Comme nous le savons tous, les missions de la DGCCRF sont multiples, essentielles, et elles s'accroissent avec le temps. L'action de la DGCCRF vise la protection économique (et même physique) des consommateurs, contrôle la conformité des biens et services et s'assure du respect de la règlementation concurrentielle. C'est donc une direction centrale, fondamentale pour tous les secteurs qui nous intéressent, notamment en raison de son action pour lutter contre la concurrence déloyale.

Je salue à cet égard le rapport de juin 2022 de Fabien Gay, Françoise Férat et Florence Blatrix Contat, qui a particulièrement étudié le rôle de la DGCCRF en matière d'information aux consommateurs.

Cette direction présente de nombreux atouts, notamment sa présence sur tout le territoire, son caractère réactif, et ses compétences reconnues ; il faut certainement y voir là une des raisons pour lesquelles elle se voit confier, loi après loi et ordonnance après ordonnance, un nombre croissant de missions. Rien que sur le dernier quinquennat, 30 textes sont venus enrichir son corpus de compétences et la liste de ses pouvoirs et outils d'enquête. Par exemple, en matière environnementale, elle doit désormais contrôler les informations sur les caractéristiques environnementales des produits, l'interdiction de certaines mentions, ainsi que l'obligation d'affichage d'un indice de durabilité et de réparabilité. Autre exemple : suite à la loi Egalim 2, elle agit maintenant en matière de pénalités logistiques, elle contrôle les clauses de renégociation, et elle enquête sur le résultat des négociations commerciales. Dernier exemple : elle est désormais chargée de vérifier les annonces de réduction des prix, ou encore les modalités de résiliation des contrats conclus en ligne.

Devant une telle extension de son champ de compétences, un principe élémentaire de bonne administration voudrait que ses moyens humains et techniques fassent, eux aussi, l'objet d'une attention soutenue du Gouvernement. Il n'en est rien, bien au contraire : le Gouvernement, et le précédent, ont drastiquement diminué ses effectifs. Les effectifs totaux de la DGCCRF sont ainsi passés de 3 263 ETPT en 2010 à 2 768en 2021, soit une chute de 15 % en une décennie. Une fois retirés les simples transferts d'effectifs à d'autres administrations, la réduction nette d'effectifs atteindrait tout de même 400 ETPT depuis 2007. Dans le rapport de nos trois collègues, des exemples très frappants étaient mentionnés : en matière de contrôle des informations apportées aux consommateurs, la DGCCRF ne dispose plus que de 145 inspecteurs sur tout le territoire. Au niveau régional, cela donne 11 inspecteurs dans le Grand Est, un seul dans les Hauts-de-France, 8 en Bretagne... Il est particulièrement difficile de saisir la logique de cet « effet ciseau » mis en place par le Gouvernement, qui voit une administration centrale devoir faire beaucoup plus de tâches avec beaucoup moins d'effectifs

Sans surprise, une telle hémorragie a conduit la DGCCRF à diminuer fortement le nombre de ses contrôles, et à les prioriser sur des thèmes spécifiques. Une telle évolution ne peut que se faire au détriment des consommateurs et des PME.

Je note toutefois que, pour la première fois depuis des années, 13 ETPT supplémentaires, c'est-à-dire des équivalents temps plein travaillés, sont prévus pour 2023. C'est une bonne nouvelle, mais au regard de l'hémorragie subie depuis dix ans, c'est l'épaisseur du trait ...

Il se pourrait même que cette apparente bonne nouvelle en cache en fait une mauvaise. En effet, la création de la police unique de sécurité sanitaire des aliments, sous l'égide du ministère de l'agriculture, conduit la DGCCRF à transférer 60 postes vers ce ministère. Mais dans les faits, seuls 20 agents sont volontaires pour y aller, ce qui signifie que 40 agents vont rester à la DGCCRF et donc être considérés comme du « sureffectif ». Il y a donc tout à craindre que, pour compenser ce sureffectif, le Gouvernement demande à la DGCCRF de recruter moins d'inspecteurs lors du prochain concours, ce qui, à nouveau, serait incompréhensible.

Je vous proposerai donc un amendement qui augmente les moyens de la DGCCRF : ce faisant, ce sont à la fois les agriculteurs, les industriels, les consommateurs, qui ont à y gagner, car l'ensemble de ces acteurs doivent être protégés efficacement contre les tromperies, les relations déloyales ou déséquilibrées, et les allégations mensongères.

J'en viens maintenant au sujet des associations de consommateurs. Le mouvement consumériste français présente une caractéristique unique en Europe : il existe 15 associations agréées, dont UFC-Que choisir n'est que la plus connue. Chaque association a certes sa propre histoire et sa propre légitimité : certaines sont laïques, d'autres plus imprégnées de culture religieuse, certaines sont syndicales, d'autres non, etc. Et chaque association touche une subvention publique pour son fonctionnement, dont le montant total est de 2,2 millions d'euros cette année. Or la situation actuelle conduit à saupoudrer ces crédits, à les éparpiller selon des critères mal définis, et donc, in fine, à utiliser l'argent public de façon sous-optimale.

Les critères, en effet, sont mal définis. Par exemple, l'un d'entre eux consiste à mesurer le nombre d'heures de permanences assurées par chaque association ; or les horaires d'ouverture ne disent rien du nombre de consommateurs effectivement aidés ! Autre exemple : lorsqu'une association dispose du « super agrément », elle peut siéger au bureau du Conseil national de la consommation, et elle perçoit à ce titre un surcroît de subvention. Or la présence au bureau ne dit rien de l'action réelle de chaque association. De même, ce ne sont pas forcément les associations qui ont le plus grand nombre d'adhérents qui ont les meilleures capacités d'analyse. Il conviendrait donc, plutôt, de récompenser et soutenir la capacité d'enquête.

La DGCCRF, qui distribue ces fonds, envisage d'expérimenter en vue des JO 2024 des appels à projets, permettant de verser la subvention en fonction de la réalisation de telle ou telle action. Il me semble que cette initiative doit être encouragée et dépasser rapidement le stade de l'expérimentation, pour devenir la norme. De même, puisqu'il s'agit de deniers publics, il est peu compréhensible que les associations ne cherchent pas davantage à se rapprocher entre elles. Trois d'entre elles ont initié un tel mouvement. Mais c'était en 2017 et, cinq ans plus tard, le rapprochement n'est toujours pas achevé !

En parallèle, l'Institut national de la consommation, qui n'est pas une association mais qui perçoit aussi une subvention publique, est déficitaire depuis plusieurs années sur son activité commerciale de publication du magazine 60 Millions de consommateurs. Sa subvention publique a diminué de 3,6 millions d'euros entre 2012 et 2020, et l'a conduit à supprimer 11 postes ces deux dernières années, dont des postes de juriste, d'économiste, d'ingénieur, ainsi que celui de la personne en charge du plan numérique. C'est fortement regrettable, car les deux activités, celle de service public et celle commerciale, sont liées : c'est parce que la subvention lui permet d'embaucher des experts et de réaliser des tests que le magazine peut ensuite contenir des enquêtes intéressantes et de qualité.

Je suggère donc que la subvention versée aux associations de consommateurs soit rationalisée en fonction de critères plus robustes, et que les économies ainsi réalisées permettent d'alimenter un surcroît de subvention à destination de l'INC.

Enfin, je souhaiterais dire un mot du traitement réservé au réseau des chambres de métier et de l'artisanat (CMA). Sans aucune concertation, et alors que le Gouvernement leur donne de plus en plus de missions, il a été décidé d'amputer leurs recettes de 15 millions d'euros en 2023, pour un objectif de 60 millions en cinq ans. Personne ne nie la nécessité des économies, mais il est très étrange de les faire pile sur les organismes qui ont été appelés à la rescousse lors de la crise, qui accompagnent le déploiement d'Action coeur de ville et de Petites villes de demain, et qui devront demain épauler les artisans en termes de succession et de reprise. C'est une mauvaise manière faite aux CMA, d'autant que la facture énergétique du réseau va, justement, augmenter de 15 millions d'euros en 2023, et sa masse salariale de 17 millions d'euros en raison de la revalorisation du point d'indice. J'ai donc déposé, en mon nom propre, car c'est sur la première partie du PLF, un amendement revenant sur cette mesure du Gouvernement, et un amendement de repli, que je vous invite bien sûr à cosigner. De même, je déposerai sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », un amendement explicitant que le réseau consulaire fait partie des bénéficiaires de « l'amortisseur électricité ».

Je vous propose donc de valider les crédits de cette mission sous réserve de l'adoption des amendements que je soumets à votre analyse.

Je vous remercie.

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